CHAPITRE 36

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PDV OPHELIA

Écœurée, toute cette histoire de testament me laisse un arrière-goût qui me retourne l'estomac. Comment a-t-il pu faire ça à sa propre fille  ?

Pendant le trajet, j'ai réfléchi à une raison valide qui expliquerait la situation présente. Tout m'est passé par la tête, mon cerveau est en ébullition. La seule hypothèse que j'ai retenu est la possibilité qu'elle le fasse chanter. Mais qu'a-t-elle sur mon défunt père  ? Je ne connaissais pas d'homme aussi droit et honnête qu'avait pu être Syracuse Brémont, ça n'a aucun sens.

Je passe la porte de mon duplex et jette sans plus de regrets, la chemise rouge qui contient ce ramassis de merde. Mon sac et mes chaussures empruntent la même trajectoire. Étouffés par le chignon strict que j'arbore, je libère mes cheveux tout en soupirant de soulagement. Tout est fini... Enfin la tranquillité...

La voix de Carmen me provoque un sursaut  :

- Mlle Ophélia, vous êtes là  !

Ma gouvernante passe et repasse devant moi tout en s'affairant au rangement. Quelle mouche l'a piqué  ? Si elle continue à tournoyer dans la pièce, elle va finir par me donner le tournis. Je la regarde faire sans l'aider, je suis trop fatiguée pour ça.

- ¡ Y hasta*  ! (*Et voilà)

Elle s'essuie le front d'un revers de main tout en admirant fièrement le résultat qui est je dois dire époustouflant. On pourrait croire que l'appartement a toujours été tiré à quatre épingles, plus rien ne dépasse, c'est agréable mais inefficace sur mon humeur morose du moment. Je décide de ne pas commenter la prise de décision de Carmen qui a ignoré ma recommandation au sujet du ménage, après tout, c'est son job, pas le mien. Je me dirige vers le réfrigérateur, j'ouvre la partie congélateur et saisis la bouteille de vodka, un liquide fort m'aidera à faire passer la boule qui me noue la gorge. Je me retourne pour attraper un verre qui n'existe plus, je souffle d'exaspération, ma conscience me rappelle à l'ordre, tu ne te souviens donc pas Ophélia, tu as tout cassé... Tant pis en attendant d'en racheter, je dévisse la bouteille et bois une gorgée au goulot sous les yeux inquisiteurs de Carmen.

- Tout va bien Mlle Ophélia  ?

Je déglutis et laisse pénétrer le liquide le long de mon œsophage avant de lui répondre  :

- Maintenant oui.

Je prends la bouteille et m'affale sur mon canapé encore intact. Je m'octroie un nouveau répit en savourant une deuxième gorgée. Je sens le tissu s'affaisser, Carmen s'installe à mes côtés.

- Que s'est-il passé Mlle Ophélia  ?

- Rien d'exceptionnel.

- Laissez-moi en douter vu votre état.

- Mon père égal à lui même lui a tout légué. Il m'a dépossédée mais rassure-toi, je n'ai pas besoin de son argent, j'en ai suffisamment pour continuer à vivre dans ce monde.

Je lève la bouteille que je tiens pour porter un toast. Ma grand-mère, paix à son âme, mérite au moins cet honneur pour sa clairvoyance.

- Merci Granny.

- Mlle Ophélia, la bruja* (*la sorcière) ne l'emportera pas au paradis, nous allons nous battre pour récupérer votre héritage.

- Non.

- No  ?

- Je n'en ai plus envie désormais. Qu'elle crève en s'étouffant avec, ça m'est égal.

Carmen est choquée par ma résignation mais n'insiste pas pour autant.

- Ah au fait  ! Félicitations ma Carmen  ! Tu es l'heureuse propriétaire d'un 280 mètres carrées à Barcelone. Tchin-tchin  !

- Je... Quoi  !

Elle est interloquée par ma révélation fracassante ce qui a le don de me dérider, un rictus se dessine sur ma bouche. Je pense qu'il vaut mieux attendre pour l'informer qu'elle est par la même occasion millionnaire sinon je sens que je vais la perdre.

- No puedo.* (*je ne peux pas)

- Bien sûr que si. Ne sois pas ridicule  ! Tu as toujours été présente pour nous, c'est la moindre des choses.

- Mais ma vie n'est pas à Barcelone. Elle est ici avec vous. Vous êtes ma famille.

La déclaration de Carmen aurait pu me toucher, et dans un sens, je n'y suis pas insensible, mais je dois reconnaître qu'elle n'a jamais pris du temps pour elle, alors quoi de plus normal que lui offrir cette opportunité après tant d'années de service.

Je fais face à mon adorable espagnole, et pose ma main libre sur sa joue pour lui montrer que je ne la rejetterai jamais.

- Tu acceptes en guise de remerciement et pas de discussion. À moins que tu préfères l'offrir à la bruja* (*la sorcière), c'est toi qui voit.

Je la sens se tendre lorsque j'évoque ma génitrice. D'un signe de tête, elle me signifie son accord.

Nous restons assises côte à côte sans prononcer un mot, un moment de quiétude nous est offert, profitons-en  !

Le téléphone de Carmen sonne et vient rompre le silence. Elle hésite à répondre de peur de me déranger mais tout ceci est ridicule, je ne suis pas un bourreau quand même.

- Tu ne réponds pas  ?

- Ça peut attendre.

- Ne dis pas n'importe quoi, décroche  !

Elle s'éloigne et prend finalement l'appel intrusif. De ma place, je peux entendre Carmen parler dans sa langue maternelle. Lorsqu'elle revient près de moi, elle a l'air gênée et contrariée.

- Qui était-ce  ?

- Ma sœur Mlle Ophélia.

- Ça ne va pas  ?

- Non. Elle a eu un accident et s'est cassée la jambe. Elle me demande si je peux venir à Barcelone pour l'aider avec ses trois enfants.

- Et qu'est-ce tu lui as répondu  ?

- ¡ Qué no*  ! (*non bien sûr !) Je ne peux pas vous laisser seule dans votre état.

- Mon état  ? Carmen, je vais très bien. Rappelle Dolores et dis-lui que tu pars aujourd'hui. Je vais appeler le pilote du jet de la compagnie pour qu'il se tienne prêt.

- Mlle Ophélia, vous n'allez pas bien...

Et voilà qu'elle recommence. Va-t-elle finir par comprendre que je suis une adulte et plus une enfant. J'ai l'impression parfois que le temps s'est arrêté pour elle  :

- Monte préparer tes affaires  ! C'est ta famille.

- Mais vous êtes aussi ma famille.

- Oui mais je n'ai pas le pied dans un plâtre que je sache et encore moins trois gamins, alors file  ! No te preocupes* (* Ne t'inquiète pas), je ne bougerai pas d'un pouce. Prends le temps qu'il te faudra.

- Bien, Mlle Ophélia, comme il vous plaira.

Après avoir fait de la résistance, Carmen monte et redescend quinze minutes plus tard valises à la main.

- Prenez soin de vous Mlle Ophélia, je ferai au plus vite.

Je l'accompagne à la porte et la laisse me serrer contre elle. Même si je ne suis pas adepte des câlins, je dois avouer que me retrouver dans les bras de Carmen m'apporte un peu de paix.

Les au revoir terminés, je referme et m'apprête à faire un tête à tête avec ma bouteille de vodka entamée.

Aime-moi ... (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant