Épisode 2 - 21 La Sorcière Ardente

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Annabelle s'allumerait bien une cigarette. C'est bien là la preuve que des addictions peuvent naître même dans la non-vie, car ce n'était pas là un vice de son vivant.

Taylor est allongée sur le sol, à ses côtés, immobile. Le cœur de la sorcière bat doucement dans sa poitrine, le son de l'organe palpitant berçant les oreilles de la vampire. La Soif se fait de plus en plus sentir et elle ignore combien de temps elle résistera avant de se jeter à la gorge de la jeune femme pour se gorger de son nectar rouge.

Elle se demande encore pourquoi elle ne le fait pas. Laisser Taylor se faire dévorer par cette bête aurait été dommage : cela aurait bien blessé Lionel, mais elle n'aurait pas été responsable et toute vengeance aurait été corrompue. Mais à présent, qu'est-ce qui l'empêche de vider la sorcière de son sang et de lui arracher la tête avant de sortir ? Une boîte en carton, un petit coursier et le message serait on ne peut plus clair... Sans compter que le liquide vital d'une sorcière est délicieux, si elle en croit les légendes.

Pourtant elle ne parvient pas à s'y résoudre. Elle n'a pas envie de la tuer, aussi surprenant cela soit-il. Et c'est la deuxième femme proche de Lionel qu'elle épargne en deux jours. Est-elle encore seulement capable de commettre ce genre de crimes par vengeance, où est-ce que le temps a finalement eu raison de sa passion ?

Si elle n'en est plus capable, il lui reste une seule solution : mettre un terme à cette danse macabre et tuer le vampire, ou mourir en essayant. Peut-être une dernière et grandiose mise en scène, pour un sanglant tombé de rideau ?

Ses pensées sont interrompues quand un spasme saisit le corps de Taylor. La jeune femme l'a prévenue qu'il lui arrivait de bouger quand elle n'est pas là, mais l'effet n'en est pas moins surprenant. Plus rien ne se passe pendant quelques minutes, puis de nouveau le corps inhabité s'agite, plus longtemps cette fois-ci. Un râle s'échappe même de la gorge de l'humaine.

Annabelle se rapproche et pose les mains sur le front et le cou de Taylor. Sa peau est chaude et son pouls se fait plus irrégulier. La vampire enlève la veste en cuir que lui avait prêtée sa compagne et la pose sur son buste, de plus en plus inquiète. Elle est même obligée de l'immobiliser quand d'autres spasmes plus violents que les autres la saisissent et elle veille à ce que sa protégée n'avale pas sa langue.

Puis tout à coup le corps de la sorcière s'immobilise à nouveau et ses yeux s'ouvrent.

— Tout va bien Taylor ?

Un sourire se glisse sur le visage de la sorcière. Elle lève la main et une lumière vive et éblouissante éclate, aveuglant Annabelle sur le moment. Quand elle se réhabitue à la luminosité, elle aperçoit une petite boule incandescente et brûlante dans la main de Taylor. Elle vient de créer du feu.

La blonde, qui s'est assise, s'observe et elle n'a pas l'air satisfaite de ce qu'elle voit.

— Que fais-je ici ? demande-t-elle.

Il n'en faut pas plus pour qu'Annabelle se rende compte que quelque chose ne va vraiment pas.

— Vous n'êtes pas Taylor ?

— Ai-je l'air d'une prude donzelle décérébrée ? J'imagine que oui, avec ce corps... ce corps frêle, fragile...

La main qui n'est pas enflammée glisse sur la robe de Taylor, passant sur ses seins, son ventre, puis ses cuisses. Elle en ferme les yeux, comme si le simple contact était délicieux.

— Qui êtes-vous ?

— Je me nomme Lenia. Mais ce nom ne vous dira rien, à mon grand regret.

Elle n'a pas tort. Par contre, cela en dit long sur les pouvoirs de Taylor, ou plus exactement les contreparties : quand elle abandonne son corps, quelqu'un d'autre peut le lui prendre. Et ce quelqu'un ne lui inspire absolument pas confiance.

Lenia se relève, avant de reporter son attention sur Annabelle, qui s'est également levée :

— Le corps de cette Taylor n'est pas désagréable, bien qu'un peu maigre à mon goût. Je pourrais m'y plaire. Mais il est un peu faible... à l'inverse du votre, si je peux me permettre. Vous êtes un peu âgée, certes, mais votre... nature ? Oui, votre nature serait incroyable. Imaginez, imaginez mes talents, mon esprit, mon âme dans ce corps. Ne serait-ce pas magnifique ?

— Non merci, ce serait une sacrée régression. Et ne vous habituez pas trop à ce réceptacle, votre hôtesse ne devrait pas tarder.

— Mais qui a dit que je vous laissais le choix ?

La main brûlante de la sorcière saisit Annabelle à la gorge et la plaque contre le mur, lui arrachant un hurlement de douleur et de surprise. Ses mains puissantes viennent enserrer le poignet délicat pour se dégager, mais il est aussi ardent qu'une fournaise et elle retire aussitôt ses doigts qui fument déjà. Elle parvient à peine à distinguer l'autre femme à travers le filtre trouble de la chaleur. Elle ne peut rien faire alors qu'elle sent ses chairs fondre.

Lenia pose alors sa main libre sur le crâne de la vampire, la paume contre son front, avant de commencer une incantation. La souffrance se déploie jusque dans son esprit, comme si des flammes vives lui léchaient le cerveau, ou qu'on avait versé de l'huile bouillante dans sa boîte crânienne. Ses hurlements déchirent le silence, tandis qu'elle sent l'esprit malsain de la sorcière entrer peu à peu en elle, repoussant sa propre conscience.

Des images lui viennent... Une fosse, creusée dans la terre boueuse, des corps mutilés, scarifiés. Une Lune Rougeoyante dans le ciel, des corps nus. Un pentacle, une orgie rituelle, une dague recouverte de sang. Des entrailles, que l'on fouille, à la recherche d'un signe, un symbole.

Un pasteur, une foule en colère. Des armes, des rires de démence et un bûcher. Les flammes et les cris, la peau qui fond et les muscles à vif. La fumée et les cris de fureur et de suppliques. La Bible et les applaudissements.

Annabelle comprend, par instinct, que si elle se laisse faire, Lenia sera victorieuse et prendra possession d'elle, peut-être à jamais. Sa main droite vient saisir la gorge de la sorcière, beaucoup plus faiblement qu'elle le voudrait, puis elle commence à serrer. Les paroles s'arrêtent malgré tout et la fournaise dans son crâne diminue d'intensité. En réponse, sa tortionnaire la lâche, avant de plonger sa main dans l'abdomen d'Annabelle, avec une facilité déconcertante.

Les genoux de la vampire se dérobent et elle tombe sur le sol, hurlant de toutes ses forces sous l'atroce souffrance. Les incantations reprennent, tandis que les doigts insidieux et incandescents se dirigent vers son cœur, glissant entre ce qui reste de ses organes tout en lui brûlant les entrailles.

Sa conscience est sur le point de céder, quand elle entend un vacarme, quelque part. La douleur disparait comme elle est venue et elle rouvre les yeux. La bête est là et elle se jette vers elles, toutes griffes dehors. La sorcière a le réflexe de tendre sa main ensanglantée vers la créature et un mur de flammes la protège de justesse, embrasant les poils et les chairs du monstres, qui pourtant continue de s'avancer. Lenia recommence ses incantations et tente de repousser la chose, alors qu'un coup de griffe passe à quelques centimètres à peine de sa tête.

La queue du monstre fouette et il geint et rugit, mais Annabelle ne demande pas son reste. Elle se précipite sur le côté et les contourne, avant de monter les escaliers qui mènent vers le reste de la ville ensevelie. Elle est sur le point de sortir quand la queue cinglante lui lacère le dos et la projette à l'extérieur de la cave.

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