Épisode 4 - 13 Par Mon Sang

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Le médecin ne vint jamais et Meredith, peu à peu, sombra dans la mort et la folie. Les corps brûlèrent par dizaines, les magasins et les officines fermèrent, tout comme le saloon. Les maisons se vidèrent peu à peu, tandis que les croix noires se multipliaient sur les portes et les murs en bois. Seule l'église garda les portes ouvertes, accueillant les dévots pour des messes à présent quotidiennes, dont le thème du châtiment divin prenait le pas sur la miséricorde et la charité.

Lionel ne s'y rendait pas, mais il entendit néanmoins que le pasteur Jonas devenait de plus en plus accusateur, allant jusqu'à dire que les étrangers étaient les envoyés du diable, ou même que Lionel avait déserté et la ville se trouvait châtiée à sa place.

Les serviteurs n'osaient plus aller en ville que pour de brefs instants, contant à leurs retours des histoires de pénitence.

— Je suis désolé que vous assistiez à cela, dit Abraham lors d'un repas.

Au dehors la nuit venait de tomber et il faisait sombre dans la salle à manger. Le feu de cheminée allumé par Damien crépitait, les flammes projetant des ombres dansantes dans la pièce. Annabelle, comme souvent, s'était excusée après le premier plat. Un appétit d'oiseau, comme le plaisantait son père, qui ne mangeait lui-même que peu.

— Ne pouvez-vous rien faire, mon époux ? demanda la mère de Lionel.

— Et que voulez-vous que je fasse ? Fermer l'église ? Me mettre la ville à dos ? Mieux vaut les laisser faire. J'ai déjà envoyé des messagers aux télégrammes les plus proches, je ne vois que faire d'autre. Qu'en pensez-vous, Sir Morrington ?

L'homme tiqua.

Annabelle avait expliqué à son amant que le titre de noblesse du lord devait toujours se placer devant le prénom. Ainsi on disait Sir Edgar ou Sir Edgar Morrington. Cette subtilité avait bien sûr échappé à Abraham, en bon Américain qu'il était. Lionel n'avait pas jugé pas bon de lui expliquer.

— Et bien, monsieur Vance, puisque vous me demandez mon avis, laissez-moi vous offrir le fond de ma pensée : vous êtes un fat et un lâche, incapable de défendre votre ville ou vos intérêts et vous cachant derrière votre impuissance, comme si celle-ci justifiait votre inaction. Personne d'autre que vous n'est à blâmer pour les événements et vous avez posé les jalons de votre propre perte. Je n'ai pour vous que le plus profond mépris.

Un silence épais s'installa dans le salon. Abraham, qui tenait encore le verre auquel il buvait quand il avait demandé à Edgar son avis, tremblait à présent, le visage rouge et les veines saillantes. Jamais Lionel ne l'avait vu aussi en colère.

Il se leva, et jeta sa serviette sur la table, avant de pointer son doigt dans la direction de son invité :

— Je vous demanderai de sortir, Monsieur, avant que la colère ne m'emporte.

Edgar Morrington ne fit pas le moindre mouvement, les yeux fixés sur son hôte, le visage impassible. Lionel sentit un souffle glacial lui parcourir l'échine.

Excédé, Abraham s'approcha de l'Anglais. Son épouse essaya bien de lui agripper le bras mais il se libéra d'un mouvement brusque. Il arriva au niveau de l'autre homme et le saisit par le col, le forçant à se lever avant de le plaquer contre le mur.

— Si vous ne voulez pas sortir de vous-même, je m'en chargerai !

Lionel, qui s'était levé également, vit l'étranger saisir d'une main le crâne de son père, au niveau du front. Une lueur de pure cruauté passa dans ses yeux et, l'instant d'après, Abraham se mit à pousser un hurlement de douleur terrifiant, qui résonna dans toute la demeure. Le jeune homme resta figé un instant, incapable d'agir devant l'agonie de celui qui l'avait éduqué.

Puis le crâne de son père éclata sous la seule force des doigts d'Edgar, qui s'enfoncèrent dans le cerveau à vif. Abraham avait cessé de hurler.

Son meurtrier le laissa retomber sur le sol, sans un mot, comme on se débarrasse d'un déchet trop lourd. Tout venait de se produire en un instant. Lionel, mu par une subite colère, se précipita vers l'étranger, sans égard pour sa propre survie. Il le frappa au visage de toutes ses forces, ce qui aurait dû le faire chuter, ou au moins reculer.

Edgar ne lui offrit même pas un frémissement. Son propre poing se leva en réponse et percuta le jeune homme avec la force d'un boulet de canon, le propulsant à l'autre bout de la pièce comme un fétu de paille. Il tenta de se relever, mais la douleur lui comprimait la poitrine. Respirer devint difficile.

Le monstre s'essuya les mains sur la serviette d'Abraham, prenant le temps d'enlever chaque bout d'os et de cervelle, sans quitter le jeune homme des yeux. Quand ce fut fait, il se rapprocha, sans la moindre précipitation. Lionel essaya de se redresser à nouveau, mais il sentit comme la lame d'un poignard entre ses côtes. L'homme lui avait-il brisé les os ?

Sa mère, qui était restée silencieuse pendant ce temps, agit enfin et s'interposa avant qu'Edgar n'atteigne son fils, un couteau de table à la main.

— Laissez-le... gémit-elle.

Il ne vit pas bien la scène, le dos de la femme qui l'avait mis au monde lui bloquant la vue, mais il devina ce qui s'était passé quand elle tomba sur le sol, inerte. Edgar, sans l'ombre d'une hésitation, venait de tuer ses parents. Il voulut hurler, mais aucun son ne sortit de ses poumons.

Le monstre arriva au niveau des jambes de Lionel, le contemplant d'en-haut avec un mépris affiché :

— Père !

Lionel n'eut pas la force de se tourner, mais il reconnut la voix d'Annabelle. Il l'entendit descendre les escaliers rapidement. Elle s'interposa.

— Qu'avez-vous fait ?

— Allons, ma fille, tu le sais très bien. Le jeu finit toujours par me lasser.

— Le jeu ? Et Lionel ?

Elle se baissa vers lui, sa main passant dans la chevelure de son amant. À chaque inspiration, l'air se faisait plus rare. Il pouvait même entendre un sifflement qui n'engageait rien de bon. Il allait mourir.

— Lui aussi est un jeu, ma fille. Ton jeu. Il était temps que cela se termine. Jamais il ne t'aurait comprise.

— Il m'aime !

— Ah ! Foutaises et mensonges d'hommes !

— J'en suis sûre. Peu importe, je n'ai pas besoin de votre bénédiction, je le changerai moi-même.

— Tu serais prête, ma fille, à offrir le Don à cette... chose ? L'inviter dans la nuit éternelle, maudire son âme et son esprit, en faire un monstre ? Un vampire ?

Vampire ? Monstre ? Damnation ? De quoi parlaient-ils ?

— Oui.

— Il te haïra, te trahira, comme tous ceux de notre Sang.

— Mais au moins il vivra ! Je l'aime, Père !

— Sotte... Écarte-toi. S'il doit haïr quelqu'un pour sa damnation, alors que ce soit moi.

Il sentit la jeune femme s'éloigner, à regret. Edgar se baissa alors et saisit Lionel par la gorge, avant de le soulever du sol avec une force inhumaine, provoquant une souffrance cruelle dans tout son torse. Le vampire rapprocha alors sa bouche du cou de sa victime et lui murmura :

— Par mon Sang tu deviens mon fils. Trahis-moi et je te détruirai.

Puis vint la morsure... et l'extase.


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