Épisode 3 - 6 Le Secret des Vaughn

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Le sénateur sort de sa villa sur le coup des 18h30, sans chauffeur. C'est une première, du moins depuis que Jake le piste. Il est au volant d'une berline noire, qu'il conduit gentiment, comme tout homme habitué à la prudence et aux compromis. Il y a vraiment deux espèces de riches : ceux qui flambent leur vie en quête d'expérience et ceux qui feraient n'importe quoi pour conserver leur pouvoir et leur argent. Ce ne sont pas forcément ceux de la première catégorie qui sont le plus dangereux.

Jake suit à une distance confortable le politicien, sans trop d'efforts. Le jour est déjà en train de dépérir et les lampadaires s'allument petit à petit, à mesure que les minutes passent et que la nuit prend ses marques. Il a branché un scanner de police à tout hasard, pour être sûr de ne pas tomber dans un traquenard. Les messages échangés sur la boîte mail de Henry Vaughn étaient en effet particulièrement sibyllins et ne présageaient rien de bon.

C'est d'autant plus vrai quand on voit la direction que prend le sénateur et les quartiers dans lesquels il s'engage. En effet, Jake le suit vers Bayview, un district du sud-est de San Francisco longtemps réputé pour sa marginalisation et son taux de criminalité. Les pouvoirs publics font leur possible pour donner une nouvelle vie au quartier, ce qui consiste globalement à évincer les populations afro-américaines en augmentant le coût de la vie et en les poussant à l'extérieur de San Francisco. Tout un programme. Pour l'instant, le quartier ressemble juste à un vaste chantier, sans âme. Et clairement, ce n'est pas le genre d'endroit où on retrouve un sénateur blanc et riche, à part s'il doit donner un coup de ciseau à une banderole ou prêcher pour quelques voix.

Jake n'aime pas la politique.

Ils passent en voiture devant des maisons décrépies, des squats de junky et des magasins qui ont enchaîné les crises économiques comme une starlette de télé réalité enchaîne les avortements. Autour d'un pick-up, des membres de gang fument du crack en écoutant du rap, les mots « pussy » et « nigger » gagnant haut la main le concours de popularité. Certains portent même ostensiblement des armes à feu, comme s'ils se croyaient à Détroit ou Chicago. Le détective imagine très bien les mains moites du sénateur qui doit être tout sauf à l'aise dans ces quartiers chauds. Jake n'est lui-même pas mécontent d'avoir pris une arme. Pas à cause des gangs ou des paumés, mais bien parce que son instinct hurle au danger : la dernière fois que ça lui est arrivé, il a perdu un bras.

Finalement le politicien quitte les quartiers résidentiels et rejoint l'ancien arsenal, désaffecté depuis les années 70. Il y a bien eu quelques projets de rénovation, notamment parce que le site a tout de même subi une contamination radioactive et plusieurs feux de charbons, mais aujourd'hui pas grand-chose n'a été fait. Quelques maisons par-ci par-là ne comptent pas vraiment, même si c'est un début.

Ce n'est de toute façon pas vers les habitations que se dirige la berline mais vers d'anciens entrepôts. Il faudra un jour qu'on explique à Jake cet attrait qu'on les vilains pour se rencontrer dans des entrepôts. Il laisse le sénateur prendre encore un peu d'avance, comme les lumières de la ville se font de plus en plus rares, comme s'ils entraient dans une zone en-dehors du temps et de la Californie. Il éteint même ses phares et roule dans la semi-obscurité. Les échanges radios de la police ne lui révèlent rien, quant à eux. Aucune opération dans le secteur.

Monsieur Vaughn se gare finalement, devant l'entrée d'un vieux bâtiment qui fait face à la Baie et dont le toit a été consommé par un incendie. Jake s'engage derrière un chantier qui semble avoir été abandonné et se gare à l'écart. Il fouille dans la boîte à gants et ramasse une lampe torche et quelques cartouches de revolver. Il sort ensuite de sa voiture et referme la portière en silence, avant de se diriger vers l'endroit du rendez-vous.

Lorsqu'il rejoint le bâtiment, aussi grand qu'un terrain de football, le sénateur est déjà à l'intérieur. Pas d'autre véhicule pour le moment. Par chance, ou plutôt par dessein, ce ne sont pas les entrées qui manquent. Le privé s'approche par le côté opposé, celui qui est en partie détruit, avant de rentrer par les restes d'un mur. Cela lui demande un peu d'escalade et surtout beaucoup de délicatesse, car les briques sont mobiles et manquent de s'écrouler à chaque pas. En plus d'être dangereux, ce ne serait pas des plus discrets.

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