XVII. Confrontations

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Jordan se réveillait tout juste d'une nuit difficile. Ses derniers jours lui étaient restés en travers de la gorge. Son départ précipité la nuit où il s'était réveillé aux côtés de Gabriel Attal le tourmentait, et la sensation viscérale qui l'avait envahi lorsqu'il avait réalisé que Gabriel était collé à son dos le hantait toujours.

La scène se déroulait encore et encore devant ses yeux et il vibrait toujours comme si ses sens en éveil, cette nuit-là, n'avaient jamais cessé d'intercepter chaque frémissement de ce corps contre le sien. Le souffle léger contre sa nuque, la chaleur de son bras posé contre sa poitrine. Il était incapable de bouger, paralysé par la violence des émotions qui l'avait brutalement assailli. Et au milieu de ce chaos interne, la peur prit le dessus. Il ne s'était jamais questionné sur son orientation, et la possibilité d'être homosexuel le frappa de plein fouet, remettant en question les fondements de sa personne et de ses convictions. Il s'était toujours positionné à l'encontre des droits des homosexuels et le léger malaise qu'il avait l'habitude d'exprimer à ce propos pour éviter d'aborder la question constituait en son for intérieur une véritable angoisse. Et pourtant en cet instant, il ne voulait pas mettre un terme à cette étreinte.

Qu'est-ce-qui lui avait pris de venir en aide au Premier ministre, à son adversaire politique, au point de se battre en pleine rue pour le défendre ? La scène lui paraissait irréelle. Il avait l'impression que ses souvenirs des dernières heures avaient été tirés de la mémoire d'un autre. Et pourtant, la situation dans laquelle il se trouvait à présent attestait de leur véracité.

Il devait se ressaisir. Que dirait Marine si elle découvrait ce qui se tramait vraiment entre eux ? L'idée qu'elle ait connaissance de cette scène le dégoutait et le révoltait. En jouant ce petit jeu, il trahissait son parti, il se mettait à dos tous les gens qui l'aimaient et qui lui avait offert la chance de mener la vie dont il avait toujours rêvé. La présence de Gabriel à ses côtés lui devint insupportable. Il aurait voulu bondir hors du lit, mais il l'aurait réveillé et n'avait aucune envie d'avoir à lui parler. Il ravala sa colère le temps de soulever délicatement son bras et se leva silencieusement. La vue du visage paisible de Gabriel lui compressa l'estomac. Incapable de supporter plus longtemps cette vision, il entrouvrit la fenêtre par peur de retrouver son odeur en rentrant et quitta précipitamment la chambre.

Submergé par le désir impératif de travailler, il s'habilla en vitesse, déterminé à rejoindre les locaux du Rassemblement National le plus rapidement possible. Mais la perspective de laisser au Premier ministre le loisir de fouiller à sa guise dans son appartement le gênait profondément. Il ferma soigneusement toutes les pièces de la demeure, et en passant dans la chambre d'ami, réalisa soudainement que les messages compromettant qu'il avait échangés avec Attal pouvaient être révélés au grand jour. Après un instant d'hésitation, il récupéra son téléphone dans ses affaires et sortit.

Le jour commençait tout juste à poindre dans les rues de Paris. Il aurait voulu marcher pour se changer les idées, mais devenir une figure majeure de l'extrême-droite l'avait contraint à circuler en voiture la majorité du temps, évitant ainsi tout risque d'altercations. C'était l'un des nombreux désagréments de son statut. Mais cette vie, il l'avait choisie et il était prêt à la défendre. Étrangement en forme, il bouillonnait d'envie de se mobiliser, d'agir pour la France. Et les manigances tordues d'un petit macroniste ne le détourneraient plus de sa voie.

Arrivé avant 6h, il se retrouva seul au siège de son parti. Comme d'habitude, son emploi du temps était chargé ce jour-là. Il avait une réunion stratégique, pour déterminer l'approche médiatique à adopter pour contrer l'opposition. Injustement décriés dans les médias traditionnels, ils devaient fournir un travail supplémentaire pour présenter leur programme sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, il avait à finir de préparer son débat du lendemain. Un débat qui, comme souvent ces derniers temps, le confronterait à Attal. Il grimaça à cette pensée. Jamais il ne se débarasserait de ce problème. Dès aujourd'hui, il n'aurait plus qu'à l'ignorer et prétendre que leur relation des dernières semaines n'avait jamais existé. Et sans son téléphone, jamais personne ne pourrait démontrer le contraire. Par curiosité, Jordan alluma l'écran du portable. Le fond d'écran était neutre et sans aide pour le déverrouiller il ne lui était d'aucune utilité. Déçu, il le jeta dans un tiroir et se mit au travail.

Le soir-même, il avait coupé les ponts avec Nolwenn. Il lui avait dit que la situation serait temporaire. Mais en son for intérieur, il savait qu'il n'avait plus envie de vivre avec cette fille simple et sans ambitions. Il avait déménagé dans un hôtel du 16e arrondissement.

Et c'est là qu'il se trouvait ce matin là. S'il avait pû donner le change la veille, il sentait que ses limites avaient été franchies et il ne trouvait en lui aucune énergie pour accomplir ses tâches quotidiennes. Le débat. Il allait devoir consacrer l'essentiel de sa journée à la préparer. Puis il devrait affronter ses adversaires pour de vrai. Il était fatigué rien que d'y penser. Et même s'il ne voulait pas se l'avouer, il était aussi atrocement anxieux à l'idée de le revoir.

Comme il le faisait souvent, il se jeta dans le travail pour échapper à ses inquiétudes. Absorbé par les considérations politiques et la résolution des multiples problèmes auxquels il devait faire face, il en oubliait de penser à sa vie personnelle et aux angoisses qu'elle lui procurait.

Il franchit la porte des locaux de TF1 à 18h. Il avait justifié cette avance conséquente sans difficultés à son équipe, connu pour sa ponctualité et sa rigueur. Mais cette marge avait comme but caché d'offrir à Attal la possibilité de lui adresser la parole. Il aurait voulu surpasser son envie de le revoir, mais il en était incapable pour une raison obscure. La curiosité, certainement. C'était bien le propre des personnes intelligentes.

Il tressaillit de nervosité lorsqu'on vint lui annoncer que Gabriel Attal était arrivé à son tour. Une impatience intolérable le rongeait. L'oreille tendue, il percevait le brouhaha de son équipe malgré l'insonorisation de la loge. Puis le silence. La porte s'ouvrit soudainement. Gabriel. Jordan se leva aussi brutalement pour lui faire face. Il ne s'attendait pas à trouver un air aussi froid et menaçant sur un visage qu'il avait connu parfaitement apaisé. Il entrouvrit les lèvres, prêt à lui asséner une remarque sarcastique, mais se trouva incapable de prononcer un mot.

« Je vais faire en sorte que ce soit court. Rends-moi mon téléphone, et je ne ferai pas d'histoires. » commença Gabriel, les yeux pleins de rage et d'amertume. Il s'avança vers lui et réaffirma « En d'autres termes, si tu ne me rends pas ce téléphone, ça va très mal se passer. » Jordan frémit. Il avait laissé le téléphone dans son bureau et n'avait aucune idée de ce qu'il devait dire pour le calmer. Se ressaisissant, il adopta l'attitude maîtrisée qu'on lui avait enseignée et répondit froidement : « Je ne vois pas de quoi vous parlez, Monsieur Attal. » Celui-ci le dévisagea, le poing serré, en s'avançant dangereusement vers lui. « Tu n'as pas bien compris... » reprit-t-il, déterminé à faire ployer son adversaire sous sa volonté. Jordan n'avait pas réellement peur. Il ne croyait pas Attal capable de faire quoi que ce soit qui puisse le mettre en danger. Pourtant, une part de lui se sentait désarmée et appréhendait ses réactions, désagréablement surprit par la fureur à laquelle il faisait face.

Alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, Gabriel attrapa brutalement son épaule afin de le faire basculer contre un mur. Pris au dépourvu, Jordan n'eut pas la vivacité de se dégager et se retrouva immobilisé. « Comment est-ce que tu as pu t'enfuir comme un lâche !? » lui jeta Gabriel d'une voix tremblante de colère. Jordan était désemparé. Il réalisait soudain la douleur qu'avait dû ressentir le jeune homme en se réveillant seul dans le lit, le sentiment de trahison qui devait l'habiter. Cette perspective renversait à nouveau les principes auxquels il avait tenté de se rattacher. Il aurait voulu tout lui expliquer, se justifier, lui prouver qu'il ne pouvait pas agir autrement, mais il ne pouvait pas s'y résoudre. Sa raison l'en empêchait. Reprenant sa posture défensive, il asséna placidement : « Ecoutez, Monsieur Attal, je suis désolé pour vous mais je ne vois absolument pas à quoi vous faîtes référence, vous feriez mieux de retourner dans votre loge. ». Il se redressa, récupérant ainsi les quelques centimètres qui lui permettaient de surplomber son rival. Son cœur semblait battre à tout rompre, et il devait se contraindre pour résister à son envie de se rapprocher de lui. Mais il devait garder la face. « Si ça te plaît de faire semblant qu'il ne s'est rien passé entre nous, soit. Mais rends moi mon téléphone si tu ne veux pas avoir d'ennuis avec la justice » ordonna Gabriel en se rapprochant légèrement de lui, le regard défiant. "Comme si vous étiez en position idéale pour révéler au public vos délires intimes." répliqua Jordan, provocateur. "De plus, je n'ai pas votre téléphone, vous feriez mieux de regarder dans vos poches plutôt que de vider celles de l'Etat. Maintenant veuillez cesser de me harceler." conclut-t-il, conscient que ses paroles rompraient le lien qu'ils avaient noué ces dernières semaines, et terrifié à cette idée.

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant