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 A Marseille.
Le soleil se couche sur la méditéranée. J'ai toujours cru que je m'habituerais à cette vie, à cette ville. Mais non. Cela fait maintenant deux ans que je suis ici et je ne me sens toujours pas à ma place. Je ne suis pas chez moi, je ne suis pas avec ceux que j'aime. Je ne suis pas avec lui...
Je frissonne en remontant mon châle sur mes épaules, remonte mes genoux contre mon buste.
Deux ans à vivre une vie qui ne me plait pas, c'est long. Je me sens seule ici.
Je n'ai toujours pas la garde de mon fils, même pas une garde alternée comme le cite mon avocate. La justice française est bien plus longue et lente que celle de chez moi et souvent j'ai besoin de regarder le tatouage sur mon poignet pour me rappeler ce que je fous ici: "Never give up".
Je n'abandonnerais pas, parce que j'ai fait une promesse et que j'aime mon fils par-dessus tout. Mais j'avoue que ça m'arrive de regretter d'être montée dans cet avion.
Il n'était plus là... Il n'était plus là quand j'ai voulu changer d'avis, quand je me suis dit que je ne pourrais jamais me battre sans lui à mes côtés. Nicolas était déjà parti, me laissant seule face au néant qui m'attendait ici

Aujourd'hui, je vois Timéo une fois par mois, comme le juge de "chez moi" l'avait ordonné mais Sabine, mon avocate trouve cela très peu puisque je suis venue vivre ici, en France. Donc, elle me monte un dossier en béton pour que les choses puissent changer. Elle ne me laissera pas tomber, elle. Sauf si avec ma chance de merde Sébastien la rende hétéro. Mais ça m'étonnerait parce qu'à entendre les jurons qu'elle dit à son sujet, je sais qu'elle ne le porte pas du tout dans son coeur. Ce qui est une excellente chose pour moi. 

Un groupe de jeunes court dans le sable un peu plus loin. Je les regarde en souriant quand ils éclatent de rire. Des garçons attrapent des filles et les jettent à l'eau. Elles gloussent et prononcent des mots que j'ai appris à comprendre même si je bute encore sur certains. Il faut dire que les Français parlent très bizarrement. Surtout les marseillais. Mais je ris souvent quand mon collègue essaie de me l'apprendre. Mon accent américain est très prononcé du coup, j'attire la curiosité et la sympathie de certaines personnes.

"Oh! Une américaine!"  J'ai envie de répondre à chaque fois "Oh un français". 

"C'est trop cool les Etats-Unis"  C'est vrai que c'est mieux qu'ici, il n'y a pas photo. 

"C'est vraiment comme à la télé?" Oui, c'est exactement pareil, même vingt mille fois mieux. 
"Est-ce que les menus au Macdo sont aussi énormes qu'on nous le dit?" Bien sûr, c'est même une des nombreuses raisons qui fait que le taux d'obésité explose chez nous!
Voilà les questions qu'on me pose le plus souvent, les choses qu'on me dit le plus. Mais j'essaie d'en rire. Parce que le rire, je n'ai plus que ça.
Je l'avais lui... Je ne l'ai plus.

Quand je suis partie ici, quand je suis allée dans cette chambre de motel pourrie, j'ai de suite installé Skype pour pouvoir lui parler. Nous avons passé de nombreuses nuits ensemble, par écrans interposés. Je me suis de nombreuses fois endormie en regardant son visage que la webcam me renvoyait. Nous avons pleuré longuement ensemble, nous nous parlions de nos vies, de ce qu'il avait fait de la journée, de ce que j'avais fait et savoir que chaque soir, je le retrouverai de cette manière, me boostait.
Je frémis quand je me rappelle son éclat de rire quand je lui avais montré mon tatouage. Il n'en revenait pas! Puis le lendemain soir, il m'a montré son poignet: Il arborait le même. J'étais fière parce que même si son corps contre le mien me manquait, j'avais l'impression qu'il était toujours là, comme si j'avais travaillé et que le soir je le retrouvais pour avoir ma dose de lui, ma dose de réconfort et d'amour.  
Cela a duré trois mois environ. Puis, il a reppris ses études, commencé la fac. Ses appels se sont fait plus espacés et quand je le voyais, ses traits étaient tirés. Il était débordé par la tonne de boulot a rattrapé, par celui qu'on lui donnait. J'ai cru plusieurs fois qu'il allait abandonner et même si je l'encourageais à poursuivre, j'espérais au plus profond de moi qu'il cesse d'étudier... Pour venir me rejoindre. Mais il ne l'a pas fait.
Les appels sont passés de tous les jours à toutes les semaines, puis à tous les mois. Et maintenant, cela fait sept mois que... Plus rien.
Je ne dis pas que c'est seulement de sa faute à lui, loin de là. Moi aussi j'ai été fort occupée. Il a fallu que je me trouve un endroit pour vivre et les loyers sont très chers ici. Il a fallu que je me trouve un boulot, une nouvelle voiture, une avocate. Et trouver tout cela en ne sachant pas péter un mot de français a été super compliqué. Donc j'ai eu moins de temps aussi, j'ai râté plusieurs de ses appels parce que je m'étais endormie. Puis on se promettait de se rappeler le lendemain. La dernière fois que j'ai parlé avec lui, il allait bien. Il travaillait sur un nouveau programme censé révolutionner le net. Ensuite, il m'a dit qu'il devait rejoindre Dean et Franck à une soirée. Moi j'étais en train de repeindre mon appartement et l'imaginer en train de draguer une autre m'avait fait faire une nuit blanche.  Le lendemain matin, il m'a envoyé un texto "Je t'aime". Et je lui ai dis que "moi aussi je t'aime, pour toujours. Bien vite que tu viennes le mois prochain".
Sauf qu'il n'est jamais venu alors que je l'ai attendu comme une débile profonde. J'ai essayé de l'appeler, je me suis inquiétée. Puis j'ai compris que s'il n'était pas venu, c'est que je ne lui manquais pas tant que ça.  Depuis, je n'ose pas lui envoyer un texto, ni un message sur Facebook. J'ai la trouille de le faire et comme lui n'en fait pas non plus, je me dis que soit il s'en fout, ou soit il n'ose pas non plus.

