Épisode 1 - 15 Nouveau Contrat

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Jake est lessivé quand il rentre enfin chez lui, au terme d'une nuit comme il ne croyait plus en voir. Il ne réalise toujours pas que Taylor, sa petite nièce qui hier encore était haute comme trois pommes et jouait dans le jardin avec Andrea, soit devenue cette jeune femme assurée et engagée, prête à risque sa vie pour autrui. Il ne sait pas s'il doit applaudir sa volonté ou s'exaspérer devant cette prise de risques irréfléchie. Que pensait-elle pouvoir faire, seule contre un malade de ce genre ?

Le détective enlève son manteau trempé en grognant et le pose sur porte-manteau. Il culpabilise de ne pas l'avoir laissé à Taylor, mais Andrea ne doit pas savoir qu'il était là. Si elle l'apprenait, les choses empireraient pour ce qu'il reste de leur relation et c'est bien là la dernière chose qu'il veut.

— Vous êtes dans un état, mon vieux.

Jake se retourne, surpris. Son employeur habituel est assis sur le canapé, toujours affublé d'un costume qui doit valoir le prix de l'appart. Malgré tout, l'homme a perdu de sa superbe, la raison étant un hématome au visage gros comme le poing. Il a dû se cogner en rentrant dans sa voiture trop basse.

— Qu'est-ce que vous fichez là ?

— Je vous attendais, bien sûr. Vous ne m'en voulez pas, j'ai pris un peu de scotch. L'attente était longue.

Jake se déchausse et commence à enlever sa chemise humide, en poussant un râle de douleur. Lionel ne dit rien. Le privé se dirige vers sa salle de bain et referme la porte, avant de se déshabiller avec difficulté. Ses côtes lui font un mal de tous les diables. À l'endroit où la voiture de Taylor l'a heurté sa peau est violacée. Pour peu on y distinguerait le logo de la Chrysler. Il commence à faire couler l'eau de la douche, qui met toujours un moment avant d'atteindre une température décente. Il défait alors sa prothèse, qu'il pose sur la machine à laver.

Le miroir lui renvoie un reflet douloureux. Manchot, fatigué, blessé, il n'est que l'ombre de l'homme qu'il fut, jadis. Comment croire que Cecilia ait pu un jour l'épouser ? Et comment imaginer que la petite Kathy ait pu s'intéresser à lui ? Il rentre sous la douche tant qu'il a de l'eau chaude.

Lorsqu'il ressort, il se sent vaguement mieux, même si ses muscles et ses os sont toujours à l'agonie. Il espère juste ne pas avoir d'hémorragie, le genre de problèmes de santé qui ne passent pas tous seuls. Il s'habille d'un marcel et d'un vieux pantalon puis retourne dans le salon. Avec un bras en moins.

Le jeune homme aux cheveux blonds ne semble pas s'en émouvoir, à la déception de Jake qui aurait aimé le déstabiliser, ne serait-ce une fois.

— Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? lance-t-il. Des photos crades ? Les poubelles d'un magnat ? Un gars qui a le sida ?

— Non, j'aurais juste besoin que vous passiez un coup de téléphone, pour moi.

— Pardon ?

— Un appel à mille dollars. Vous en dîtes quoi ?

Jake se sert un verre de whisky. Il n'a qu'une envie, aller s'écrouler dans son lit et ne jamais se relever. Mais l'autre homme lui propose mille dollars et il sait qu'il ne refusera pas.

— Maintenant ?

— Oui, maintenant. Tenez.

Lionel lui tend son téléphone et le briefe sur ce qu'il doit dire. Il faut plusieurs sonneries, mais une voix ensommeillée finit par répondre :

— Allô ?

— Bonsoir Monsieur Stewart, répond Jake de sa voix la plus grave. Nous avions un deal, il me semble.

— Je ne vois pas...

— Ne m'interrompez pas. Vous avez récupéré les photos, mais j'attends encore que vous remplissiez votre part du marché. L'homme que j'ai envoyé n'était qu'un parmi d'autres. La prochaine fois, vous ne vous en sortirez pas à aussi bon compte.

Jake n'a aucune idée de ce dont il parle, mais le discours a l'air de faire mouche et son interlocuteur se tait un instant. Lionel lui fait signe de continuer et le privé reprend :

— Votre choix, Monsieur Stewart ?

— Très bien, très bien... Je m'en occupe au matin.

— Occupez-vous en plutôt maintenant. Si je ne vois rien d'ici une heure, vous n'aimerez pas mes conclusions. Passez le bonjour à John.

Il raccroche et tend le portable à son employeur. Lionel a l'air satisfait. Il fouille l'intérieur de sa veste et en sort une enveloppe garnie de billets, qu'il pose sur le bureau.

— Je peux faire autre chose pour vous ? À ce tarif-là, c'est toujours un plaisir.

— Puisque vous en parlez, que diriez-vous de fouiller un peu dans la vie de ce gentilhomme.

À ces mots, Lionel tend une photo d'un individu que Jake reconnait assurément. Et pour cause, le père de Kathy a tout fait pour qu'il se fasse jeter de la police, quand leur relation est devenue publique. Il faut dire que quand on est adjoint au maire, les scandales de sa fille ne passent pas inaperçus. Il se souviendra toujours des mots jetés par le politicien : « Je vous détruirai, Sullivan. » À l'époque, son patronyme était encore partagé par Cecilia.

— Qu'est-ce que vous avez à voir avec lui ? demande-t-il à Lionel.

— C'est mon affaire, mais disons que ses placards m'intéressent. Et je suis certain que vous mettrez du cœur à l'ouvrage. Rapportez-moi du croustillant et je vous paierai généreusement.

— Je vois...

Jake n'hésite pas longtemps. Non seulement il déteste le type, mais il a surtout besoin de fric. La vraie question, c'est à quel jeu joue Lionel ? Il est visiblement plus informé qu'il ne le laisse paraître derrière sa désinvolture. Pourtant il n'a pas l'air de faire partie de la mafia ou d'une organisation que le privé connait et il est trop retord pour être un simple entrepreneur qui s'en prend à la concurrence. Il n'aime pas cela, mais l'homme paye bien et sait rester poli.

Le bellâtre se lève et s'en va, sans un dernier mot. La porte claque et la solitude reprend ses droits dans l'appartement du détective. Le jour ne devrait pas tarder à poindre et il est plus que temps qu'il aille se coucher.






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