Épisode 5 - 20 Dépression

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Sur le grand lit de la chambre de Lionel, Kathy repose, totalement immobile. Son créateur est assis non loin, sur une chaise, dans la pénombre. Il reste encore quelques heures de nuit avant que les ouvriers reviennent et continuent les travaux. Mais d'ici au matin, une nouvelle éternité mélancolique se sera écoulée.

Lorsque son père a été assassiné sous ses yeux, Lionel a choisi le chemin de la violence. Il a trahi celle qu'il aimait, dans le seul but de se venger, ce qui lui a valu deux siècles de haine et d'affrontements. Si tout était à refaire, malgré les pertes et les souffrances, son choix serait vraisemblablement le même.

C'est ce qu'il attendait de Kathy. Elle a perdu son père, tué dans sa demeure. Elle possède les pouvoirs d'un vampire, est capable de faire parler les mortels d'un simple regard et détient la force de dix hommes. Elle est immortelle. Elle a les moyens de comprendre ce qui s'est passé, de deviner que Lionel est responsable, et même de le détruire, si elle s'y prend bien.

Pourtant, si les démons de son créateur sont dans la violence, ceux de Kathy prennent une forme toute autre, plus personnelle et terrible à la fois. Ce n'est peut-être pas si surprenant, quand on considère que leur première rencontre s'est faite sur le Golden Gate Bridge, au moment où elle se jetait dans le vide pour mettre fin à ses jours.

Le suicide, la dépression, la souffrance...

Voilà dans quoi il l'a projetée, sans le vouloir, par un acte malheureux qui ne visait qu'à la protéger. Elle ne recherche pas le meurtrier de son père. Elle n'a pas aidé la police, elle ne leur a qu'à peine répondu. Elle s'est réfugiée au manoir, entre les bras du meurtrier qui n'ose pas le lui avouer. L'ironie serait amusante, s'il ne tenait pas à son infante. Mais le piège s'est resserré sur lui, tel un collet implacable. Il ne sait pas comment elle réagirait, s'il lui disait la vérité. Au début il craignait sa fureur, mais maintenant il s'interroge. Ne tomberait-elle pas plus bas encore, à l'idée d'être trahie par l'une des rares personnes, si ce n'est la seule, en qui elle a encore confiance ?

Dépourvu. Voilà le mot qui décrit le sentiment de Lionel. Il ne sait pas quoi faire. Kathy ne se nourrit presque plus, se contentant de rester dans le lit à longueur de nuit et de jour. Si au début elle lui parlait, un peu, elle s'est rapidement murée dans son silence. Les seules fois où elle lui adresse encore la parole sont quand il revient de la chasse. De ce qu'elle laisse paraître, il a l'impression que sa présence lui est vitale, même si elle ne communique pas avec lui.

Parfois il a envie de la gifler. De lui crier qu'il l'a tué. De lui demander, ou plutôt de lui ordonner vengeance. Mais il se retient et se contente de lui offrir un peu de sang lorsqu'elle est trop pâle. Et, quand elle sombre dans un simili-sommeil, il regrette. Il avait peur de la violence, mais l'absence est pire encore. Plus cruelle.

Plusieurs fois, il s'est trouvé au bord de l'aveu. Mais il s'agit de sa responsabilité, et il doit l'assumer, seul, en silence. Il a fait du mal à cette femme, qu'il considère comme une petite sœur, presque comme une fille. Le moindre qu'il puisse faire est de ne pas en faire davantage.

Son téléphone s'illumine dans le noir. Sa vue est presque revenue. Le sang de la sorcière l'a guéri, il en est sûr à présent. Il n'arrive pas à s'en réjouir.

Il prend l'appareil et parvient à lire le message sans faire appel à l'assistant.

On a une piste. Épée et Rose. Carl St
Sienna

Le vampire reste interdit un instant. Est-ce qu'elles auraient enfin trouvé Taylor ? Le message reste nébuleux, ce qui montre que Sienna n'en sait probablement pas plus. La retient-on contre son gré ? Se trouve-t-elle en danger ? Vit-elle encore ?

Il regarde rapidement où se trouve l'adresse indiquée. Pas très loin du Kezar Stadium. Ni du Witch Hour, d'ailleurs, même si ce n'est pas tout à fait le même quartier. En quinze minutes il peut y être.

— Kathy ? demande-t-il.

La jeune femme, impassible, contemple toujours le plafond, prise dans une profonde torpeur. S'il n'est pas là quand elle reprendra conscience, elle risque de s'inquiéter.

Il se rapproche d'elle et s'assoit sur le bord du lit, avant de lui caresser la joue du dos de la main. Elle ne réagit pas. Tant qu'elle sera dans cet état, proche du coma, elle ne ressentira rien. Ne vivra rien. C'est d'ailleurs la raison qui la pousse à y rester.

L'abandonner lui fend le cœur, mais il se lève malgré tout, et s'en va.

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