La nuit était tombée, enveloppant le monde d'un voile sombre et oppressant, mais aucune étoile ne vint percer cette obscurité. Le ciel, normalement constellé de points lumineux, était obscurci par une fumée dense et suffocante, se mélangeant à l'odeur âcre de cendres encore brûlantes. Même depuis le bateau, pourtant bien éloigné de Lilithe, ils pouvaient sentir cette odeur persistante, comme une morsure invisible imprégnant chaque souffle. C'était un rappel cruel de ce qu'ils avaient laissé derrière eux.
À l'horizon, la silhouette de Lilithe n'était plus qu'un amas informe de dévastation. Des flammes rougeoyantes léchaient encore les restes de quelques bâtiments effondrés, projetant une lumière vacillante sur les débris. L'océan, normalement si calme et rassurant, réfléchissait ces reflets incandescents, transformant ses vagues en miroirs rouge sang, comme si même la mer portait les stigmates de cette destruction. Les arbres des alentours, jadis vigoureux, n'étaient plus que des silhouettes noires calcinées, tordues dans des positions grotesques, témoins silencieux de la fureur des Counters. Un vent léger soufflait parfois, soulevant des cendres dans une danse funèbre, avant de les déposer délicatement sur l'eau, comme si la nature elle-même voulait ensevelir ce massacre sous une fine couche de poussière.
Ce spectacle aurait pu avoir une beauté tragique, presque sublime, si ce n'était pas si terrifiant. Chaque lueur des flammes, chaque ombre projetée sur l'océan, semblait murmurer les cris d'agonie des âmes perdues. Et sur le bateau, ce silence, pesant et suffocant, était plus éloquent que n'importe quelle parole. Personne n'osait parler. Les membres de l'équipage, figés dans une sorte de stupeur traumatique, se contentaient de fixer l'horizon, l'esprit chargé de pensées qu'ils refusaient d'exprimer.
Ce silence, lourd comme une chape de plomb, n'était pas simplement une absence de mots. C'était une tentative désespérée de ne pas attirer l'attention, comme si prononcer à voix haute ce qui s'était passé pourrait raviver le cauchemar.
« Putain... » murmura finalement Tomothé, brisant à peine le silence pesant qui enveloppait le bateau comme un linceul. Sa voix, tremblante et presque inaudible, semblait se perdre dans l'immensité du vide laissé par ce qu'ils avaient vu. Et pourtant, ce n'était pas la douleur qui transparaissait, pas encore, mais une incompréhension brute. Une incapacité totale à accepter la réalité. Aucun membre de l'équipage ne pleurait, non. Pas parce qu'ils étaient insensibles, mais parce que leur esprit refusait encore de comprendre. Cette réalité était trop immense, trop brutale pour être absorbée.
Mia se tenait à l'avant, droite et figée, son regard perdu dans l'horizon ravagé. Ses yeux orangés brillaient faiblement dans la lueur dansante des flammes qui continuaient de ravager Lilithe au loin, leur éclat presque fusionné à la couleur du feu. Elle aurait voulu détourner les yeux, mais quelque chose l'en empêchait. Son cœur se serrait douloureusement dans sa poitrine, une pression insupportable qui ne voulait pas s'apaiser. Cette île, qu'elle avait toujours connue, était méconnaissable. Et pourtant, elle s'accrochait désespérément à une pensée, un espoir fragile. Peut-être que ce n'était pas aussi grave que cela en avait l'air. Peut-être qu'ils exagéraient dans leur esprit, que leurs peurs amplifiaient l'ampleur de ce désastre. « Ce n'est pas ce qu'on croit... ça ne peut pas l'être... » se répétait-elle dans un murmure intérieur, s'efforçant de croire à une explication rationnelle qui, au fond, lui échappait déjà. Mais ce n'était pas un espoir réel, c'était une prière désespérée à laquelle elle s'accrochait pour ne pas sombrer.
Derrière elle, Agma restait tout aussi silencieuse, son masque relevé sur le haut de son front, dévoilant un visage fin et marqué par une concentration inhabituelle. Ses traits restaient neutres, comme toujours, mais dans ses yeux, une lueur de questionnement trahissait son trouble intérieur. Elle n'était pas plus apaisée que les autres. Elle scrutait l'obscurité comme si elle cherchait une réponse, une vérité qui lui échappait, tout en sachant pertinemment qu'aucune ne viendrait.
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Ostru: Fragments d'un Monde Déchu
Adventure25 ans après une apocalypse, l'humanité a basculé dans le chaos. Cette apocalypse, issue d'une guerre, a balayé la civilisation, laissant derrière elle des ruines et des terres ravagées. Avant cette chute, la majorité des êtres humains possédaient...