Épisode 4 - 6 Coma

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Il est un peu plus de dix heures du matin quand Andrea dépose Taylor devant l'UCSF Medical Center, l'un des plus prestigieux hôpitaux de San Francisco. Cela en dit long sur les moyens financiers des parents de Sienna, dont Taylor ne sait pourtant pas grand-chose.

Elle passe devant l'accueil du centre, propre et immaculé, puis se dirige vers les ascenseurs pour rejoindre l'aile des soins intensifs. C'est là que se trouve la chambre de Sienna.

Si la famille a les moyens de lui prodiguer les meilleurs soins, on ne peut pas en dire autant de leur soutien : pour le moment, Taylor n'a encore jamais croisé ni son père, ni son frère. Pourtant, elle a passé beaucoup d'heures dans la petite pièce, seule avec elle.

Elle s'arrête un instant, devant la porte.

Elle a beau savoir que Sienna est toujours sous respirateur, le premier moment où elle la voit est toujours le plus dur. Du coup elle se prépare mentalement, pour atténuer le choc, avant de finalement entrer.

Rien à faire, il reste violent.

Sa petite amie repose, inconsciente, dans un lit presque trop petit. Son visage, tuméfié et en partie pansé, est d'une pâleur effrayante. Un tube épais sort de sa gorge, relié à un gros appareil gris qui l'aide à respirer. Les bras de la jeune femme reposent le long de son corps, totalement immobiles. Sans le moniteur qui émet un bip régulier, elle ne saurait pas que Sienna vit encore.

Une boule douloureuse la saisit au ventre, tandis qu'elle dépose les fleurs qu'elle a apportées sur un petit meuble, encombré de cartes et d'autres bouquets. Si la famille ne se fait pas très présente, on ne peut pas en dire autant du cercle d'amis très large de la garçonne.

Taylor s'assoit à côté du lit. Elle prend la main de Sienna entre ses doigts, espérant contre tout espoir un signe que cette dernière ressent le contact. Voilà qui est peine perdue, malheureusement : elle ne fait pas le moindre mouvement.

Est-ce qu'elle bougera à nouveau un jour ?

Taylor reste un moment comme ça, caressant doucement la peau de Sienna, en évitant soigneusement les pansements à son avant-bras. La barmaid n'a pas vu ses blessures, mais elle se doute qu'elles ne sont pas jolies à voir.

Elle remarque alors que les lèvres de Sienna sont gercées. Elle fouille dans son sac à main mal rangé et sort un baume à lèvres, qu'elle applique délicatement sur celles de la jeune femme. Quand elle a fini, elle range le petit tube.

— Il parait que je peux te parler, commence-t-elle. J'ai lu ça sur Internet. Soi-disant que ton inconscient travaille encore et que m'entendre te fait savoir que tu n'es pas seule, que quelqu'un tient à toi. Qu'il faut que tu t'accroches.

Elle marque une pause, tout en touchant la main de sa belle.

— Mais comme tout ce qu'on trouve sur Internet, je suis sûre que ce sont des conneries. Comme si parler à voix haute allait te réveiller, alors que tu as un tube dans la gorge. Je te jure, avec ce machin, jamais j'arriverais à dormir. C'est bien la preuve que tu ne dors pas. Tu es dans le coma. C'est différent. Tu peux pas m'entendre. Je ne te parle pas pour te réveiller, ou pour que tu saches que je suis là. Je te parle juste pour ne pas être seule. Pour supporter ce qui t'arrive.

Taylor n'aime pas les hôpitaux, depuis que Faith y a été opérée en urgence, la fois où elle l'avait fait tomber. À chaque fois il semblerait que ce soit de sa faute...

— Je vais essayer de te sortir de là, Sien'. Je sais qu'il y a une chance sur mille pour que je la retrouve, et plus encore pour qu'elle accepte, mais c'est tout ce que j'ai. Je sais, je suis une sorcière et je devrais avoir des grimoires et des rituels, mais je n'y connais rien. Je ne sais même pas si ces trucs marchent vraiment. Tandis que vampire, je sais que ça fonctionne. J'en connais une. Est-ce que tu m'en voudras si elle te transforme ? Est-ce que tu m'aimeras encore ? J'imagine que ça vaut la peine d'essayer. Puis c'est sexy, une copine vampire, non ? Plus qu'une copine dans le coma qui ne pourra plus marcher. Mais bon, ne te fais pas de faux espoirs, il y a presque zéro chance...

