Épisode 2 - 20 Le Livre des Incantations

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Après avoir traversé plusieurs mètres de béton, de ciment et de goudron, Taylor arrive enfin à la surface et à l'air libre, du moins en esprit. Elle se retrouve au milieu de la route, qui est vide en pleine nuit. Elle prend note mentalement de là où elle est sortie, car elle devra retrouver l'emplacement exact si elle veut retrouver son corps. Compte tenu de son sens de l'orientation, ce n'est pas là une mince affaire.

Quand elle est globalement sûre de la géographie des lieux, elle se met en quête du petit clocher du couvent des carmélites, l'un des plus grands centres catholiques de San Francisco. Le plus proche en tout cas, si l'on en croit Annabelle. Sa condition éthérée l'aide à s'y rendre en un temps bien plus court que la marche, heureusement.

Elle reste un moment immobile en arrivant sur le plazza. Dans la nuit, le lieu de culte austère a quelque chose d'inquiétant et de menaçant. Elle n'est encore jamais entrée dans un lieu saint sous sa forme astrale et elle appréhende quelque peu. Après tout, l'Église n'a jamais été très bienveillante envers les sorcières et il ne serait pas étonnant qu'il y ait des protections d'ordre ésotérique contre les esprits.

Le choix, tout comme le temps, est trop limité pour qu'elle se permette d'hésiter. Elle entre par, ou plutôt à travers le grand portail qui la mène aussitôt dans un cloitre. Le jardin intérieur est d'un calme sépulcral, tandis que la galerie qui l'encadre est plongée dans les ombres. Au moins, elle n'a pas été abattue par le courroux divin et la magie monacale, si telle chose existe.

La jeune femme se doit alors de trouver un corps à posséder, ce qui une fois encore parait assez peu chrétien de sa part. Mais se faire dévorer par une bête des enfers ou une vampire affamée est bien pire qu'une petite hérésie.

Elle prend la première porte qu'elle voit et se retrouve dans une nef éclairée par quelques cierges, un Christ éclatant au bout de la petite allée. Les lieux sont bien entendu vides, personne n'ayant décidé de prier au milieu de la nuit. Elle espérait les moniales plus pieuses, au moins pour ce soir.

Plan B, elle continue d'explorer le couvent jusqu'à ce qu'elle trouve enfin les cellules des nonnes. Elle passe par une au hasard et se retrouve devant un lit occupé, sans toutefois discerner l'occupante. Cela ne l'empêche pas de toucher le corps et aussitôt se sentir happé par celui-ci.

Elle ouvre les yeux, sans voir grand-chose. La main de son hôte, vient tirer les couvertures et elle se lève, lentement. Ses pieds trouvent immédiatement des petits souliers désagréables, mais qui sont toujours plus à l'aise que la pierre froide.

Cela fait longtemps qu'elle n'a pas pris possession d'un corps, si l'on excepte son court passage dans les chairs d'un tueur en série, mais l'adaptation n'est pas aussi difficile que dans ses souvenirs. Ce n'est pas plus mal, car elle ne peut pas perdre de temps : elle se souvient trop bien de ce qui s'est passé à New-York, lors de sa dernière ballade hors de son corps.

Elle sort.

Par chance, les couloirs disposent de l'électricité et elle allume la lumière. Mieux encore, le couvent est aux normes et dispose d'un plan d'évacuation, ce qui est plus que nécessaire, au-dessus de la faille de San Andreas. C'est de cette façon qu'elle repère la bibliothèque, que même avec son sens de l'orientation déficient elle parvient à trouver.

La pièce en question est plutôt petite, mais elle déborde de vieux ouvrages qui menacent de casser les étagères sous leur poids conséquent. Taylor ne peut s'empêcher de soupirer, n'ayant aucune idée de comment elle va bien pouvoir trouver la moindre information viable dans tout ça. Annabelle lui a dit de chercher l'Enfer de la bibliothèque, l'endroit où les savoirs secrets sont cachés, mais elle n'a pas su lui dire à quoi ressemblait l'Enfer de ce couvent.

— Sœur Marie Daniella ?

Taylor se retourne, comme si on c'était adressé à elle. Il faut vraiment qu'elle se dépêche : plus elle reste longtemps dans un corps, plus les réflexes et les pensées de l'hôte reviennent à la surface. Même si pour le moment elle est bien en mal d'identifier la nonne qui s'est adressée à elle : blanche, d'une soixantaine d'année, le visage sec, il s'agit certainement de la chef ou du moins d'une des anciennes. Et sa peau aurait vraiment besoin d'une crème hydratante digne de ce nom.

— Oui ? Répond simplement Taylor.

— Que faîtes-vous debout à cette heure ?

— Je... Comment dire... Je...

Taylor se rend compte qu'elle a pris un accent hispanique, un peu le même que certains amis d'Andréa.

— Vous avez encore eu un cauchemar ?

— Un cauchemar ? Oui... Oui c'est cela, encore un cauchemar. Je voulais simplement vérifier dans les textes sa... signification.

La nonne l'observe intensément. Si bien que la jeune femme a juste envie de disparaitre, certaine que le regard froid de la sœur lit dans les tréfonds de son âme et retourne tous ses petits secrets. Pourtant, l'aînée se contente de dire :

— Parlez-moi de votre rêve.

— C'est assez particulier. J'étais devant des fidèles, en train de leur donner la parole de Dieu quand tout à coup, les mots que je disais étaient dans une langue étrange. Je les ai prononcés à voix haute et un cercle de flammes s'est ouvert sur les fidèles, avant qu'une bête monstrueuse n'en sorte. La bête m'a alors poursuivie et je n'ai pas pu la semer. Quand je me suis réveillée, les mots étaient toujours là.

— Et vous vouliez voir à la bibliothèque leur signification ?

— Oui.

Taylor regarde le sol, en espérant que son demi-mensonge passe. En tout cas, personne n'a encore appelé d'exorcistes pour la chasser du corps de Daniella, ce qui est déjà positif. Mais quand elle relève les yeux vers l'autre femme, elle ne lit que de l'inquiétude sur son visage.

— Sœur Marie Daniella, vos mots me troublent. Sauriez-vous vous rappeler ces paroles ?

— Bien sûr. Je n'oserais les prononcer à voix haute dans... dans la maison du Seigneur.

Celle qui est certainement sa supérieure l'invite à inscrire les mots sur un carnet, avant de les lire avec attention, les sourcils plissés. Elle sort alors un smartphone de sa tunique, sous l'œil interloqué de Taylor et tapote sur l'écran tactile quelques instants, avant de ranger l'appareil.

— J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que je pense que nous avons le livre d'où est tiré ce psaume infernal. La mauvaise, c'est le livre en question. Il s'agit d'un texte apocryphe du Liber AL vel Legis de Crowley, et en particulier le Libro incantationis.

Taylor fait volontiers confiance à la nonne. Elle a déjà entendu parler de Crowley, mais c'était dans une série télévisée. À moins que ce soit une chanson? Elle n'en fait évidemment pas mention.

— Nous ferions mieux de nous y mettre, lui dit l'autre.


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