Épisode 2 - 13 Smells Like Rock n' Roll

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Jake a fini par quitter sa planque, comme le sénateur d'état est parti pour plusieurs jours à Sacramento, à priori pour accomplir son devoir législatif. Il a de toute façon de quoi s'occuper, avec un sac rempli de tout ce qu'il a trouvé dans les poubelles de la villa, incluant des documents déchirés ou broyés qui, peut-être, abriteront des informations intéressantes. Qui a dit que la vie de détective privé était glamour ?

Lorsqu'il arrive devant son immeuble, il aperçoit Tammy, la propriétaire du Witch Hour, en train de fumer sur le trottoir. Vu le vacarme qui s'échappe du bar, il devine qu'il y a un concert en cours.

— Hey, lui lance-t-elle quand elle l'aperçoit. Si c'est pas mon privé préféré.

— Salut Tammy. Cette saleté te tuera, dit-il en désignant la clope.

— Nah, la moto aura ma peau avant. T'es venu voir ta nièce jouer ?

Devant la mine perplexe de l'ex-flic, qui ne comprend en effet pas bien de quoi elle parle, elle continue:

— Taylor joue aujourd'hui, avec le groupe. Elle se débrouille la gamine.

— Ah. Je savais pas qu'elle faisait de la musique.

Au fond, il ne sait pas grand-chose sur elle. Et ça ne va pas aller en s'améliorant, quand on considère la discussion qu'il a eu avec sa fille.

— Comment ça tu savais pas ? Jake... C'est pourtant toi qui m'a conseillé de la recruter, non ? T'avais pas vu son CV avant ?

— Nope.

— Tu abuses... Bref, tu aimes le rock ?

Il hausse les épaules, pas forcément convaincu par les choix musicaux des jeunes générations. Non pas qu'il soit une référence en la question, ceci dit.

— Je suis pas fan, mais si elle joue, pourquoi pas.

— Ok. Viens, je t'invite.

Elle écrase sa cigarette sur le trottoir et il la suit à l'intérieur, aussitôt assailli par le bruit assourdissant. La salle du bar est bondée et il fait trop chaud. Il enlève son trench et joue des coudes jusqu'au bar, à la suite de Tammy.

Il aperçoit alors sa nièce, qui est sur scène, un micro à la main, en train de se prendre pour une rock star. Non, « se prend » est le mauvais mot : elle a l'air d'une putain de rock star. Il ne l'aurait pas reconnue si on ne le lui avait pas dit, d'autant que sa voix est amplifiée et modifiée par tous les bidules derrière le groupe.

Il ne peut s'empêcher de ressentir de la fierté, à la voir ainsi, se donnant au maximum dans une passion qu'il lui ignorait. Ce n'est qu'un petit concert, d'un petit groupe, dans un petit bar, mais malgré cela il ne peut qu'admirer la prestance de sa nièce. Quand on pense qu'il y a peu elle était menacée par un tueur en série... Elle s'est vite remise...

La chanson s'arrête et bientôt l'homme à la batterie se lance dans un autre morceau, au rythme lent et captivant. Tammy sert un whisky à Jake, alors que Taylor chante des paroles mystérieuses et incompréhensibles, qui lui rappellent des chants grégoriens, ou peut-être Voodoo. Non, c'est encore autre chose, mais il ne met pas le doigt dessus.

Sans s'en rendre compte, Jake se laisse envouter par l'ambiance mélodieuse et dangereuse de la musique et observe la scène sans s'en détacher. Le rythme s'accélère peu à peu et son cœur bat plus fort, suivant le crescendo qu'impose la voix de Taylor, ou plutôt la voix de la furie qui se cachait en elle depuis tout ce temps.

Et c'est alors que la musique reprend et explose à nouveau. Et le public a l'air d'apprécier, tellement que Jake doit boire son verre d'une traite pour éviter qu'on le lui renverse. Sur scène, les musiciens donnent tout ce qu'ils ont, leur énergie palpable, physique. Elle se répand dans la salle et saisit la foule par les tripes.

Puis le morceau s'arrête, sous les applaudissements. Taylor, le micro à la main, attend que les gens se calment. Puis elle parle, le souffle court :

— Est-ce que ça va ?!

Des voix et des sifflements lui répondent. Elle fait cependant mine de ne pas avoir entendu, la main sur son oreille, avant de redemander :

— Je ne vous entends pas ! J'ai demandé : EST-CE QUE ÇA VA ?!

La réponse est plus forte et plus homogène. Jake ne se prête pas au jeu : il est un vieux con au milieu de jeunes cons, ce qu'il assume pleinement.

Taylor continue, à l'aise. À sa place, le privé serait tétanisé et se pisserait dessus de trouille. Elle touche le col de sa robe.

— Qu'est-ce qu'il fait chaud ce soir. C'est à cause de vous ça !

Le public lui répond en sifflant, faussement mécontent.

— Mais non les gars, je plaisante. Vous êtes géniaux ! Et c'est que le début. On est les Die with Style, merci d'être avec nous CE SOIR !

Le guitariste s'avance et commence alors une mélodie ultra connue (même de Jake) et aussitôt la foule répond en hurlant, reconnaissant les accords du titre culte de Nirvana. L'intro musicale ravit son public dont les cris gagnent en décibels, d'autant qu'elle est plutôt bien exécutée. Taylor, toujours sur le devant de la scène, bouge la tête en rythme, perdue dans la musique. Jake ne peut empêcher son pied de suivre le tempo. Pour peu, cela lui rappellerait sa jeunesse.

Puis la chanteuse s'attaque à Kurt Cobain, sa voix commençant dans un murmure profond, à la fois tremblant et douloureux. Jake a du mal à comprendre les paroles, mais il ne peut contenir un frisson devant l'émotion brute que crachent les enceintes. C'est le moment où il se rend compte qu'elle est vraiment douée. Cela le rend presque nostalgique aussi, de découvrir cette facette de la jeune fille maintenant qu'il ne doit plus la revoir.

Lentement, la voix de Taylor gagne en puissance à mesure que le refrain approche, accompagnée par les instruments qui eux aussi vont crescendo.

D'un coup, au couplet calme succède le refrain énervé et Taylor comme son groupe y mettent violence et fureur. Le riff du guitariste accompagne le chant au bord de la rupture de la belle :

« WITH THE LIGHTS OUT, It's less dangerous

HERE WE ARE NOW; ENTERTAIN US

I feel stupid AND CONTAGIOUS

HERE WE ARE NOW; ENTERTAIN US!

...

Yay !

YAY !

YAY ! »

La jeune femme qui vient de s'arracher la gorge reprend ensuite le couplet, de nouveau avec calme et contrôle. Le public ne manque pas de leur faire savoir qu'il apprécie, beaucoup de jeunes gens dansant (si l'on peut appeler ça danser) et chantant (ou plutôt hurlant) avec le groupe.




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