10: Libellules

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Jane marchait le long d'un chemin forestier lorsqu'il se souvint de ce que lui avait dit Lisbon le matin même. Ils étaient passés à côté d'un joli banc fait de troncs d'arbres, face à un ruisseau qui coulait entre les hautes herbes. Lisbon s'étaient arrêtée et avait observé cet endroit comme si un aimant l'attirait. Elle avait entrouvert la bouche et avait fermé les yeux l'espace de quelques secondes comme si elle s'était enfuie dans un autre monde, mais juste assez pour que Jane le remarque.

- Tout va bien ? lui avait-il demandé.

- Je...j'aime bien cet endroit, c'est tout.

La jeune femme avait essayé de répondre d'un air détaché mais il avait décelé une pointe de chagrin dans sa voix. L'affaire n'étant pas totalement terminée, il n'avait rien ajouté et l'équipe avait poursuivit son chemin en direction de la maison d'un témoin.

Mais maintenant qu'il y repensait, il aimerait bien revoir cet endroit pour comprendre. Il ne savait pas vraiment s'il y avait quelque chose à comprendre mais il voulait y retourner. Il abrégea sa promenade, et fit demi-tour pour retourner à sa voiture. Il roula un petit quart d'heure et se gara sous un arbre en bordure de forêt il n'aurait qu'à marcher une dizaine de minutes pour retrouver l'endroit. Comme le soleil commençait à se cacher, il prit la précaution d'emporter sa veste polaire. Il reconnut le chemin où ils étaient passés le matin même avec l'équipe au complet. Il se balada quelques minutes et plus il avançait, plus il entendait le chant du ruisseau. Il le trouva enfin et le longea sur un petit kilomètre. Malgré les rayons du soleil qu'il avait dans les yeux, il distingua enfin le petit banc. Mais plus il se rapprochait, plus il voyait autre chose. Il du se rendre à l'évidence, il y avait bien quelqu'un d'allongé sur ce banc. Il reconnut la personne lorsqu'il s'approcha un peu plus. Ses cheveux noirs étaient tirés vers l'arrière, libérant son joli visage pâle livré aux rayons du soleil, lui donnant un teint parfait. Elle avait ses deux mains jointes comme lorsque l'on fait une prière, posées sous sa joue en guise d'oreiller. Ses yeux semblaient humides mais elle fixait quelque chose au bord du ruisseau.

Jane s'approcha lentement puis il se mit debout à un mètre derrière le banc comme il avait le soleil dans les yeux, son ombre ne trahirait pas sa présence. A son tour, il observa les bords du ruisseau. Tout à coup, il en vit une. Puis deux. Puis trois. Trois libellules volaient au-dessus de l'eau, se croisant et se recroisant sans cesse. L'une avait des tons violets, les deux autres étaient d'un bleu vif. C'était donc ça qu'elle regardait...

- Des libellules..., dit-il presque à voix basse.

Lisbon entendit la voix de Jane derrière elle et son cœur se mit à battre plus fort. Comment l'avait-il retrouvée ? Bien sûr... Il avait forcément remarqué que cet endroit l'avait bouleversé ce matin. Mais à sa façon de prononcer le mot « libellules », elle comprit qu'il venait seulement de réaliser ce qui l'avait vraiment attirée ici.

- C'était notre passe-temps préféré, dit-elle d'une voix fatiguée. Ma mère et moi passions beaucoup de temps à chercher des points d'eau pour observer des libellules en été. Je n'en avais pas vu depuis si longtemps... Elle disait qu'il y avait une libellule pour chaque personne et que la mienne était violette. La sienne était bleue...

Sa voix se brisa aussi décida-t-elle d'arrêter de parler. De toute façon, elle n'avait rien à ajouter. Sa peine se résumait à ça : sa mère n'était plus là pour regarder les libellules avec elle. Jane s'approcha et jeta un œil sur le banc. Il restait un peu de place près de la tête de Lisbon. Il s'assit en silence, se contentant de regarder les libellules voler. Une quatrième apparut. Elle avait des tons orange magnifiques et volait un peu plus haut que les autres.

- C'est la votre, dit Lisbon.

Jane sourit aux paroles de la jeune femme. Cette idée d'avoir une libellule qui lui correspondait lui plaisait. Et la sienne était très jolie. Il observa la libellule orangée croiser de temps en temps la violette, celle de Lisbon. Contre toute attente, les deux libellules s'accouplèrent.

- Oubliez ce que j'ai dit, murmura Lisbon. Ce n'est pas la votre.

Jane se pencha pour observer Lisbon et il remarqua qu'une fossette s'était dessinée sur sa joue. Il sourit aussi, puis forma une boule avec sa veste polaire.

- Tenez, dit-il en la tendant à Lisbon, mettez ça sous votre tête.

La jeune femme ne se fit pas prier et elle s'installa confortablement sur son nouvel oreiller, libérant ses mains engourdies.

- Merci.

- J'aimerais quand même bien que la libellule orange soit la mienne, dit Jane d'un ton rêveur.

- Ma mère serait là, elle dirait que c'est forcément la votre parce qu'elle est sortie au moment où vous les avez observées, déclara Lisbon.

- Alors c'est la mienne ?

- C'est la votre.

Jane se leva, retourna derrière le banc et observa les quatre libellules encore quelques instants. La violette et la orange s'évitèrent de justesse plusieurs fois. Il se demanda ce que cela pouvait signifier. Puis il posa sa main sur le bras de Lisbon comme pour lui rappeler sa présence.

- Bonne soirée, Lisbon.

La jeune femme eut la sensation d'avoir des libellules dans son estomac et des larmes se bousculèrent au bord de ses yeux. Toutes sortes d'émotions se contredisaient en elle de la tristesse, de la joie, de la mélancolie, du soulagement, et un peu de peur. De quoi ? Elle n'aurait su le dire. La température baissait mais elle ne voulait pas partir. Tiens, c'était peut-être de ça qu'elle avait peur, de partir. Heureusement, elle savait qu'elle pourrait rester encore un peu plus longtemps malgré le froid car elle avait la veste polaire de Jane.

- Bonne soirée, Jane.

Le consultant s'éloigna et à peine se fut-il écarté de quelques mètres que la libellule orange disparut dans les hautes herbes, laissant la libellule de Lisbon voler en rond à sa recherche. Lisbon sentit une larme couler le long de sa joue.

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