XXIII. Réminiscences nocturnes

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Il était déjà plus de 23h quand Jordan sonna à la porte de Gabriel. Il ouvrit doucement, et fut accueilli par un énorme bouquet de fleurs rouges-roses. Jordan le regardait, nerveux "Excuse-moi, j'ai pris plus de temps que prévu...". Attal sourit avec attendrissement "Ce sont des camélias, non ?" Jordan rougit légèrement, lui confirmant la réponse. Gabriel s'empara du bouquet pour le mettre dans un vase pendant que Jordan enlevait sa veste. "Tu peux t'installer sur le canapé, je vais faire du thé. Une infusion au rooibos, ça te va ?" lui demanda-t-il en se dirigeant vers la cuisine. Jordan acquiesça et s'assit sur un des fauteuils du salon. C'était une pièce confortable, meublée avec goût. Une bibliothèque massive accaparait presque la totalité du mur du fond, tandis que les autres étaient habités par des commodes et des étagères. Le sol était recouvert d'un tapis moelleux sur lequel était posé une grande table basse en verre. Il était étonné de se sentir aussi à l'aise dans un lieu inconnu, lui qui aimait avoir ses propres repères.

Gabriel arriva avec deux tasses de thé fumantes et en tendit une à Jordan. "La déco te plaît ?" demanda-t-il, en s'installant confortablement en face de lui. Jordan était déconcerté par la nonchalance de Gabriel en sa présence, lui qui était encore si crispé. Il n'avait jusque-là jamais eu de moments en sa compagnie qui ne soit pas parasité par un problème extérieur. Ce qui lui laissait pour la première fois tout le loisir d'apprendre à le connaître pour de vrai. "Oui, on se sent vraiment bien chez toi." "J'ai eu un coup de coeur pour cet appartement quand je l'ai visité il y a déjà plusieurs années. J'ai tout vécu ici." révéla-t-il, nostalgique.

"C'est vrai que tu as dû en vivre des choses ces dernières années.. Tu aurais pu imaginer il y a 7 ans devenir Premier Ministre ?" Gabriel laissa échapper un rire clair "Oh non, même être député je n'y croyais pas." "Quelle idée !? Tu as pourtant toutes les qualités requises... Tu es éloquent, sociable, intelligent et gentil en plus. Les gens t'aiment autour de toi." Gabriel rougit "Merci... Ça n'a pas toujours été comme ça pourtant..." avoua-t-il en triturant sa tasse. "J'arrive pas à le croire.." lâcha Jordan, désarçonné, ce qui amusa encore Gabriel.

"Si si, c'est surtout que j'ai vécu des moments difficiles. On s'est beaucoup moqué de moi dans mon adolescence, notamment à cause de mon homosexualité." confia-t-il. "Ah oui ?" souffla Jordan, mal à l'aise. Il se rendait compte qu'à présent il ne pourrait plus éviter la question. Gabriel continua "Ouais, c'était surtout un élève de ma classe, tu dois le connaître, Juan Branco. Bah disons que depuis le collège, il est un peu obsédé par moi." Jordan fronça les sourcils, sentant une colère mêlée de jalousie monter en lui "Comment ça, "obsédé par toi" ?" Gabriel détourna le regard et commença à s'agiter, trahissant sa nervosité. "C'est lui qui a révélé publiquement que j'étais homosexuel quand je venais d'intégrer le gouvernement. C'était difficile parce que certains membres de ma famille n'étaient même pas au courant mais bon j'en suis là aujourd'hui, alors.." se livra-t-il. "Mais tu rigoles, c'est pas juste difficile, c'est grave ! Ça aurait pu te mettre en danger, je connais pleins d'homophobes de la pire race..." Gabriel sourit "C'est gentil de t'inquiéter pour moi, mais on m'embête moins maintenant que je suis Premier Ministre. Enfin bon, plus pour longtemps je crois..." soupira-t-il.

Un silence pesant s'installa. Les deux hommes ne pouvaient pas parler de politique entre eux. Ils savaient que ce qui constituait l'essentiel de leur vie resterait toujours tabou, s'ils ne voulaient pas se perdre dans des conflits insolubles. Soudain, un gargouillement résonna dans le silence de l'appartement. Gabriel lança un regard stupéfait en direction de Jordan avant de se fendre d'un large sourire. "J'ai faim." bredouilla Jordan "Désolé, j'ai toujours faim." ce qui fit éclater de rire Gabriel. "Bon allons voir ce que j'ai dans la cuisine" proposa-t-il en le prenant par la main. Tous ses placards étaient vides, il mangeait très rarement chez lui. "Bon j'ai à peu près de quoi faire des sablés, ça te va ?" Jordan exprima son enthousiasme en attrapant les divers ingrédients par lui-même, pour les amener à Gabriel qui remontait ses manches. "Tu peux allumer le four s'il te plaît ?" Jordan s'exécuta immédiatement, soucieux des requêtes de son amant. Il était fasciné par le naturel de sa gesture. Il observait attentivement chacun de ses mouvements, par-dessus son épaule. "Tu peux mettre la farine pendant que je mélange s'il te plaît ?" Jordan s'empara de la farine et la versa délicatement dans le mélange. Il en mit exprès sur le nez de Gabriel pour l'embêter. "Arrête ça, tu veux ?" dit-il avec un sourire. Jordan se rapprocha du dos de Gabriel et s'accola à lui pour nicher sa tête dans son cou et continuer de le regarder accomplir la recette. En le sentant se rapprocher, Gabriel se sentit pétiller d'amour.

"Bon, j'ai fini, il faut attendre qu'ils cuisent maintenant."annonça-t-il, ravi de pouvoir à nouveau se consacrer à Jordan. "Et toi ton enfance, ça s'est passé comment ?" demanda alors Gabriel, avec une curiosité sincère. "Oh c'était pas si mal, j'avais quand même des amis, après j'ai quand même grandi en Seine-Saint-Denis et c'était pas tous les jours facile." évoqua Jordan, d'un ton vague. Gabriel sentait une retenue en lui. En le voyant tous les jours déambuler sur les plateaux télés en costume, il en avait oublié ses origines modestes et la situation précaire dans laquelle il avait grandi.

Gabriel sentait ses paupières s'alourdir et ne pût réprimer un bâillement. En s'en apercevant, Jordan s'inquiéta pour lui. "Il faut que t'aille te coucher, tu es épuisé..." se soucia-t-il en posant sa main sur la sienne. Gabriel secoua la tête "Ça va, ça va, attendons au moins la fin de cuisson des biscuits.". Ils s'assirent côte à côte sur le canapé, et Gabriel ne put s'empêcher de laisser tomber sa tête sur l'épaule de Jordan. "Il faut attendre encore combien de temps ?" demanda celui-ci, sans réaliser que Gabriel était déjà assoupi. Il le regarda tendrement avant de prendre sa main pour la caresser. Jordan avait conscience que le poste de Premier Ministre était exténuant et qu'il devait très peu dormir. Il le regardait et se sentait apaisé même s'ils ne faisaient rien de particulier. Avec lui, il n'avait pas besoin de se démener pour tromper l'ennui. Chaque minute passée en sa présence devenait une source inépuisable d'intérêt.

Délicatement, il glissa l'une de ses mains dans son dos et la seconde sous ses genoux. Il se leva précautionneusement, serrant dans ses bras son corps léger et le porta jusque dans sa chambre où il le déposa sur le lit avec douceur. Gabriel était déjà profondément tombé dans le sommeil et n'avait pas conscience de la situation. Jordan lui caressa la joue avec tendresse en regardant une fois de plus le beau visage de son amant.

Il quitta la pièce pour sortir les sablés du four et en prit un qu'il savoura dans la cuisine. Le goût chaud et sucré du biscuit lui rappelait la présence de Gabriel. Ce sentiment de confiance et de sécurité lui avait permis de se dévoiler à quelqu'un pour la première fois de sa vie. Il se mit devant la fenêtre pour regarder Paris endormie, songeur. La fatigue s'immisçait lentement en lui. Il se dirigea vers les chambres et deux options s'offrirent à lui : la chambre d'ami ou celle de Gabriel. Il hésita un instant, mais le souvenir de leur dernière nuit passée ensemble l'invita à rejoindre celle de son amant. Cette fois-ci, il ne l'abandonnerait pas, il voulait être avec lui.

Il s'allongea dans son lit, n'osant pas prendre la décision de se rapprocher. Il avait toujours peur d'en faire trop et d'outrepasser les limites personnelles de son bien-aimé. Alors qu'il hésitait, Gabriel, toujours endormi, bascula, se couchant contre le torse de Jordan. Encouragé, il passa son bras autour de lui et posa sa tête contre son front. Il s'endormit en respirant le parfum floral de ses cheveux et sentit la chaleur de son amant l'envahir. 

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant