Lionel attend, immobile sur l'une des chaises de son manoir. Les ouvriers qui travaillent la journée sont partis. Ceux-ci font de toute façon leur possible pour éviter le vampire, tout comme Liz, qui ne dort plus ici depuis quelques jours. Il ignore si elle reviendra. Il ne sait même pas si elle a laissé ses affaires ou non. Cela l'indiffère.
Une voiture se gare sur la petite allée, qui a paraît-il été réaménagée par l'entreprise de travaux. Il reconnaît le bruit de moteur de la Ferrari de Kathy. Elle sort du véhicule, accompagnée d'une femme, si on en croit le bruit des talons sur le sol.
Depuis qu'elle l'a retrouvée, la jeune vampire joue les livreuses de pizza, lui apportant chaque soir son repas. Dire qu'il y a quelques semaines encore elle se montrait incapable de chasser seule... C'en est humiliant.
La porte d'entrée s'ouvre et des voix lui parviennent :
— Ouaw ! Tu plaisantais pas, sacré manoir.
— Et encore, tu n'as rien vu.
— Et tu y vis avec ton mec ?
— On peut dire cela, oui.
Elles entrent finalement dans le salon et arrêtent de discuter. Il devine l'air surpris de la proie du soir, qui ne devait pas s'attendre à ce que le soi-disant amant de Kathy soit aveugle. Il reste impassible. La Soif ne le dévore pas encore de l'intérieur, même si l'idée de s'abreuver excite ses sens.
— Tu m'avais pas dit qu'il...
— Cela te pose problème ?
— Non. Au contraire, c'est plutôt excitant.
Lionel ne connaît pas son nom. Elle se rapproche. Il prend une inspiration et son odeur lui parvient : son sang drogué, son parfum sucré, sa sueur acide, son souffle alcoolisé, son déodorant de mauvaise qualité, le cuir de sa veste...
Elle ne se présente pas et l'embrasse de ses lèvres maquillées. Kathy doit rager intérieurement, mais elle n'intervient pas.
La fille entreprend de lui déboutonner la chemise, passant ses mains moites sur le corps froid du vampire. Elle semble trop saoule pour se rendre compte de quoi que ce soit. Ses baisers humides descendent dans le cou de Lionel. Il ne peut s'empêcher de penser à Taylor. Il aimerait que ce soit sa langue à elle qui caresse sa peau, et non une inconnue ramassée dans un club quelconque.
Les doigts manucurés s'attaquent ensuite à son pantalon. C'en est trop pour Kathy qui s'en va. Il ne sait pas pourquoi il la blesse comme ça. Elle s'occupe de lui, elle l'aide à survivre et à surmonter sa nouvelle condition, mais il a de plus en plus de mal à la supporter. Ou plutôt, il ne supporte pas cette relation de dépendance qu'il entretient à présent avec elle. Il est incapable de se nourrir sans elle.
Et il lui en veut.
La fille touche son sexe, mais sans que cela ne l'excite. En réponse il glisse sa main sur son corps et remonte vers son cou. Elle se laisse faire et gémit à son oreille.
Puis il la saisit par la nuque.
— Tu te la joues mauvais garçon ? J'aime ça...
De sa main libre il repousse ses cheveux, avant de l'attirer à lui. Ses lèvres effleurent la gorge offerte de l'humaine, tandis que ses crocs sortent lentement. Il prend son temps et perce doucement la peau fine. Le sang coule lentement dans sa bouche, lui offrant un plaisir contrôlé.
Elle s'abandonne totalement sous l'extase qui monte peu à peu en intensité. Quelle ironie que l'agonie soit aussi voluptueuse... Si elle était douloureuse, les vampires auraient certainement été détruits au fil des siècles.
Il la mord plus profondément à présent, aspirant chaque once de sa vie avec une malsaine délectation. L'espace d'un instant il oublie ses yeux arrachés, sa sœur castratrice, son ex insensible et son Sire cruel... Tout ce qui compte glisse dans sa gorge et se répand en lui...
Le moment d'arrêter arrive cependant, bien trop vite. Il le sent, s'il continue de boire elle sera trop faible et devra aller à l'hôpital, voire à la morgue.
Mais s'il s'arrête, sa non-vie reprendra plus tôt.
Il l'agrippe plus fort encore et dérobe sa vie avec fureur. La peur de la mort se mêle au plaisir chez la fille, ce qui décuple le désir morbide de Lionel. Tout disparait. Seule la jouissance demeure. Tuer le remplit de volupté.
Le cœur de sa victime lâche finalement. Il la lâche et elle tombe lourdement sur le sol, pendant qu'il reprend conscience du monde et de l'instant présent. Le vampire a beau s'être abreuvé plus que de raison, les plaies de ses yeux ne guérissent pas. Il n'a senti aucune amélioration depuis qu'ils lui ont été arrachés pour tout dire...
— Lionel ! crie Kathy, quand elle découvre la scène.
Elle se précipite vers la victime, même si elle ne peut ignorer que celle-ci a rendu l'âme. Elle vérifie néanmoins, avant de se redresser, juste à côté de lui. Son rythme cardiaque s'est accéléré. Il l'a mise en colère :
— Je peux savoir ce qui t'a pris ?
Il ne répond pas, ce qui n'aide pas à calmer la situation.
— Et maintenant on fait quoi ? Les voisins doivent déjà se demander pourquoi on reçoit quelqu'un de différent tous les soirs. Si en plus tu les tues... Après tout ce que tu m'as dit sur le contrôle, qu'il ne fallait pas tuer si c'était pas nécessaire, qu'il en allait de notre survie. T'es un hypocrite.
Le corps à leurs pieds refroidit déjà. Cela dégoûte Lionel. C'est comme quand un humain a mangé et que devant lui ne restent que les déchets écœurants de son repas. Les cadavres lui ont toujours fait le même effet.
— Toujours rien à me répondre ?
— Qu'est-ce que tu veux que je te réponde, Kathy. Elle est morte, on ne va pas en faire tout un drame.
— Tu m'as pas dit ce qu'on en faisait. Il y a des travaux dans le manoir, si on l'enterre ça se verra. Si on la met à la cave ça se verra. Putain Lionel... J'ai même pas vingt ans... Je ne devrais pas penser à comment cacher un corps.
— Non. Tu devrais être morte.
Un silence suit la phrase de Lionel. Elle hésite certainement entre le gifler, pleurer ou l'abandonner là. Il l'imagine le point serré et les yeux humides. Mais si les mots lui ont fait mal à elle, ils l'ont aussi meurtri lui. Pourquoi se montre-t-il encore sensible ? Après ce qui lui est arrivé, il ne devrait pas ressentir d'empathie pour quelqu'un d'autre.
— Je sais pourquoi tu dis ça, Lionel, répond-t-elle avec plus de calme que prévu. Tu es faible. Tu es aveugle. Tu ne peux plus te débrouiller seul, alors que ça fait deux siècles que tu ne peux compter que sur toi. Et là tu dois t'appuyer sur une gamine pour te nourrir, te laver, te déplacer...
Les mots l'écorchent à vif. Elle continue.
— C'est dur. Mais tu n'es pas le seul à qui ça arrive. J'ai déjà accompagné des hommes en rééducation. Ils réagissaient comme toi. Ils n'acceptent pas et cherchent un coupable. Ils essayent de faire du mal à ceux qui s'occupent d'eux, parce que c'est la seule chose qu'ils peuvent encore faire. Mais tu auras beau essayer de me blesser et de me repousser, je sais que c'est la peur qui parle. Je ne me laisserai pas faire, alors autant prendre sur toi et te faire à l'idée que je suis là. Peut-être que tes yeux reviendront, peut-être pas, mais arrête de t'apitoyer sur ton sort.
Cette fois elle se tait.
Le vampire sent la colère qui monte en lui. Elle l'a touché là où ça fait mal et il a juste envie de l'étrangler. Mais il n'en fait rien. Il sait qu'elle a raison. C'est peut-être ça qui s'avère si douloureux : il a besoin d'elle.
— D'accord, finit-il par dire. On va s'occuper du corps.
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Love Bites
ParanormalBelle, insolente, sorcière et lesbienne, Taylor survit à San Francisco en tant que simple barmaid. Jake est un ancien-flic, à présent détective privé et passablement alcoolique. Enfin, Lionel est un vampire trop sûr de lui et peu habitué au rejet. H...