Épisode 4 - 2 L'Affaire Dracula

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Jake se gare devant la maison de sa fille. Il coupe le contact, sans sortir pour le moment. Il est encore tôt. Quelques personnes font leur jogging du samedi matin.

Il observe sa mine fatiguée dans le rétroviseur intérieur. Il a bien fait de ne pas boire depuis le message d'Andrea, trois jours plus tôt. Au moins il ressemble vaguement à un être humain.

Il fouille dans sa boîte à gant et sort un spray mentholé, qu'il utilise aussitôt.

— On dirait un puceau à son bal de promo, commente-t-il à voix haute.

La plaisanterie ne le décrispe pas. Il prend une inspiration, puis sort du véhicule, avant de se diriger vers la porte d'entrée.

Il sonne, le cœur en branle. Puis il attend, de longues secondes, avant d'entendre des pas qui se rapprochent. Le son de la clef qui tourne dans la serrure. Le battant qui s'ouvre.

Et finalement il se retrouve face à sa fille. La peur qui lui noue le ventre n'a rien à envier à celle que l'on peut ressentir quand sa vie est en jeu.

Il ne peut s'empêcher d'admirer la femme qu'elle est devenue. Il a toujours pensé que sa petite fille irait loin : intelligente, indépendante, le caractère trempé. Jamais il n'en a douté. Mais elle dégage quelque chose qui va au-delà de ce qu'il pouvait imaginer.

Elle le laisse entrer, sans dire quoi que ce soit. C'est la première fois qu'il vient chez elle depuis le divorce. Mais comme Cecilia détestait le quartier, ils ne sont pas souvent venus avant non plus.

La jeune fille ouvre la porte du salon et il entre à sa suite. Ne sachant trop quoi dire pour briser la glace, il essaye néanmoins :

— Taylor vit toujours chez toi ?

— Oui. Mais elle est sortie. Elle allait à un enterrement.

— Ah. Merde...

Pas le meilleur sujet de discussion pour commencer. Il n'ajoute rien.

Le salon est encombré de documents. Des photocopies et non les originaux, comme le remarque immédiatement Jake. Il enlève son imperméable et le pose sur l'accoudoir d'un canapé.

— Tu veux boire quelque chose ? lui demande sa fille.

— Je veux bien un café.

— Noir ?

— Oui.

Elle le laisse et se dirige vers la cuisine. Un carton de pizza traine sur un coin de table et trois cannettes de bière sont posées par terre. Un signe qui ne trompe pas le flic en lui : elle a passé une partie de la nuit à travailler.

Il parcourt les dossiers. Il ne lui faut qu'un instant pour se rendre compte que l'enquête est loin d'être banale. Une quinzaine de corps en deux semaines, rien que cela. Il en a entendu parler, la télévision nationale a déjà diffusé certaines images.

— Ton café.

— Merci. Tu es sur l'enquête Dracula ?

— J'étais. Le FBI a repris le dossier en main.

Elle a pris un café également. Un sucre et de la crème. Au moins une chose qui n'a pas changé.

— C'est ce que je me disais, dit-il, les feds n'auraient pas laissé passer ça.

— Non. Mais je continue pendant mon temps libre. C'est trop gros pour que j'oublie.

— Je vois.

Il évite de commenter que c'est en effet plutôt le travail des fédéraux et pas celui d'une jeune flic qui se la joue solo. Mais ça ne serait pas le plus constructif et elle ne l'a pas appelé pour son rôle de père. Il ne mérite plus celui-ci depuis longtemps.

Il prend une gorgée de café, avant de s'exprimer :

— Dis-moi ce que tu sais.

— Les meurtres ont commencé fin février, avec trois corps retrouvés dans un paquebot, sur North Beach. Depuis, il y a eu plusieurs victimes, dans des lieux aussi différents que des bars, des ruelles ou des clubs, mais jamais deux fois au même endroit. On n'a trouvé aucun lien entre elles.

— Mode opératoire ?

— Les victimes sont toutes mortes d'un arrêt cardiaque, dû à une hémorragie. Le légiste dit que cela n'a pas duré plus de cinq minutes. Il pense qu'on les a suspendues par les pieds et que le sang a été pris à la gorge. Sinon il n'explique pas une perte de sang aussi rapide.

— Comme un abattoir ?

— Oui. Mais si certaines victimes ont été déplacées après la mort, d'autres ne l'ont pas été, ce qui fausse la théorie, car il y aurait forcément des traces. Or là, rien.

— Les victimes se sont débattues ?

— Certains oui, notamment les premières. Mais les suivantes semblent s'être laissé faire, alors qu'elles n'ont pas été droguées, même si certaines étaient loin d'être cleans. Quand il y a eu lutte, l'agresseur a démontré une grande force physique. Mais ça a toujours été très bref, le combat n'a jamais duré plus de quelques secondes.

Jake reprend un peu de café. Il commence à comprendre pourquoi Andrea l'a fait venir. Non pas qu'elle manque de ressources, mais l'enquête semble particulièrement compliquée, surtout sans les ressources du commissariat.

Andrea a l'air fatiguée, mais déterminée. Il est bien placé pour savoir que lorsqu'elle est comme ça, rien ni personne ne l'arrête.

— Un profil psychologique a été établi ? demande-t-il.

— C'est aussi là que ça coince. Le tueur n'est pas sadique. Les victimes ont peu souffert. Certaines avaient même des taux d'endorphines très élevé au moment du décès, comme si elles y avaient pris du plaisir. Il ne semble pas non plus cibler un type de personnes en particulier et il n'a pas l'air de jouer avec la police. Pas de messages, ni symbolisme, ni lettres. Certains corps étaient cachés, principalement les derniers que nous avons trouvés. Il s'agirait, en fait, d'un criminel qui éprouve un besoin intarissable de tuer, selon son mode opératoire, mais qui n'en est pas fier. D'ailleurs, les feds ont aussi gardé le surnom « Dracula ». Ils se demandent si le tueur ne se prendrait pas réellement pour un vampire, ce qui explique l'attrait pour le sang. Mais c'est la seule maladie psychologique que les profilers ont trouvé. À part cela, il serait sain d'esprit.

— Comment un maniaque pareil pourrait être sain ?

— Jamais dit que je partageais cet avis. Et ils n'arrivent pas non plus à lui donner un sexe ou un âge. On a quelques témoignages, mais pour l'instant ils sont contradictoires. Sans compter tous les appels qu'on reçoit de rigolos. C'est un sacré morceau.

— Oui je vois ça.

— Autant te le dire tout de suite, je ne pourrai pas te payer. Je fais déjà ça en dehors de mon job depuis qu'on nous a retiré l'enquête... Et c'est même pas pour la gloire : je n'ai pas le droit de m'en occuper.

Il réfléchit un instant. S'il accepte, il aura du mal à trouver un contrat rémunérateur à côté, avec tout le temps que cela lui prendra. Mais en même temps, il travaillerait avec sa fille. Qu'est-ce qui a le plus d'importance pour lui aujourd'hui ?

Et puis Kathy l'a suffisamment payé, il peut survivre encore un mois sans rémunération.

— Okay, dit-il finalement. Je vais t'aider.

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