Épisode 5 - 16 Privation

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Jake se crispe et rouvre les yeux, la musique le tirant violemment de son assoupissement. Un mal de crâne le torture, ses muscles sont raides, son cœur palpite. Ses mains sont toujours menottées, une chaîne les reliant à une lourde table, devant lui. Une cagoule opaque l'empêche d'observer son environnement, tout en rendant sa respiration difficile. L'air qu'il inspire est chaud et spolié.

Le privé se détend les épaules, mais cela ne lui fait pas beaucoup de bien. La chanson de metal continue, à fond, dans le but évident de le priver de sommeil. Parfois ses geôliers éteignent la sono, mais à chaque fois qu'il est sur le point de s'endormir, la musique reprend, le brusquant un peu plus à chaque fois, si bien que même quand elle s'arrête, des acouphènes terribles le prennent.

Bien sûr, il sait pourquoi ils font ça : ils ont des questions à lui poser et ils veulent qu'il soit le plus faible et le plus épuisé possible, pour s'assurer qu'il répondra. D'où cette forme de torture, qui lui rappelle plus Guantanamo que les techniques du precinct. Après tout, ils doivent savoir que c'est un ancien flic et que ce n'est pas si évident que ça de faire parler un vieux de la vieille, même si là, il a juste envie que tout s'arrête.

Il n'a pu voir personne depuis son arrivée dans ce bâtiment. On lui a donné de l'eau, une ou deux fois seulement, si bien que sa gorge est sèche et sa langue gonflée. La chaleur n'arrange rien. Sans compter qu'une envie d'uriner de plus en plus pressante le tient. Pour l'instant il arrive à se retenir, mais il ne sait pas pour combien de temps.

Sa jambe droite tremble en rythme avec la musique, il s'en rend compte d'un coup.

Sa cagoule lui est arrachée et une lumière vive lui fend le crâne. Il détourne la tête pour ne pas subir la lumière éclatante d'un néon. Une chaise est tirée sur le sol et il entend quelqu'un s'installer en face de lui. Le bruit reconnaissable d'un dossier papier qui heurte un bureau se fait entendre.

— Jake Sullivan, commence un homme à la voix sèche, sûrement un fumeur. Troisième de sa promotion à la SFPD Academy, c'était en 1986. Carrière exemplaire, nombreuses arrestations, et même une médaille, en 1998, pour bravoure lors d'une fusillade contre des trafiquants de drogue.

Le privé s'habitue peu à peu à la lumière et bientôt il pose les yeux sur l'homme. Celui-ci est en train de parcourir rapidement son dossier. La quarantaine, les cheveux courts et bruns, une mâchoire carrée et ce qu'il faut de muscles. Son interlocuteur pourrait aisément faire partie de ce groupe qui a tenté d'assassiner le sénateur Vaughn. Mercenaire ou agents du gouvernement ?

— Tout allait bien, jusqu'à une poursuite sur le Bay Bridge, l'an dernier, qui s'est terminée par la mort de deux suspects et l'amputation du bras du détective Sullivan. Enquête des services internes, jugée insatisfaisante, mais également trouble post-traumatique et, surtout, une relation sulfureuse avec la fille, mineure, d'un sénateur de l'état de Californie, ce qui vaudra au détective le limogeage ainsi que, sur un point plus personnel, le divorce de sa femme. L'ancien détective a également une fille, adoptée.

Jake le discerne à présent bien, les yeux plissés par la douleur.

— Est-ce que j'ai bien résumé ? lui demande l'autre.

Le privé ne répond rien. Il sait reconnaître un interrogatoire quand il en voit un. Déstabiliser la personne interrogée est le premier pas. Le dossier est une des façons classiques de commencer, même si personnellement Jake préfère débuter par une longue phase de silence pesant. Les criminels se livrent parfois sans que la moindre question ne soit posée.

Mais, cette fois-ci, ils sont entre professionnels.

— Un verre d'eau ? Vous avez faim ?

Autre technique : se faire passer pour un ami, montrer qu'on est du côté du suspect. C'est le même principe que le bon flic, mauvais flic. D'ailleurs la sono s'est arrêtée. Jake se sent mieux.

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