J'aime encore Nicolas, ensemble nous avons vécu des choses très fortes sauf que je sens la colère déferler en moi quand je repense à ses promesses.
Parce qu'au final, je n'ai plus l'espoir qu'il débarque, qu'il se marie avec moi et qu'on fonde une famille. A part mon fils, je n'ai plus rien... Même plus lui.

Un couple s'assied à quelques mètres de moi, les voir enlacés et amoureux me fait mal, parce que ça me rappelle sans cesse ce que j'avais et ce que j'ai perdu en venant ici. Ca me renvoie à la gueule la solitude dans laquelle je suis. Je me suis habituée aux silences maintenant, à n'avoir personne sur qui compter. Et d'un côté, j'essaie de me convaincre que c'est bien mieux ainsi. Je ne serais ainsi plus déçue par qui que ce soit. Personne ne pourra me détruire. Plus jamais. Détruite... c'est vraiment ce que je suis, ce qu'ils ont tous fait de moi.
Je me lève, quelque peu agacée par les baisers échangés devant moi. D'un geste furtif, je chasse le sable de mon jeans et rentre chez moi, à l'abri des autres et de leurs démonstrations affectives publiques qui me broient le coeur. 

Les rues sont toujours bien pleines à cette période de l'année. Il faut dire que la ville est assez touristique et que les gens y viennent en quête de soleil. Sauf que moi, je n'ai appris à aimer que quand le soleil se couche, quand il fait obscur et que je me retrouve seule avec moi-même et ma peine.

J'habite dans un petit appartement au-dessus d'un bar. Yvonne, la gérante de celui-ci me le loue et j'aime assez bien l'endroit qu'est mon cocon. C'est plus petit que celui que j'avais avant mais bon... Je n'avais pas tellement le choix de toute façon. Et c'est généralement calme. Sauf les soirs où elles diffusent les matchs de foot. Alors là, je peux rêver pour fermer l'oeil de la nuit. Même mon appartement me manque.Celui que je partageais avec lui. Je ramasse mes deux enveloppes sur le sol, insère la clé dans la serrure. Je donne un coup d'épaule en même temps que je tourne la clé, sinon la porte ne s'ouvre pas.
Je fronce les sourcils en voyant que c'est une facture Edf et souris quand je vois que c'est une lettre de Timéo. Je l'ouvre en vitesse, ravie qu'il m'écrive.

"Maman,
J'espère que tu vas bien, moi je vais bien. Le week-end prochain c'est mon anniversaire. J'ai vu un casque pour mettre sur mon ordinateur.
je t'aime. Timéo. "

Bon, ça veut dire "maman achète moi un casque pour mon anniversaire". Et bien sûr, c'est cette traitre de connasse qui a dû le pousser à m'écrire. Comme d'habitude. N'empêche que je suis à chaque fois ravie de voir ces lettres formées de sa main. Il s'améliore bien en écriture. Je l'aimante sur mon frigo, souris en la relisant encore une fois. C'est tellement nul d'être ici et de ne pas pouvoir profiter de mon fils comme je le souhaite...Je finis par enlever mes chaussures et vais dans la salle de bain. J'ai besoin d'une bonne douche chaude.
J'entre dans la cabine, soupire d'aise. Merde. Le téléphone. Je grogne, le laissant sonner, me replonge sous le jet d'eau chaude. Mon portable sonne encore. Je crois que c'est la troisième fois d'affilée et je commence à me dire qu'il est peut-être arrivé quelque chose à Timéo. Je coupe l'eau, m'enroule en vitesse dans un drap de bain et cours prudemment dans le salon.
Mon coeur s'emballe quand je vois que c'est la maison.

- Allo?

- Sarah? Oh ma chérie comme je suis heureux de t'entendre!

- Papa? Tout va bien?

- Écoutes mon trésor, ta mère ne va pas bien. Je pense que tu devrais rentrer quelques jours. 

 

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I can't love youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant