Épisode 3 - 22 Red Rock Island

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L'embarcation arrive en vue de Red Rock Island alors que la nuit est belle et bien tombée. À cette heure il n'y a plus de voiliers dans la baie, ni de yachts, ni de scooters des mers. Les seuls bateaux encore à flot sont les derniers ferries, les garde-côtes et les dealers de drogue.

Loin au-dessus d'eux, le pont de Richmond-San Rafael parait imposant, inquiétant même.

Le hors-bord ralentit et le bruit du moteur laisse place à celui des vagues qui s'écrasent contre la coque dans un clapotis constant.

— Tu penses que c'est là ? demande Kathy presque à voix basse.

— Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

Le rock de l'île les écrase de sa présence, alors qu'ils se rapprochent de lui. Jake coupe le moteur et le bateau finit par s'échouer sur les hauts-fonds dans un craquement désagréable. Pas sûr que Kathy récupère la caution après ça. Aucune trace d'une autre embarcation.

Jake se déchausse et remonte son pantalon, alors que Kathy enlève ses escarpins. Ils descendent ensuite et se retrouvent à mi-mollet dans l'eau glacée de la baie. Le privé amarre le bateau comme il peut à un rocher, en espérant qu'une grande vague ne vienne pas l'entraîner. Ils auraient l'air fin...

Après avoir remis leurs chaussures, ils se dirigent tous deux vers le cœur de l'île, uniquement éclairés par la lampe torche de Jake. Une plage rocailleuse les accueille et le privé fait signe à la jeune fille de ne pas bouger. Il éclaire le sable, à la recherche d'un indice.

Il ne faut pas longtemps pour qu'il repère des traces de pas, en partie effacées par le vent. Il s'en rapproche et examine la scène avec soin.

— Ce sont les siens ? lui demande Kathy d'une voix stressée.

— Je pense oui. Il y a plusieurs traces, ils devaient être au moins deux. Un homme et une femme qui portait des chaussures à talons. Ils allaient vers l'île... Attends. Il y a d'autres traces... du sang ?

En effet, il repère d'autres empreintes, qui ont été effacées pour la plupart. La personne, visiblement la femme mais sans ses talons, faisait toujours face au centre de l'île. Le poids pourtant semble réparti différemment qu'à l'aller. Est-ce qu'elle reculait ? Oui, elle devait transporter quelque chose, de lourd vu la profondeur de la trace.

Et le sang... Elle était blessée ?

— Ce n'est pas le sang de Lionel, lui dit Kathy.

— Pardon ? Pourquoi tu dis ça ?

— Continuons.

Sans répondre plus, Kathy se dirige vers là où mènent les empreintes, suivie par Jake. Les taches de sang se font de plus en plus épaisses à mesure qu'ils avancent, si bien que le privé sort une nouvelle fois son arme et passe devant, malgré la protestation à voix basse de la jeune fille.

Quelle n'est pas leur surprise quand ils parviennent devant une falaise tout à fait ordinaire, mise à part la porte métallique entrouverte qui donne sur un tunnel en béton. Qui a fait construire un abri antiatomique au milieu de la baie ? Et pourquoi ? Est-ce que c'est militaire ? Ils n'ont vu aucune mise en garde à ce sujet, donc c'est peu probable. De plus, ils n'auraient pas vu l'entrée si celle-ci avait été fermée : elle se confond parfaitement avec la couleur de la pierre.

Il y a du sang sur la porte, en tout cas. Est-ce qu'une personne blessée a été portée ? Est-ce que ce pourrait être la cause de la trace qu'il a vue : un corps transporté ? C'est peu probable, on aurait plutôt dit un objet lourd, de forme géométrique. Un cercueil ? Non, dans ce cas il n'y aurait pas eu de sang à l'extérieur.

Une chose est sûre, quelqu'un de blessé à ce point n'aurait jamais pu sortir seul.

Le privé éclaire le couloir et suit simplement le sang séché, de plus en plus inquiet pour Kathy. Il n'aurait jamais dû accepter de l'emmener avec lui. Il est hélas trop tard pour faire demi-tour.

Ils descendent toujours plus bas et franchissent plusieurs sas bétonnés qui ont été laissés ouverts. À vue de nez, il estime que c'est un bunker des années 50 ou 60, à l'époque où tout le monde craignait une attaque soviétique.

Ils passent une dernière porte, plus épaisse que les autres, qui s'ouvre sur une petite pièce poussiéreuse. Quelque chose murmure au privé qu'ils sont arrivés sur les lieux d'une tragédie, ou au moins d'un crime. La lampe torche éclaire fébrilement les éléments d'une scène d'horreur. Du sang a éclaboussé les murs. Des vestiges organiques gisent sur le sol, dévoré par des vers et des blattes énormes et gorgés de chair purulente. Une épée, la lame souillée, repose dans une flaque de sang à moitié séchée, flaque qui se transforme en une traînée épaisse.

Kathy porte les mains à sa bouche et son nez, mais elle ne vomit pas. Jake lui-même est pris par un haut-le-cœur. L'odeur n'est étonnamment pas insoutenable, pour l'antre d'un crime aussi atroce. La traînée de sang ne se dirige pas vers la sortie en revanche, mais de l'autre côté, vers l'un des recoins de la pièce. Jake s'avance, son pied écrasant quelque chose de craquant, mais Kathy le retient par le bras :

— Laisse-moi y aller.

— Et si c'est lui ?

— C'est lui...

Il n'argumente pas. Que pourrait-il dire ? Il sera là quand elle aura besoin de lui. En attendant, elle se dirige un peu plus loin, vers un recoin de la pièce, éclairée par la lampe de son portable. Il l'entend ouvrir une porte qu'il n'avait pas vue. Certainement une issue dissimulée.

Après quelques instants, elle l'appelle :

— Jake !

Le privé se précipite, manquant de glisser sur le sang, pour rejoindre la jeune fille. Et il la voit, enserrant un corps dans ses bras. Il passe la torche sur celui-ci et le reconnait, à ses vêtements chers mais en charpie : Lionel. Trempé de sang, tremblant mais vivant. Il éclaire finalement le visage de l'homme et ne peut retenir un hoquet de surprise : ce ne sont pas les profonds yeux bleus du bellâtre qui croisent son regard... mais deux plaies béantes.


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