Épisode 1 - 2 La Vie d'un Privé

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Jake maudit l'ascenseur, qui est en panne depuis aussi longtemps qu'il s'en rappelle, et grimpe les marches jusqu'au troisième étage. A mesure qu'il franchit les paliers le son du Witch Hour se fait un peu moins fort. On pourrait penser que vivre au-dessus d'un bar est une mauvaise idée, mais Jake a de toute façon plutôt tendance à vivre la nuit. Mettez-ça sur le compte des années passées à la Criminelle.

Il a à peine inséré sa clef dans la serrure que le propriétaire des lieux jaillit de nulle part, créature à mi-chemin entre l'ours et le cafard. L'homme pousse le vice jusqu'à s'affubler d'un marcel, autrefois blanc.

— Où est mon loyer, Sullivan ?

Jake soupire alors que sa porte se déverrouille. Il se retourne vers l'homme, fatigué par une soirée d'attente interminable.

— C'est pas censé être vendredi le loyer ?

— On est samedi, abruti !

— Ah...

Jake sort son portefeuille et compte les quelques billets qui lui restent. Pas de quoi payer un restau et encore moins un loyer. Le proprio est furieux, mais Jake se demande si c'est pas là le petit plaisir de l'homme. Sans ses coups de gueule du week-end, il s'ennuierait à mourir.

— J'ai un salaire demain, justifie le privé.

— On me l'a fait pas, à moi. Quinze ans que je tiens cet immeuble et j'ai jamais vu un pantouflard comme toi. Demain Sullivan, demain sans faute ou la prochaine fois, j'appelle les flics.

Jake hausse les épaules et entre chez lui.

— Hey, j'ai pas fini !

— Demain, Gary. Demain.

Il referme enfin la porte et se retrouve dans un calme relatif.

Un bureau siège dans la petite pièce mal éclairée. Un ordinateur dont l'écran est encore à tube cathodique repose dessus, poussiéreux. Un canapé taché, qui sert au moins aussi souvent que le lit de la chambre voisine, constitue le reste du mobilier.

Le privé dépose son appareil photo, une antiquité à pellicule comme on en fait plus. Il se sert ensuite un doigt de whisky dans un verre sale, qu'il accompagne de quelques cachets tout en s'installant dans le siège bancal.

Son regard se pose sur un cadre à photo, la seule décoration de l'appartement. Au bord d'une rivière, on y voit Andrea et sa mère dans les bras l'une de l'autre, tandis que Jake court vers elles. Le timer n'avait pas fonctionné correctement, ou plutôt il n'avait jamais su le faire marcher. Leur couple ne fonctionnait pas non plus, déjà à cette époque, mais au moins il avait sa fille.

Il se resserre un verre, puis se lève. Il se dirige vers la salle de bain, reconvertie en chambre noire, pour y développer les photos du soir. Il lui a fallu trois heures de planque pour obtenir ces clichés, qui montrent clairement un couple dans l'acte. Un couple homosexuel, dans des positions que Jake n'avait jamais imaginées avant. Il ne connait pas le plus jeune des deux. L'autre, en revanche, est un industriel de la Silicon Valley, un ponte qui baigne dans le pognon et qui doit bien avoir vingt de plus que son partenaire. Est-ce que les photos serviront à du blackmail ou à un divorce, Jake l'ignore. Son job c'est de les prendre, le pourquoi et le comment, ça ne le regarde pas. Si une raclure perd sa fortune à cause de cela, c'en est de toute façon pas un mal.

Une fois satisfait du travail, Jake prend son téléphone, une antiquité également, et compose le numéro de son employeur du moment.






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