35: Aveu muet

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Jane et Lisbon marchaient sur un trottoir bondé de monde, revenant de l'appartement d'un témoin. La difficulté tenait dans la capacité à slalomer entre les gens sans se perdre de vue, et dans le fait de pouvoir tenir une conversation alors qu'ils étaient séparés toutes les cinq secondes par des jeunes lycéens qui se poussaient et riaient en les bousculant.

- Redford pense qu'il a tous les droits et ce genre de personnage m'agace, dit Lisbon.

Jane esquissa un sourire.

- En plus d'être égoïste, il achète l'amour de ses gosses, c'est horripilant. Vous avez vu la taille de la télé de la gamine ? Elle a huit ans, elle n'a vraiment pas besoin de ça...

- Chacun vit comme il l'entend, Lisbon, tenta Jane.

- Vous...

La jeune femme fut interrompue par un flot de jeunes étudiantes toutes habillées plus vulgairement les unes que les autres. Lorsqu'elles furent toutes passées en s'esclaffant, Lisbon rejoignit Jane.

- Vous essayez de m'énerver ou vous pensez vraiment ce que vous dites ? lui demanda-t-elle.

- Je vous embête, avoua Jane.

- Tant mieux, le contraire m'aurait inquiétée. Attention, vous avez fait tomber un bout de papier...

Jane suivit le doigt de Lisbon qui lui indiquait un morceau de papier tombé à un mètre derrière lui. Il fit demi-tour, le récupéra et lu ce qu'il y avait dessus.

- Ah oui..., se souvint-il en lisant ce qui y était inscrit. Ce n'était pas important mais bon...

Il le glissa dans sa poche sous le regard intrigué de Lisbon.

- C'est quoi ? demanda-t-elle curieusement. On aurait dit un numéro de téléphone.

Jane sourit sans répondre et ils reprirent leur marche.

- Vous ne voulez pas répondre ? C'est curieux...

- C'est le numéro de téléphone d'une femme.

Lisbon sentit une gêne dans la voix du consultant. Pour qu'il réagisse ainsi, c'était sûrement un sujet qu'il préférait éviter.

- Oh..., dit-elle simplement.

- C'est la serveuse du restaurant où je suis allé mardi, elle... Je ne sais pas pourquoi elle a tenu à me laisser son numéro...

Lisbon sourit. Il ne savait pas pourquoi...

- Vous voulez que je vous explique ? lui demanda-t-elle.

- Ne me tentez pas !

Ils rirent tous les deux et laissèrent de nouveaux passer une horde de touristes entre eux avant de marcher de nouveau côte à côte.

- C'est une jolie blonde ? Le taquina Lisbon.

Jane hésita à répondre, se demandant pourquoi elle pensait que c'était une femme blonde.

- Oui, dit-il finalement. Pourquoi ? Vous pensez que je n'attire que les femmes blondes ?

- Non, mais...

Lisbon s'en voulu soudain d'avoir parlé de ça. Pourquoi s'était-elle engagée dans cette conversation alors qu'elle savait pertinemment qu'avec Jane, ça se retournerait contre elle ?

- J'ai l'impression que vous avez plus souvent un faible pour les blondes, s'expliqua-t-elle. Votre femme, votre psychiatre, Kristina Frye...

- C'est faux, j'ai eu un petit faible pour la veuve éplorée, rectifia Jane. Vous vous souvenez ?

- Ah... Oui c'est vrai, approuva la jeune femme en souriant.

Ils continuèrent de marcher en gardant le silence quelques minutes. Puis, n'y tenant plus, Jane sortit le papier de sa poche et le jeta dans la poubelle d'un coin de rue. Lisbon lui lança un regard interrogateur.

- Oh, je n'étais pas intéressé...

Elle haussa les épaules puis elle parcourut les derniers mètres qui restaient entre elle et la voiture. Elle ouvrit la portière et s'installa à l'intérieur alors que Jane s'asseyait à côté.

- Votre curiosité est satisfaite ? lui demanda Jane en souriant.

- Non, répondit Lisbon en souriant à son tour. Pourquoi vous ne la rappelez pas ? Peut-être qu'elle est très sympa...

- Si vous voulez, je vais rechercher le numéro de téléphone pour que vous vous fassiez une nouvelle copine, lui proposa Jane en mettant sa ceinture. Ou plutôt, pour que vous vous fassiez une copine, parce que je ne suis pas sûr que vous en ayez déjà une...

- Arrêtez de vous moquer !

Ils se mirent tous les deux à rire devant la réalité des faits que présentait Jane. Lisbon n'avait pas de copine, et elle n'en voulait pour rien au monde.

- Vous ne démarrez pas ?

- Vous n'avez pas répondu à ma question. Pourquoi vous n'avez pas gardé le numéro ?

Jane soupira, sentant que la jeune femme était en train de percer un coin de sa carapace qu'il aurait plutôt voulu solidifier. Il regarda droit devant lui et tenta de choisir les bons mots.

- Je suis sorti un soir avec Kristina Frye et je dois dire que je me suis un peu forcé. Je ne peux m'empêcher de penser que je trahis Angela.

Lisbon tressailli à l'évocation du prénom de sa femme, comme si le sujet était banni, interdit. Jamais il n'avait parlé de sa femme en l'appelant par son prénom, et si elle n'avait pas lu le dossier, elle n'aurait jamais su le prénom de sa petite fille, Charlotte.

- Pourtant, poursuivit Jane, j'aime bien Kristina. Alors vous m'imaginez sortir avec une femme que je ne connais absolument pas ?

Lisbon démarra la voiture, signifiant à Jane qu'ils n'étaient pas obligés de poursuivre la conversation s'il n'en avait pas envie. Cependant, le consultant ne semblait plus aussi gêné qu'au départ par la situation, et il continua.

- Le jour où je sortirai de nouveau avec quelqu'un, ce sera une femme que je connais très bien et en qui j'ai confiance.

Lisbon pensa d'abord à Sophie Miller, la psychiatre de Jane, mais ce dernier avait eu une chance de la conquérir et il ne l'avait pas saisie. Alors elle pensa à elle. Non pas parce qu'elle était intéressée par Jane mais parce qu'elle ne voyait pas quelle autre femme Jane connaissait « très bien ».

- Je comprends, dit-elle simplement.

Jane acquiesça et lui sourit pour détendre l'atmosphère.

- Je ne sais pas si vous avez tout compris parce que... je ne sais pas si j'en ai dit assez pour cela. Mais vous avez compris l'essentiel...

Lisbon se contenta de hausser les épaules et elle ouvrit les fenêtres de la voiture avant de sortir du parking. Ils roulaient en silence vers les bureaux du CBI, chacun réfléchissant à la discussion qui venait d'avoir lieu.

Jane se demandait si Lisbon avait comprit qu'il parlait plus ou moins d'elle dans ses dernières phrases, ou bien si ça ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Ou peut-être faisait-elle semblant de ne pas avoir comprit, connaissant le tempérament méfiant de la jeune femme lorsqu'il s'agissait de sa vie sentimentale, c'était ce qui était le plus probable.

Lisbon jeta un œil furtif sur le visage pensif de Jane. Elle avait peur d'avoir comprit le message qu'il avait voulu lui faire passer. Parfois, elle aurait préféré être une simple d'esprit pour ne pas avoir à affronter les difficultés de la vie. La première pensée qui lui venait lorsqu'elle se disait que peut-être Jane avait un faible pour elle était « il ne manquait plus que ça... ». Comme si le fait qu'elle-même ait un faible pour lui ne suffisait pas à rendre les choses parfois plus difficiles, il fallait que ce sentiment soit réciproque. Saleté de vie... Mais ce qu'elle en pensait d'un point de vue général, c'était que cette fois-ci, la chance semblait être de son côté.

Jane aperçut un sourire naître sur les lèvres de Lisbon alors qu'ils se garaient sur le parking du CBI. Finalement, elle semblait avoir comprit le message. Et pour le plus grand bonheur de Jane, l'idée n'avait pas l'air de lui déplaire.

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