Épisode 2 - 4 Petit Cul Riche

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La nuit est tombée, mais sa fraîcheur indiffère le vampire, qui se dirige vers le Witch Hour. Il a mis du temps à trouver le chemin du bar où Taylor travaille, même s'il ne s'explique toujours pas pourquoi il est là. Quelle sera la réaction de son ex quand elle le verra, à 4500 kilomètres de là où ils se sont rencontrés ? Il doute qu'elle lui tombe dans les bras, pas avec ce caractère abominable qui est le sien, quand bien même elle en aurait envie.

Devant le bar, un jeune homme distribue des flyers pour des concerts et en tend un vers Lionel. Vendredi soir les Die with Style, un groupe de rock indépendant, jouera en live au bar. Il n'en a rien à faire. Depuis que Sinatra est mort, on ne sert que de la soupe sans intérêt, de toute façon. Il froisse le papier et le laisse tomber, sous le regard indifférent du videur.

Le bar est plutôt calme à cette heure, d'autant que le week-end est encore loin. Il y a bien quelques habitués accoudés au bar et un groupe de jeunes gens en vêtements gothiques à une table. Le vampire fait presque tache dans cet environnement, avec son costume noir et sa chemise mauve. C'est ironique, quand on sait qu'il est la seule créature de la nuit dans les lieux.

Il ne voit pas Taylor, qui ne doit pas avoir commencé son service. Il se rapproche néanmoins du bar et s'assoie sur un siège libre, à côté d'une jeune femme aux cheveux bruns et courts qui aurait davantage sa place dans un club de motards ou de lesbiennes.

— Qu'est-ce que je te sers ? lui demande la barmaid, une femme d'une quarantaine d'années qui se prend pour Joan Jett.

Lionel regarde la carte et fronce les sourcils devant le nom ridicule des cocktails.

— Bourbon.

— J'aurais parié sur la Vitae, lui lance sa voisine de bar.

— C'est ce que vous faîtes, parier sur ce que prendront vos voisins ?

— Pas seulement. Je parie aussi sur le nombre de verres qu'ils prennent avant de rouler sur le bar et surtout s'ils seront des enfoirés ou des gens potables.

— Quelle est ma cote ? demande Lionel alors qu'on lui sert son verre de bourbon.

La jeune femme fait semblant de réfléchir tout en l'observant de bas en haut, comme pour estimer la qualité de la viande. On ne lui a pas souvent fait le coup.

— Tes fringues coûtent une blinde mais tu n'as pas l'air de beaucoup bosser. Ça sent le fils à papa et c'est pas en ta faveur. Par contre tu as des cheveux longs, ce qui te sort un peu du moule et rapporte quelques petits points. Ton parfum fait vieillot, ton regard est condescendant et ton accent fait côte Est, même si ton style crie L.A. Puis, qui de moins de cinquante balais demande un bourbon, vraiment. Bref, tu m'as l'air d'un beau connard, mais pas irrécupérable si ta nana, ou ton mec, sait comment s'y prendre pour te botter ton petit cul riche et te remettre dans le droit chemin. 86% sur mon échelle d'enfoirés. Félicitations.

—Quelle précision. Tu as pensé à devenir profiler ?

— J'ai passé les entretiens, mais les gars ont mal pris quand j'ai fait le lien entre leur maman et des tendances scatophiles. Bon, tu viens de passer à 85%, pour ne pas m'avoir insultée et avoir tenté un peu d'humour, même si ta blague ne me fera pas coucher avec toi. Sienna, enchantée, dit-elle en lui tendant la main.

— Lionel, tout le plaisir est pour moi.

— Quoi ? Sans déconner ? Je suis désolée pour toi. Je ne vais pas faire genre ça m'étonne, mais ça doit pas être facile à vivre pour autant. Et qu'est-ce que tu fiches au Witch Hour, Lionel ? Tu as vu de la lumière et tu es entré ?

— Tu sous-entends que je ne fais pas local ?

— Je sous-entends que je te verrais mieux dans un jazz-bar à fumer le cigare ou dans un club pour gentlemen. Ou un show de gogo-dancers, mais avec un peu moins de vêtements et un string léopard.

— Ça existe encore, les strings léopard ?

— Justement, je comptais sur toi pour me le dire.

Sienna boit une gorgée de son cocktail et laisse à Lionel le temps de respirer. La sono passe un morceau des Who, le genre de son que l'on écoutait il y a quarante ans. Lionel ne reconnait pas le titre. La jeune femme repose son verre :

— Toujours là ? Monsieur est courageux. Ou masochiste. Mon cœur balance.

— On dirait surtout que Monsieur est sur le banc des accusés et que le juge porte des tatouages. Mais c'est à moi : qu'est-ce qu'une nana qui aurait sa place chez les Hell's Angels fait dans ce petit bar, au milieu de gentils gothiques, à écouter de la musique démodée ?

— Alors d'une, c'est pas démodé. De deux, je ne pourrais pas être dans un gang de motards : je n'aime pas le hard rock. Oui, flash info, ce n'est pas parce qu'on est tatouée et qu'on fait de la Harley qu'on aime AC/DC et qu'on se drogue.

— Tu ne te drogues pas ?

— C'est pas la question, Lionel. Mais tu as raison, je ne suis pas dans mon élément ici. Le dernier gus qui m'a draguée s'est enfui en courant. Celui d'avant ne pissera pas droit pendant encore quelques jours. Mais on s'en tape, je suis ici pour la barmaid.

Lionel regarde dans la direction de la dame qui sert au bar, incrédule.

— L'autre barmaid, celle qui a deux heures de retard sur son planning, précise Sienna.

— Les femmes et les montres, tout une histoire.

La motarde lui lance un regard noir, mais ne commente pas. La porte s'ouvre alors et Taylor entre, visiblement stressée. L'organe palpitant du mort-vivant se fige quand il la voit, toujours aussi belle et farouche. Elle se dirige vers le bar et s'excuse du retard à celle qui doit être sa patronne. Sienna soupire :

— Quand on parle du loup...

C'est le moment où la sorcière les remarque.

Son expression n'a pas de prix.




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