Épisode 2 - 14 Die with Style

285 41 25
                                    

Taylor ne s'est jamais sentie aussi bien que ce soir, sur cette scène. Le public, pourtant pas si nombreux que cela, fait un boucan de tous les diables et la pousse plus loin que jamais. On dirait d'ailleurs que la jeune femme fait partie des Die with Style depuis les débuts du groupe, tant l'osmose entre les musiciens et leur nouvelle chanteuse est forte.

Rick se prend pour Jimmy Page et s'éclate sur Stairway to Heaven tandis qu'elle chante tantôt face au public, tantôt en duo avec lui.

Les morceaux s'enchaînent. Le public chante en cœur « I Love Rock n' Roll » un moment, alors que l'instant suivant les briquets se lèvent quand elle se déchire les cordes vocales sur Four Non Blondes.

Les bras de Rimbaud tremblent.

Les lumières pulsent.

Elle boit et s'hydrate pendant que Rick joue sur les Guns N' Roses.

Carmen s'allume une clope sur scène.

Une autre chanson s'arrête. Taylor est trempée de sueur, épuisée, éreintée, mais heureuse.

Le micro entre les mains, elle parle une nouvelle fois à la salle :

— La prochaine est la dernière...

La réponse ne se fait pas attendre, le public siffle et la hue gentiment, mécontent d'en terminer là. Elle ne peut s'empêcher de rire, avant de reprendre :

— Ok, j'ai compris. J'ai compris. Vous en voulez plus, c'est ça ?

A priori oui, c'est bien cela.

— Bon, je vais me faire trois ennemis, parce que rien de ce qui suit n'est prévu !

Elle devine le regard interrogatif (ou meurtrier) des membres du groupe posé sur elle.

— Vous savez, un grand bonhomme est mort récemment. Il est parti vers Mars et ce soir, on va le rejoindre l'espace d'une chanson. Ça vous va ?

Ceux qui ont compris l'allusion montrent vocalement leurs accords, alors qu'elle se retourne vers Rick, Carmen et Rimbaud qui lui font signe d'y aller. Elle reprend

— Et j'aimerais la dédier, cette chanson. On a tous quelqu'un de spécial dans notre cœur. Quelqu'un qui nous fait vibrer, quelqu'un qui nous fait pleurer.

Elle s'arrête de parler.

Rick prend une guitare acoustique et commence à jouer. Taylor l'accompagne, dans une mélodie triste qui commence lentement :

« It's a God-awful small affair

To the girl with the mousy hair...

But her mummy is yelling no

And her daddy has told her to go... »

Carmen et Rimbaud se sont avancés sur la scène en se tenant la main. Taylor prend celle de la bassiste et tous trois lèvent les bras, en rythme avec la musique intemporelle de Bowie.

Le refrain arrive, et une nouvelle fois la chanteuse doit se dépasser, si ce n'est pour égaler son créateur, du moins pour respecter son œuvre.

« SAILORS fighting in the dance hall

OH MAN look at those cavemen go

It's the freakiest SHOoooow

Take a look at the LAWMAN

Beating up the wrong guy

OH MAN wonder if he'll ever know

He's in the best selling SHOoooow

Is there life on MAAARS »

Taylor sait, à ce moment, qu'elle n'a jamais aussi bien chanté. Quelque chose s'est passé sur scène, peut-être la drogue, peut-être l'émotion, mais elle en a des frissons. Carmen lui demande si ça va et elle se rend compte qu'elle pleure.

Elle s'essuie l'œil, tout en continuant son hommage.

Lorsque la dernière note retentit, le public les applaudit fort. Rimbaud lui tape doucement sur l'épaule, avant de retourner à sa batterie.

Et revient le temps du rock de garage, brutal et grinçant avec « Party in Hell », le dernier morceau du soir.

Le concert est déjà fini. Le temps lui a échappé.

***

— Santé !

Dans la salle de backstage improvisée, les membres du groupe trinquent à la réussite de leur performance. Rimbaud, le verre levé, s'adresse à la chanteuse :

— À Taylor, qui a assuré grave ce soir.

— Arrêtez, répond-t-elle, la voix fatiguée. On s'est tous bien débrouillés.

— Non, renchérit le guitariste, Rimbaud a pas tort. J'étais pas sûr de ce que tu valais, je trouvais même le plan foireux, mais tu t'en es super bien sortie.

On frappe à la porte, mais celle-ci s'ouvre avant qu'ils n'aient le temps de répondre « entrez ». C'est Tammy, sa boss, qui referme derrière elle. Elle tend une enveloppe de cash à Rick tout en lançant :

— Bon, ça allait les gars. Pas mal.

Les quatre lui lancent un regard assassin devant l'euphémisme, mais elle se contente de croiser les bras.

— Par contre, votre matos va pas se débarrasser tout seul. Videz-moi les lieux.

Taylor soupire et imite les autres qui se lèvent, quand Tammy lui fait signe :

— Non, pas toi ma chérie. Tu as pas fini. Prends ta pause, puis je te veux au bar.

— Comment ? Dans cette tenue ? Et ma douche ?

— Je te paye double ce soir.

— Okay alors.

Il ne lui a pas fallu réfléchir longtemps. Les musiciens lui disent au revoir et promettent de la rappeler et de se faire une soirée. Ils ne disent rien sur de futurs concerts, ce qui serait compliqué avec Jane. Tammy lui glisse aussi sa prime exceptionnelle pour son investissement, ce qui est amplement mérité.

Puis la jeune femme se retrouve seule, les oreilles bourdonnant encore. Les émotions de la soirée s'évaporent doucement, tandis qu'elle reprend peu à peu ses esprits. Une pause ne lui fera définitivement pas de mal...



Love BitesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant