Épisode 3 - 12 Désirs Interdits

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Jake monte les escaliers qui mènent à son appartement, rincé. Il n'a pas été suivi, il en est sûr, mais il a quand même dû faire un sacré détour, juste au cas où. Il est tard à présent. Le bar a même fermé et seul le silence est audible. Il cherche les clefs dans son imper, avant de les glisser dans la serrure. Il n'a même pas besoin de tourner la clef que la porte s'ouvre en grinçant, clairement fracturée.

Comment ont-ils fait pour venir si rapidement ? Ou s'agit-il d'un cambriolage ? Jake se décale et colle son dos au mur, tout en dégainant son arme, pour la seconde fois de la soirée. Quelqu'un de sensé appellerait la police, mais il se voit mal expliquer certaines choses à ses anciens collègues. Après tout, il a abattu un homme ce soir. Il pousse la porte du bout des doigts, à couvert au cas où on lui tirerait dessus, avant d'entrer, prêt à sécuriser les lieux.

Il n'en aura pas vraiment l'utilité. Son appartement est sans dessus-dessous, certes, mais il est le seul à blâmer pour cela. La lampe de sa pièce de vie est allumée, diffusant une lumière blafarde sur les murs tachés. Une femme est assise derrière le bureau, un verre à la main et une revue sur les genoux.

Lorsqu'elle entend le privé elle lève les yeux et le cœur de l'homme fond comme neige au soleil. Ce n'est pas une femme qui est venue, mais celle pour qui il a tout perdu. Celle qu'il n'a pas le droit d'approcher à moins de cinq-cents mètres, sous peine de finir en prison.

— Bonsoir Jake, lui dit Kathy.

Elle est plus pâle que dans ses souvenirs. Moins innocente aussi. Il est habitué au stress et à la pression, mais la surprise est totale et il ne trouve pas quoi répondre. Désarmé par une adolescente...

— Tu peux ranger ton arme ?

Il se rend compte alors que le Colt est toujours braqué sur la silhouette féminine. Il marmonne des excuses, puis le range et le sécurise dans le holster. Il enlève ensuite son imperméable, qu'il pose sur l'accoudoir du canapé.

— Que fais-tu ici ? lui demande-t-il, honnêtement confus.

Est-ce qu'elle a des problèmes ? Veut-t-elle le faire chanter ? Se doute-t-elle pour son père ? Et pour sa sœur ? Laura Vaughn... Jake a en effet découvert, ce soir même, que la sœur aînée de Kathy avait fait une overdose, alors-même qu'elle était enceinte. C'est probablement l'un des secrets de famille les mieux gardés de San Francisco. Peu nombreux sont ceux qui savent que ce n'était pas un suicide.

— J'ai besoin de ton aide pour retrouver quelqu'un, dit-elle. Rien de plus.

C'est donc cela... Il se sentait déjà concerné alors qu'elle a juste besoin d'un privé. Il y a bien eu quelque chose entre eux, à un moment, mais plus maintenant. Il devrait avoir honte rien que d'y penser : elle est plus jeune que sa propre fille. Plus jeune que Taylor. Mais même s'il se hait pour sa faiblesse, les souvenirs sont bons. Elle l'a sorti de la dépression, quand il réapprenait à se servir de son bras. Et elle lui a donné de l'affection, une affection féminine. Cecilia l'avait comme castré au fil des années et cette gamine a réveillé une jeunesse oubliée. Comment peut-il détester ces moments d'égarement ? Comment peut-il les assumer ?

Mais ce n'est pas ce qui l'a fait venir, au milieu de la nuit, dans son antre de vieux garçon. Non, c'est le business.

— Retrouver qui ?

— Quelqu'un que tu connais. Lionel Vance.

La surprise doit se lire sur le visage de Jake, car Kathy complète ses propos :

— C'est un... ami. Il a disparu, il y a quelques jours et ça ne lui ressemble pas. Comme c'est ton travail, je me suis dit que tu pourrais aider. Je te paierai.

— Il te fréquente ?

— On peut dire cela.

Et là Jake comprend. C'était étrange qu'un riche mécène l'aborde dans son appartement miteux pour lui demander des photos, avant même qu'il n'ait de clientèle en tant que détective. Il n'avait pas capté à l'époque le pourquoi et le comment, mais les choses deviennent plus claires : si Lionel l'a contacté, c'est sûrement parce qu'il connaissait déjà Kathy. Et l'enquête sur son père ? Est-elle aussi au courant ? À quel jeu jouent-ils ?

Il aura des questions à poser au bellâtre. Enfin, il faut le retrouver avant.

— Qu'est-ce que tu peux me donner comme infos ?

La glace étant brisée par le côté professionnel, il se décrispe et sort un petit carnet avec un stylo, puis vient s'asseoir sur son canapé. Les yeux bleus de la jeune femme le brûlent, mais il fait de son mieux pour les ignorer et s'intéresser à l'affaire.

— La dernière fois que je lui ai parlé, c'est au téléphone, il y a cinq jours. Vers midi, j'ai encore l'historique sur mon téléphone. Depuis, plus rien. Je suis passé à son hôtel et à son manoir, mais tout était normal.

Pourquoi sa voix lui fait-elle autant d'effet ? Il a eu l'occasion d'entendre des jeunes femmes minauder, surtout quand il s'agissait de lui faire détourner les yeux d'un délit ou d'un crime. Mais jamais il n'en a été affecté. Alors qu'elle... Pourtant, elle n'essaye pas de le séduire. Il ne croit pas, en tout cas. Mais il n'a jamais été doué pour lire les femmes.

Il toussote et reprend :

— Une idée d'où il était, lors de cette dernière conversation ?

— Non, aucune.

— Il va falloir passer chez lui alors, et dans cet hôtel. Il fréquente des lieux en particulier ? Il a des amis? Des ennemis ?

La jeune femme se pince la lèvre, gênée par les questions. Il faut dire que lui-même en sait très peu sur ce Lionel. Il s'est bien sûr renseigné au moment de leur première affaire ensemble, mais à part que le jeune homme venait d'arriver à San Francisco et que son compte en banque était bien garni, il n'y avait rien de notable. Aucune infraction, aucune fraude fiscale, pas même un ticket de parking impayé. Si Jake avait été regardant, il n'aurait sûrement jamais accepté le moindre chèque. Il n'a juste plus le loisir d'être regardant.

Elle finit par répondre :

— C'était une mauvaise idée. Je suis désolée.

Elle se lève et enfile sa veste en cuir. Le privé la retient par le poignet quand elle passe à son niveau. Sa peau est satinée. Glacée aussi :

— Je ne veux pas empiéter sur ses affaires, ni les tiennes. Mais si tu veux le retrouver, il va falloir creuser. Et oui, ça veut dire déterrer les corps dans le jardin. C'est à toi de voir ce qui compte : le retrouver ? Ou protéger ses secrets...

Le regard qu'elle lui lance est celui d'une femme qui a peur. De quoi il l'ignore, mais entre Henry Vaughn et Lionel, les dangers sont plus que présents. Kathy l'observe longuement, sans rien dire, sans se défaire ce contact glacial et brûlant à la fois.

Une lueur de détermination passe finalement dans ses yeux :

— Okay. Je te conduis chez lui.


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