Épisode 4 - 21 Donuts & Cinema

246 28 46
                                    

Il a beau être encore tôt le matin, la queue devant la petite boutique se montre déjà importante et empiète sur une partie du trottoir. Un autre flic paye au comptoir et s'en va avec une boîte géante sur les bras : c'est sans aucun doute son tour d'apporter le petit déjeuner à ses collègues, ou alors sa femme vient d'accoucher. Vient bientôt le tour de Jake, qui se contente de quatre donuts, question de cholestérol. Il prend aussi deux lattés, paye tout de même une vingtaine de dollars et rejoint la voiture d'Andrea, garée en double-file.

Il monte côté passager, tandis qu'un conducteur un peu pressé double en klaxonnant. Il doit pousser les portraits-robots de la jeune femme de la station-service. Ils ont déjà interrogé plusieurs témoins, dont quelques-uns pensent l'avoir déjà vu. Cela ne les mène pas bien loin pour le moment, mais il leur reste plusieurs dizaine de personnes à interroger.

— On était vraiment obligés d'aller jusqu'à Mission pour des donuts ? lui demande Andrea.

Il ne s'agit en effet pas du plus beau quartier de San Francisco. Pas mal de clochards et les murs des maisons sont presque tous tagués. Pas des tags obscènes ou même ratés, on parlera plutôt de street-art, mais cela en dit tout de même long sur l'endroit.

— Bien sûr, répond-t-il tandis qu'elle démarre. Ce sont les meilleurs de la ville et crois-moi, je parle d'expérience.

— C'est un peu cliché, tu trouves pas ?

— Quoi ?

— Le flic et ses donuts. J'ai rien contre de temps en temps, mais de là à faire tant d'efforts...

— Je t'en ai pris un au fruit de la passion et chocolat lait et surtout leur spécialité : glaçage au sirop d'étable, bacon et pommes caramélisés.

Sa fille ne trouve rien à répondre à cela. Elle se sert dans la boîte qu'il tient ouverte sur les genoux et, tout en conduisant, porte la pâtisserie à ses lèvres. Elle prend une bouchée, puis une seconde.

— Alors ?

— Hmmm.

— N'est-ce pas ?

— Ouais, okay, j'ai rien à redire. C'est une tuerie. Je vais demander ma mutation à Mission.

Difficile de savoir à quel point elle plaisante. Jake sait que la nourriture relève du sacré pour Andrea et que même si elle cuisine assez peu, elle éprouve une passion sans bornes pour les bonnes choses. Flic est un bon métier dans ce cas-là, ça permet de garder un équilibre de vie, pour peu que l'on s'entraîne régulièrement.

Il avale lui-même son donut au chocolat épicé, dont la recette n'a pas changée depuis l'ouverture du magasin, il y a une huitaine d'années. Cela le rend nostalgique de ce temps où tout paraissait plus simple. La fierté de l'uniforme, mais aussi la relation avec sa fille qui a grandi trop vite, l'estime de soi, qui a disparu quand il a perdu son bras et simplement la sensation, la certitude même d'avoir un but dans sa vie. Ces convictions lui manquent.

— Tu connais bien la mère de Taylor ? lui demande soudainement sa fille.

— Ta tante ?

Elle acquiesce. Il s'essuie la bouche avant de continuer :

— Je n'ai pas vu Zoé depuis des années. Depuis qu'elle est partie pour New-York. C'était un peu la bête noire des Bergmans et ta mère et elle s'entendait moyennement. Pourquoi ?

— Je me demande... Taylor a toujours été discrète sur ce qui l'a poussée à revenir à San Francisco. Mais je me demande maintenant si c'est pas parce qu'elle est gay.

— Tu penses ?

— Ça expliquerait peut-être.

Jake réfléchit, un instant perturbé par la conduite agressive de la jeune femme, qui manque de renverser un couple de piétons. Cela n'a pourtant pas l'air de la troubler outre mesure.

Love BitesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant