Épisode 5 - 10 Le Retour de la Sorcière

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Lorsque le taxidermiste soulève son débardeur, que le scalpel ouvre délicatement ses chairs et qu'un mince filet rouge coule sur son ventre, Taylor sait qu'elle est prête à tout pour que cela s'arrête. Si le diable lui proposait un contrat pour la sortir de là, elle signerait, quelques soient les conditions...

— J'accepte ! s'entend-elle dire, toujours sous forme astrale.

— Aussi facilement que cela ? lui répond la voix, plus claire et plus proche à présent. Moi qui m'attendait à de la négociation. Les lois de la magie demandent plus d'emphase, cependant. Supplie-moi de prendre possession de ton corps, et peut-être daignerai-je t'aider.

Taylor, pour une fois, ne se sent pas la force de répliquer. Elle sait, bien sûr, qu'il s'agit d'une mauvaise idée. Elle se souvient de New York et elle se doute que la proposition est liée à ce qui s'est passé ce soir-là, ainsi que dans les tunnels de San Francisco, quand elle fuyait la Griffe. L'âme qui lui propose ce pacte est noire et cruelle, il n'y a pas à en douter.

L'Asiatique a continué de couper ses chairs et l'urgence de la situation l'emplit de désespoir :

— Je vous en supplie, crie-t-elle presque, prenez possession de mon corps !

Un voile semble alors se lever et elle aperçoit une silhouette féminine, debout à côté de son enveloppe charnelle. Vêtue d'une simple robe marron, la forme spectrale semble tout droit sortie d'un film sur le moyen-âge. Elle se retourne vers l'esprit de la sorcière, un sourire satisfait :

— C'est mieux comme cela, dit-elle. Tes supplications ont été entendues.

Elle approche alors lentement la main du corps de Taylor, puis disparait, comme aspirée par les chairs de la barmaid.

La jeune femme possédée ouvre alors les yeux, qu'elle pose sur le gérant de la boutique aux horreurs, avant de murmurer quelque chose que Taylor n'entend pas. En réponse, le taxidermiste arrête un instant la boucherie, surpris. Le ventre mutilé présente une incision sur trois ou quatre centimètres.

— Qu'as-tu dit, sorcière ? demande-t-il.

— Il fait chaud, n'est-ce pas ?

— Chaud ?

Les doigts de la sorcière se mettent alors à crépiter et à brûler, des flammes rouges entourant le bras nu. L'homme se recule, faisant tomber le scalpel qui rebondit sur le sol dans un bruit métallique.

— Comment est-ce... commence-t-il à murmurer.

Il n'a pas le temps de finir sa phrase, cependant : les flammes quittent les phalanges de la jeune femme et se dirigent vers lui dans un sillon ardent. Il se recule, mais pas assez vite pour distancer l'attaque magique qui le rattrape. Le feu entre alors dans ses chairs, embrasant ses vêtements qui aussitôt se mettent à flamber, le recouvrant d'une aura brûlante.

Les cris viennent alors, terrifiés et emplis d'une souffrance atroce, tandis que le brasier le dévore vif. Il tente de rejoindre la porte, à moitié courant, à moitié tombant, pour finalement heurter celle-ci. Il tombe sur le sol, incapable de sortir, ses hurlements retentissant dans la pièce isolée. Taylor ne peut s'empêcher de songer au vieux vampire qui vient seulement de partir, en espérant qu'il ne vienne pas au secours du psychopathe.

À priori non : l'homme s'éteint bientôt, à l'instar des flammes qui ne laissent derrière elle qu'un corps calciné. Taylor ne doute pas que, si elle ne se trouvait pas sous forme astrale, elle vomirait à nouveau devant la vision d'horreur.

Celle qui habite son corps parle alors, tout en faisant lentement fondre les chaînes qui la retiennent prisonnière :

— C'est grâce à toi, si je maitrise les flammes, tu sais. De mon vivant, j'en étais bien incapable. Mourir sur un bûcher a ses avantages...

L'anneau de fer finit de se tordre sous l'effet de la chaleur et la main de la possédée s'attèle à défaire le second, ainsi que ceux qui lui maintenaient les chevilles attachées. Taylor se demande ce qui va advenir, maintenant que son corps ne lui appartient plus. Est-ce temporaire ? Elle aurait peut-être dû négocier, comme le voulait l'autre femme. Dans l'urgence de la situation, elle ne s'en est pas sentie capable toutefois.

Le corps habité de Taylor observe la blessure, qui ne semble heureusement pas profonde. Heureusement que le taxidermiste voulait garder son corps en bon état, sans quoi les choses auraient pu tourner bien plus mal.

— Quel bûcher ? demande Taylor.

— Celui sur lequel tu m'as fait trépasser, bien sûr. À l'époque où le nom de Lenia était encore connu.

— Je ne vois pas ce que j'ai à voir dans tout cela, répond-elle.

— Et pourtant... Tu n'habitais pas encore ce corps, mais je peux te dire que nous sommes liées, toi et moi. Rappelle-toi, Hope : Jamais ton âme ne sera libre de moi. Je reviendrai d'entre les morts et te détruirai comme tu m'as détruit, demain ou dans cinq siècles.

La jeune sorcière ne comprend pas un mot du discours de cette femme, mais pourtant celui-ci résonne en elle et elle ressent du vrai dans ces propos déments. Après tout, elle possède bien des pouvoirs et ces mots qui ressemblent à une malédiction pourraient y être liés. Ils le sont probablement, même.

— Je vais te laisser là, petite sorcière. Dommage que tu ne puisses pas sortir d'ici.

Elle se dirige alors vers la porte et appuie sur la poignée. Fermée. Des flammes naissent à nouveau et s'en prennent à la serrure, qui se met à aussitôt à fondre. Taylor n'est cependant pas prête à laisser cette femme s'enfuir et l'abandonner ici : elle se dirige vers son corps par la pensée et touche celui-ci, comme elle l'a maintes fois fait par le passé, s'attendant à reprendre possession d'elle-même.

La douleur qui la saisit lui fait comprendre que les choses ne sont pas aussi simples que cela. En effet, son esprit est parcouru par une souffrance violente, qui la prend à l'âme et lui donne l'impression d'être disloquée sur place. Elle y répond en reculant, et aussitôt la sensation disparaît.

Il lui faut un instant pour reprendre ses esprits, tant le contact a été intolérable. Lorsqu'elle perçoit à nouveau son environnement, elle croise le regard avec ses propres yeux.

— À ton tour de goûter à la prison de l'âme, lui dit Lenia avant de franchir la porte et de l'abandonner dans la pièce.

Taylor tente immédiatement de la suivre, mais les enchantements qui la maintenaient prisonnière dans cette pièce plus tôt semblent toujours actifs, et elle ne parvient pas à traverser. Elle entend et devine son corps s'éloigner, à la merci d'une ancienne sorcière brûlée sur le bûcher, alors qu'elle devra rester ici, avec pour seule compagnie le cadavre encore chaud d'un taxidermiste monstrueux.


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