Épisode 1 - Épilogue

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À cette heure tardive, la route n'est empruntée que par de rares âmes en peines, qui se dirigent au gré des ténèbres vers des destinations hors de vue, par-delà le noir horizon. La conductrice de la petite berline noire ne fait pas exception à la règle. Ses longs cheveux noirs et indisciplinés descendent sur des épaules frêles. Ses yeux bleus et froids observent une route immuable et monotone. Elle a dans les trente-cinq ans, mais elle semble être de celles qui s'embellissent avec l'âge.

Ses phares éclairent un bref instant un panneau qui indique San Francisco, encore à de nombreux kilomètres du désert californien qu'elle traverse actuellement. Son autoradio laisse couler des mélodies lentes, parfaites pour l'ambiance nocturne.

Tout à coup, elle aperçoit une voiture immobilisée sur la bande d'arrêt d'urgence. Elle ralentit son propre véhicule et observe en passant, avec prudence. Il n'y a personne dans l'habitacle, à priori. Elle continue sur la route et n'est pas surprise quand, quelques kilomètres plus loin, elle aperçoit la silhouette d'un homme qui porte un bidon d'essence.

L'homme se retourne et fait de grands signes pour qu'elle s'arrête. Elle hésite, mais finit par se garer, une centaine de mètres devant lui. L'automobiliste en panne court alors vers elle, éclairé par les feux arrière, rougeoyant. Lorsqu'il parvient au niveau de la portière du passager, il tente de l'ouvrir, mais celle-ci est verrouillée. La conductrice descend alors la vitre.

— Merci de vous être arrêtée, lui dit l'homme d'une voix essoufflée.

Il est plutôt grand, dans la quarantaine, mal rasé et avec des cheveux bruns. Elle a un pressentiment, que ne dissipe pas le sourire qu'il lui offre.

— Qu'est-ce qui vous est arrivé ? demande-t-elle avec un accent anglais.

— Une bête panne... Vous me déposez à la prochaine station-service ? Vous me sauveriez la vie.

— Montez.

Elle ouvre la portière de l'intérieur et l'individu s'installe sur le siège passager, le bidon sur les genoux. Il sent la sueur et l'huile de moteur. La portière claque et il tend la main vers la jeune femme, toujours en souriant :

— Le nom est Luke.

— Annabelle, répond-t-elle tout en regardant les traces noires qu'il a sur la main. Il s'en aperçoit et s'essuie sur son pantalon. Elle démarre.

Luke remarque les bagages qui sont sur les sièges de derrière.

— Un grand voyage, dîtes-donc. Vous allez où comme ça ?

Elle se retient de lui dire que ce ne sont pas ses affaires et qu'elle lui rend juste service, mais ce ne serait pas poli de sa part. On pourra critiquer beaucoup de choses chez la jeune femme, mais certainement pas son sens de la politesse.

— Je vais m'installer à San Francisco.

— De la famille ?

— On peut dire cela, oui.

Le regard de l'homme ne manque pas non plus d'étudier le corps de la conductrice, sans qu'il prenne la peine de s'en cacher. Sur qui est-elle tombée ? Par chance, une station de service est annoncée à deux kilomètres et bientôt elle peut s'y engager.

Celle-ci est tout ce qu'il y a de plus vide à cette heure. La petite boutique est fermée pour la nuit et seuls les pompes et un petit parking sont accessibles. Les deux lampadaires distribuent avec paresse une lumière faiblarde. La conductrice se gare, mais l'homme ne sort pas tout de suite. Son sourire est toujours présent, sur ses lèvres mais pas dans son regard.

— Ça va aller, Luke ?

— Ouais. Comment je peux vous remercier ?

— Ne vous en faîtes pas pour cela.

— J'insiste, dit-il en posant une main sale sur sa cuisse.

Annabelle réagit en un instant et plante ses crocs dans la gorge du vicieux personnage avant que celui-ci n'ait le temps de comprendre ce qui lui arrive. Il se débat mais la main puissante de la vampire le plaque au siège alors que le liquide de vie se répand dans sa gorge délicate. Il ne résiste qu'un instant. Entre le plaisir du mortel baiser et la perte de sang, il n'a jamais eu la moindre chance.

La créature ouvre la portière du passager et fait tomber le cadavre exsangue sur le béton, avant de redémarrer, repue.

Au-loin, la baie se dessine.



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