Épisode 4 - 12 Amour et Pestilence

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En l'espace de quelques jours, une dizaine de personnes moururent à Meredith, dans ce qui deviendrait la pire épidémie de son histoire. Le médecin semblait impuissant, d'autant que les morts étaient fulgurantes, emportant aussi bien les enfants que les hommes qui n'avaient pas pris le chemin de la guerre, les femmes que les vieillards.

Abraham Vance avait réagi très vite en envoyant un messager à Boston pour chercher un expert en maladies, mais les routes étaient dangereuses en plein hiver et il y avait fort à parier que le médecin ne viendrait pas avant plusieurs semaines, s'il venait tout court.

Lionel se rendait moins en ville, ce qui lui allait de toute façon très bien : le bordel du saloon paraissait bien fade en comparaison d'Annabelle, ce même s'ils ne s'étaient pas rapprochés depuis leur fugace mais intense rencontre. La jeune femme avait fait comme si rien ne s'était passé par la suite, même s'il avait l'impression que ses regards se faisaient plus insistants à présent. En tout cas, elle ne laissait plus sa chambre ouverte quand elle y séjournait.

Quelques rumeurs troublantes naquirent cependant bientôt, faisant état de l'arrivée d'étrangers, celle-ci coïncidant étrangement avec les premiers décès. Mais les rumeurs naissaient et mouraient vite dans une petite ville comme Meredith.

Un matin plus découvert que les autres, et malgré le froid glacial, le jeune homme approcha Annabelle pendant sa lecture matinale.

— Mademoiselle.

Elle leva les yeux de son ouvrage, ce qui lui donna l'occasion de voir le titre : Utopia. Il ne put pas lire le nom de l'auteur.

— Que puis-je pour vous, Lionel ?

Entre ses lèvres délicieuses, son nom sonnait de manière incroyablement plaisante.

— Que lisez-vous ? demanda-t-il en guise d'introduction.

— Ce que je lis a-t-il la moindre importance pour vous ?

— Le livre non, répondit-il sans réfléchir, je ne le lirai probablement pas. En revanche, savoir pourquoi vous le lisez et l'expérience que vous en retirez m'intéresse grandement.

Elle le jaugea, droit dans les yeux. Quelque part, il avait presque l'impression qu'elle lisait dans ses pensées, comme s'il était lui-même un livre ouvert. Un sourire habilla alors les lèvres pâles de la belle brune et elle fit signe à Lionel de s'asseoir à ses côtés.

— Moore était un personnage passionnant.

— L'auteur ?

— Oui, l'auteur, Sir Thomas Moore. J'ai déjà lu son ouvrage sur l'utopie et sa description d'un monde qu'il juge parfait. Mais ne parlons pas de l'œuvre, comme vous me l'avez demandé... Son texte me fait m'interroger sur ma condition humaine. Pourrais-je vivre et m'épanouir dans son monde parfait ? Je pense que la réponse est non. Devinez-vous pourquoi ?

— Peut-être parce que vous n'êtes pas parfaite.

— En voilà une chose à dire à une Dame.

Un blanc s'installa, mais bien vite elle reprit :

— Je plaisante Lionel, le rassura-t-elle. D'autant que vous avez raison. Son monde où chacun serait identique, dans l'égalité parfaite, ne relève pas pour moi de l'idéal. Dans sa réflexion, il oublie l'humain et toute son imperfection, ce qui est tragique, pour quelqu'un se disant humaniste. Et vous Lionel ? Que considéreriez-vous comme un monde idéal ?

Il avait du mal à réaliser qu'il discutait à présent philosophie avec la belle étrangère. Les images de leurs dernières rencontres étaient gravées dans son esprit et il éprouvait toutes les difficultés du monde à faire la part des choses entre la diablesse et la philosophesse. Mais, le plus étonnant demeurait qu'il appréciait cette discussion, lui que les sermons rebutaient au plus haut point.

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