— Où allons-nous, Lionel ? demanda Annabelle alors qu'ils s'éloignaient de la propriété à cheval.
Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis la rencontre avec les chasseurs, jours que Lionel avait employés pour préparer leur échappée. D'abord réticent à se mettre en danger, l'espoir d'une vengeance l'avait cependant emporté sur ses doutes. Sa mission était ainsi simple : maintenant qu'il avait informé Hunter quant aux souterrains, il devait retenir Annabelle le temps que les humains accomplissent leur sale besogne.
— Une surprise, mentit-il.
— Je hais les surprises... Un indice peut-être ?
— Nous avons encore un peu de route.
— J'imagine que je devrai m'en contenter.
Il lui offrit un grand sourire en réponse, heureux qu'elle ne puisse plus lire dans ses pensées maintenant qu'ils étaient semblables.
Ils continuèrent à avancer, sur de nombreux kilomètres, contournant le lac et laissant Meredith loin derrière eux.
— Est-ce loin encore ?
— Tu as l'éternité devant toi, mais cela ne t'a pas appris la patience ?
— Quel vilain mot. Mais si nous continuons nous ne pourrons pas revenir avant le repas de ce soir.
— Penses-tu que père se fâchera si, pour une fois, nous ratons le dîner ?
— Tu ne sais pas encore tout de lui... Mais soit, si cela a tant d'importance pour toi.
Finalement, ils arrivèrent devant une minuscule cabane de pêcheur, un ponton s'enfonçant dans le lac qui peu à peu dégelait. Lionel descendit de cheval et sa sœur de sang l'imita, quand il lui tendit la main. Il l'emmena alors sur l'appontement, vers une barque qu'il avait louée pour la journée à son propriétaire, tout comme l'habitation d'ailleurs.
— Un tour de barque ? lui demanda-t-elle, en arquant un sourcil.
— Tu as peur de l'eau ?
Pour toute réponse, elle monta, sans accepter la main qu'il lui tendait. Il la suivit et s'installa face à elle, les rames en main. Il n'avait qu'une force de mortel en milieu de l'après-midi et il dut fournir un effort pour les éloigner du bord.
Tout autour d'eux la nature s'étendait dans un paysage magnifique : les forêts qui reprenaient des couleurs entouraient les eaux, alors qu'au loin se dessinaient les montagnes aux sommets toujours blancs. La vampire ne demeura pas insensible et se relaxa, appréciant la vue qui s'offrait à eux. Tout semblait plus calme, au milieu des eaux que l'embarcation fendait sans un bruit. À l'orée de la forêt, il aperçut même un ours qui pêchait avec une effroyable efficacité.
Lionel profita du moment autant que possible, les yeux posés sur la femme qu'il aimait, immortalisant l'instant dans son esprit. En ce moment même, les chasseurs étaient vraisemblablement en train de rentrer par les souterrains, à moins qu'ils n'aient déjà donné l'assaut et tué Edgar. Il n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait et ne le découvrirait qu'à leur retour.
S'il revenait.
Il attendit qu'ils soient au milieu du lac, seuls au monde, pour se lancer.
— Et si nous partions, toi et moi ?
— Partir ? Tu veux dire, quitter Père ?
— Oui. Il n'apporte que le malheur. Nous pourrions être heureux, juste toi et moi.
— Je vois...
Un long silence passa. Il avait cessé de ramer, la barque dérivant au gré d'un faible courant. À quoi pouvait-elle bien réfléchir ? Il aurait tellement aimé pouvoir lire dans les pensées lui aussi. Hélas, les pouvoirs des vampires n'étaient jamais tout à fait les mêmes d'un individu à l'autre. Enfin, de toute façon, leurs dons n'affectaient vraiment que les mortels...
Elle finit par répondre :
— Je pensais bien qu'un jour tu me dirais cela. J'y ai pensé par le passé, évidemment. Mais pourrais-je seulement l'abandonner ? Lui qui m'a tout donné, qui a fait de moi celle que je suis. Tu ne peux pas comprendre... Ce qu'il a fait à ta famille, je lui en voudrais aussi. Mais moi, il m'a sorti de l'enfer. Il a été mon Orphée. Sans lui je serais morte, ou pire encore.
— Tu es quelqu'un de tellement merveilleux, Annabelle. Mais à ses côtés, tes ailes sont brisées. Tu pourrais devenir beaucoup plus, si tu le laissais en arrière.
— Crois-tu qu'il me laisserait partir ? Non, Lionel. Il ne le montrera jamais, mais il ne supporte pas la solitude et nous sommes ses seuls contacts. Crois-tu qu'il t'ait transformé parce que je lui ai demandé ? Ou parce qu'il voulait me garder ?
— Mais si tu pouvais partir, Annabelle.
— C'est impossible. Il me retrouverait. Il nous retrouverait et cette fois il te détruirait. Je ne pourrais pas le supporter.
— Alors laisse-moi te le promettre, mon amante. Si tu pars avec moi ce soir, il ne nous retrouvera jamais.
— Comment le pourrais-tu, Lionel ? Ne fais pas de promesse que tu ne saurais tenir...
— Et pourtant. Je nous ai déjà affranchis, Annabelle.
Elle le regarda avec un mélange d'étonnement et de peur. Il se rendit compte qu'il venait de franchir le Rubicon et qu'à présent, il devait absolument la convaincre.
— Qu'as-tu fait, Lionel ?
— Des chasseurs de vampires. Ils m'ont laissé le choix, entre partir de Meredith et leur laisser Père, ou mourir avec lui.
— Des chasseurs ? Grand Dieu... Tu... Tu nous as trahis ?
De la douleur passa dans sa voix, quand elle réalisa cela.
— Non, mon amante. Je me suis vengé de lui et j'ai sauvé ta vie. Nous sommes libres à présent, mais nous devons partir.
— C'est pour cela que tu m'as emmenée ici, n'est-ce pas ? Tu m'as attirée à l'écart, pendant que Père... Pendant que Père...
— Oui.
— Ramène-moi immédiatement.
— Je ne peux pas faire cela...
Elle le fusilla du regard. Si elle était bien plus puissante que lui la nuit tombée, sous les rayons du soleil, ses pouvoirs étaient aussi inhibés que les siens.
— Si tu ne le fais pas, je te tuerai, Lionel. Je te le promets.
— Ne dis pas cela...
La jeune femme se redressa d'un coup et bondit sur lui, mais il s'y attendait : il dégaina le pistolet chargé qu'il portait à la ceinture et fit feu avant qu'elle ne l'atteigne. Le tir résonna sur toute l'étendue d'eau et une nuée d'oiseaux s'envola dans les airs. Annabelle s'écroula devant lui, sans vie apparente. On ne tuait pas un vampire d'une balle dans la tête, pas à sa connaissance, mais une peur sourde le saisit néanmoins. Se relèverait-elle jamais ? Si oui, le pardonnerait-elle un jour ?
Rien n'était moins sûr.
Il reprit les rames et les dirigea vers le rivage, le cœur serré. Le silence avait déjà repris ses droits... Une fois apponté, il la souleva et l'emmena vers la cabane du pécheur, qui n'était pas verrouillée, comme prévu. Il déposa un baiser sur son front et l'abandonna là. Elle lui pardonnerait. Elle le devait.
Il grimpa ensuite sur sa monture et prit celle d'Annabelle par les rênes, avant de retourner au trot vers Meredith. Il devait savoir si Edgar avait péri, avant de fuir. Sinon, il passerait l'éternité sur ses gardes, la peur au ventre.
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Love Bites
ParanormalBelle, insolente, sorcière et lesbienne, Taylor survit à San Francisco en tant que simple barmaid. Jake est un ancien-flic, à présent détective privé et passablement alcoolique. Enfin, Lionel est un vampire trop sûr de lui et peu habitué au rejet. H...