Jake était tellement épuisé qu'il en a eu du mal à trouver le sommeil. Ses rêves étaient inconstants, comme un tourbillon de sensations et de violence. Le genre de nuits qui semble durer une éternité. Kathy y avait sa place. La jeune femme le forçait à manger des lames de rasoir qu'il sentait glisser dans sa gorge comme des sanglots refoulés. Lionel flottait dans la baie, vivant tandis que des crabes le dévoraient lentement. Il parlait de façon décousue, donnant encore et toujours le même contrat au privé. Vaughn lui hurlait dessus, puis se métamorphosait en Cecilia et son air suffisant, ses lèvres pincées...
Autant dire que quand Kathy vient frapper à sa porte vers les six heures du matin, il n'est pas aussi reposé qu'il l'aurait voulu.
— Tu as une sale tête, lui dit-elle en guise de bonjour.
Il ne nie pas.
— Je vais prendre une douche. Installe-toi.
— Besoin d'aide ? lui demande-t-elle, l'air sérieux.
— Pardon ?
— Avec ton bras, je veux dire.
Il se sent gêné. Ses premières pensées n'étaient pas allées à sa prothèse. Pourtant elle l'a accompagné lors de sa longue rééducation. Elle lui a permis d'accepter sa situation, de ne pas se trouver monstrueux. Personne d'autre ne connaît aussi bien ses failles et ses souffrances, quand il y pense. Même pas sa fille, avec qui il n'a pas reparlé depuis cette fameuse discussion, quand elle lui a demandé de sortir de sa vie et de celle de Taylor. Il est seul depuis... et pathétique.
— Merci, ça va aller. Je m'y suis fait.
Elle ne répond pas, tandis qu'il va se doucher. Lorsqu'il revient, elle a mis la carte sur le bureau et est en train de l'étudier. Il ouvre les lourds rideaux pour laisser passer un peu de lumière, puis il prend son téléphone.
Commence bientôt le long ballet des appels : clubs de bateau ou de plongée, garde-côtes, hôpitaux, autorités portuaires, agences de location. Les choix pour débarquer sont nombreux, quand on a un simple hors-bord dans la baie de San Francisco.
Kathy et lui y passent la journée, barrant sur la carte les différents embarcadères à mesure qu'on les informe. Ni Lionel ni le hors-bord n'ont été vus où que ce soit. L'agence de location du bateau leur a dit que la caution avait été débitée deux jours plus tôt, pour non-retour. Bien sûr, l'option GPS n'avait pas été prise par le fameux Rafael Richmond et ils n'ont aucune idée d'où est l'embarcation.
— On y arrivera jamais... lâche Kathy.
La jeune femme est dépitée. Il est presque 16h et ils ont fini de rayer de la carte les derniers lieux potentiels. Ils ont poussé leurs recherches jusqu'à Honker Bay, mais sans aucun succès. Font-ils fausse piste depuis le début ? Sans compter qu'un hors-bord n'a pas besoin d'un embarcadère pour accoster. Il peut potentiellement le faire sur n'importe quelle plage. Ils ont bien appelé celles qui étaient publiques, quitte à attendre parfois de longues minutes le temps qu'une personne responsable daigne les renseigner, mais c'est beaucoup plus compliqué quand il s'agit de plages privées. Et pas plus concluant.
— Je ne sais pas quoi te dire, répond Jake. Ce gars est un fantôme.
— Qu'est-ce qu'on peut faire ?
— On a peut-être raté quelque chose. Reprenons ce que l'on sait : après le concert, il a ramené Liz chez elle. Là il a reçu un coup de fil d'une femme et est parti précipitamment dans un entrepôt désaffecté, où il semble avoir été kidnappé. Sur place il y avait la voiture d'Annabelle Smith, sûrement un faux nom, qui est quelqu'un dont il avait peur. Il t'a appelé de l'entrepôt, vu les horaires c'est ce qui semble, puis son portable a été détruit et il est parti pour Mission Bay. On ne sait pas s'il était seul, mais c'est improbable. Il a loué un bateau au nom de Rafael Richmond et a laissé sa voiture sur place. Le bateau n'a pas été retrouvé.
— C'est ça.
Il porte ses mains à ses yeux, pour chasser un instant la fatigue et se remettre les idées au clair. Il respire profondément, pour laisser ses pensées s'organiser d'elles-mêmes. S'il était à la place de Lionel, dans l'hypothèse où celui-ci a été enlevé, que ferait-t-il ? Il tenterait d'utiliser son portable en premier lieu, mais celui-ci a été détruit. Comment pourrait-il laisser un indice sur l'endroit où il va ? Ou sur la personne qui l'a pris en otage ?
Il n'a probablement pas eu beaucoup de marge de manœuvre. S'il a pu louer un bateau et conduire, c'est qu'il était surveillé de près, mais probablement pas ligoté dans le coffre de la voiture. Sinon, il n'aurait pas signé lui-même...
La signature.
— Pourquoi Rafael Richmond ? demande-t-il à Kathy.
— Je ne sais pas. Ça ne me dit vraiment rien. Attends, je vais chercher sur Internet.
Cela ne lui prend qu'un instant, puis son regard s'illumine :
— On est trop bêtes Jake !
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— C'est le nom du pont. Quand je tape ça, je tombe direct sur le Pont Richmond-San Rafael.
Jake regarde aussitôt sur la carte. C'est bien le pont qui coupe la carte au nord de la baie. Ils n'ont pas appelé dans ce coin, car ce n'est pas évident d'accoster ou que ce soit là-bas. Mais pourquoi Lionel aurait-il laissé cet indice ? Puis, tout à coup, le privé comprend :
— Je vois. Il y a un endroit sur lequel on ne s'est pas renseignés. Red Rock Island. C'est juste à côté du pont. Privé. Rien à y voir. Mais il y a une plage.
— Mais il n'y a rien là-bas, si ?
— Non, mais d'un côté du pont tu as la prison et de l'autre c'est juste une route côtière. La seule destination possible dans le coin, c'est cette île. Je ne dis pas qu'il y est, mais c'est la seule piste que j'ai.
— Okay. Je vois pas ce qu'il y ferait, mais j'ai pas mieux non plus. On fait quoi ?
— Tu pourrais nous louer un hors-bord toi aussi ?
— Bien sûr. Je les appelle de suite.
Peu après ils quittent l'appartement pour la côte. Il est presque 18h quand ils arrivent de nouveau à l'embarcadère de Mission Bay, là où un bateau à moteur les attend.
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Love Bites
ParanormalBelle, insolente, sorcière et lesbienne, Taylor survit à San Francisco en tant que simple barmaid. Jake est un ancien-flic, à présent détective privé et passablement alcoolique. Enfin, Lionel est un vampire trop sûr de lui et peu habitué au rejet. H...