Elle sursaute quand la porte s'ouvre d'un coup. Il ne s'agit ni d'une infirmière, ni d'un membre de la famille mais d'un jeune homme qu'elle reconnaît. Et pour cause, la dernière fois qu'elle a vu Tito, celui-ci était à moitié nu dans la chambre de Sienna. Il a apporté des fleurs, lui aussi.

Surpris, il reste un pied dedans un pied dehors pendant quelques instants, avant de se décider à entrer.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? lui demande-t-elle âprement.

— Juste rendre visite. Tu veux que je repasse ?

— Si tu attends que je parte, ça risque d'être long.

Et elle ne dit pas ça uniquement par agressivité. Elle passe en effet beaucoup de temps dans la chambre, autant qu'elle peut en tout cas, compte tenu des heures de visite limitées.

Tito se décide : il pose les fleurs à côté de celles de Taylor, Ô Ironie, et vient emprunter la seconde chaise, de l'autre côté du lit. Taylor a envie de lui arracher la tête, mais elle se retient. Ce n'est pas le meilleur moment pour s'en prendre à lui. Sans compter qu'il ne sait probablement même pas que Sienna s'est remise avec elle de manière plus sérieuse.

— Elle va comment ? demande-t-il.

— Elle a vu des jours meilleurs. Les médecins disent que son état est stable. Mais pour quelqu'un dans le coma, je ne sais pas si c'est la meilleure nouvelle imaginable.

— Merde.

— Comme tu dis, oui.

— Tu sais comment c'est arrivé ?

— Oui. Elle a traversé la route et une voiture a déboulé d'un virage. À 10km/h de plus, elle y passait à coup sûr.

Taylor évite de dire que c'était pour la rejoindre que tout est arrivé. Non pas parce qu'elle craint le jugement de Tito, mais bien parce que l'avouer à voix haute lui ferait du mal.

— Au fait, dit-il, désolé pour l'autre fois.

Voyant qu'elle ne semble pas comprendre, il continue :

— Quand tu nous as vus ensemble. Je savais pas que c'était sérieux pour toi. Ni pour elle d'ailleurs. Je voulais pas semer la pagaïe dans vos affaires.

La sorcière mentirait si elle disait ne pas être surprise par ce que vient de lui dire le latino. Il lui donnait l'impression d'être un mec qui ne pense qu'avec son sexe, pas quelqu'un qui réfléchit à ce qu'il fait.

— Pourquoi tu me dis ça d'un coup ? demande-t-elle.

— Juste que, je sais pas si elle va se réveiller. Et malgré tout ce qui s'est passé, je vois que t'es là pour elle. J'aime beaucoup Sien'. On est potes, avant d'être... Bref, c'est cool qu'elle ait quelqu'un qui tient à elle.

— Je vois. Merci.

Elle repose les yeux sur la jeune femme allongée.

— J'espère vraiment qu'elle va se réveiller, dit-elle. Ça me tue de la voir dans cet état.

— Je pense que oui. C'est une battante Sien'. Si quelqu'un peut s'en sortir, c'est bien elle.

Ils se taisent finalement tous deux. Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle n'est pas mécontente qu'il soit venu. Elle ne l'aimait pas au premier abord, mais peu à peu elle se retrouve à modifier son jugement, même si les souvenirs de sa dispute avec Sienna sont encore limpides.

Peut-être vingt minutes plus tard, elle reçoit un message sur son téléphone. Elle reconnaît immédiatement le numéro et pour cause : elle lui avait envoyé un SMS la veille, en sortant du cimetière, pour lui demander un rendez-vous. Bien sûr, elle s'était fait passer pour le copain de la défunte Lucie Stiller.

« Ce soir, 10 :00, à l'angle de Ellis St et Hyde St. Gratuit pour cette fois. »

La question est maintenant entière : s'agit-il d'Annabelle, qui s'attend à manger punk ce soir ? Ou au contraire le vrai « Dracula » dont les journaux parlent sans cesse ?

Hélas, il n'y a qu'un seul moyen de le savoir...

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