Chapitre 28

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Les jours défilent très lentement et sont toujours les mêmes. Tous les jours, June me menace par des coups et ma plaie au ventre est toujours ouverte. Tant mieux, peut-être qu'au final je le mérite vraiment.

Au lycée, tout le monde cherche ma compagnie et, surtout, Dylan, c'en est agaçant. Chaque fois, que j'essaye de trouver un moment pour m'éloigner d'eux, ils reviennent à la charge. J'ai essayé de m'éloigner aussi de Noah mais tout me l'interdit. Mon esprit, mes yeux. Il ne remarque rien mais je le vois qui me regarde du coin de l'œil. Dylan m'a défendu de l'approcher. Je me dis que c'est pour mon bien et j'essaie de respecter cette règle établie entre nous. De toute façon, dès que j'esquisse un mouvement vers lui, je récolte un regard noir de la part de Dylan.

« - Miller ? Miller ? »

Je détourne la tête de la fenêtre et hoche la tête.

« - Une idée de ce que pourrais être la réponse ? Vous ne parlez jamais dans mon cours, aurais-je peut-être, un jour, l'honneur de vous entendre parler français ou même ne serait-ce que dire oui quand je vous appelle.

- Évidemment, je dis avec une voix enrouée. »

Mes parents s'étaient rencontrés en France. Ma mère était américaine et mon père français, je parle donc les deux langues. Ça a été le coup de foudre et il est partie vivre à Hawaï avec elle. La famille de mon père est restée en France mais on est déjà allés à Paris voir nos grands-parents, même si c'était très peu de fois. Malheureusement, ma tante souhaitait absolument que je vienne avec elle et, de plus, je ne voulais pas forcément d'aller en France vivre avec deux, presque, étrangers. Bref, ce n'est pas pour autant que je participe en cours de français. Je déglutis difficilement en repensant à notre voyage en France, l'année dernière. Mon regard se lie à un point lointain.

« - Miller ? Je vous ai posé une question. Ce n'est pas en vous murant dans le silence que la réponse est censée se faire connaître seule.

- Désolée, je ne peux vraiment pas, il faut que je sorte, dis-je en me relevant brusquement et en français. Je suis désolée. La réponse est « je fus, tu fus, il fut, nous fûmes, vous fûtes, ils furent », c'est du passée simple. Oui, je sais parler et en français, Madame. Étonnant, hein ? J'ai des origines françaises. »

Sur ce je referme la porte derrière moi en souriant, car je suis certaine qu'aucun des élèves n'ont compris. Ils rament tous en français.

Des semaines, que je n'avais pas fauté. Des semaines, que je n'avais pas répondu. Des semaines, que je bouillonnais de rage. Ça faisait des semaines que je n'étais plus moi. J'étais l'ombre de moi-même.

Je marche dans le couloir vide jusqu'à la sortie et m'allume une cigarette. Je prends mes écouteurs et mets le volume à fond. Je suis pratiquement sûre que l'on peut entendre le son quand on passe à côté de moi. Je marche sans but précis, jusqu'à ce que je me trouve dans une rue. Une rue vide de monde. Mais quand les fêtes battaient à son plein, on n'en voyait même pas la moitié. La maison de Dylan. Évidemment, il était en cours, en français. Mais je sais qu'il laisse toujours une fenêtre ouverte, celle de sa chambre, au deuxième étage, pour aérer, « parce que, tu sais les voleurs ne peuvent pas monter jusqu'à ma fenêtre, ça serait du suicide. J'ai déjà essayé, l'année dernière et je me suis cassé les deux os de la jambe. », comme dit l'occupant de la maison. C'est ce qu'on va voir.

Je resserre les anses de mon Eastpack sur mes épaules et relace mes lacets. Je passe par derrière, où se trouve la chambre de mon copain. Je toise la hauteur que je dois grimper. J'ai toujours été bonne en escalade. Je respire un grand coup et commence mon ascension en utilisant le poteau de la pergola. J'avoue que ce n'est pas facile. Après une dizaine de minutes, je finis par arriver sur le toit de la pergola. Il est assez petit et je sens le bois plier sous mon poids. J'observe la fenêtre ouverte quelques mètres au-dessus de moi, puis la façade de la maison qui comporte quelques irrégularités, lesquelles vont m'aider. Je vais y arriver. Je pose mon pied sur une des planches de bois irrégulière et trouve une prise pour ma main. Je mets quelques minutes à trouver une autre prise. Et encore quelques minutes à trouver celle pour un de mes pieds. Je pousse sur mon jambe d'appui pour atteindre le reborde de la fenêtre. Je me hisse mais manque de tomber. Il y a longtemps que je n'avais pas fait de sport. Avant je faisais de la danse. J'aimais ça -j'adorais même-  mais maintenant je hais cette activité. Ma mère était professeure de danse et m'a entraîné pendant presque toute ma vie. J'excellais dans cet art mais je ne peux plus en faire. Ne serait-ce que de reproduire une chorégraphie me tuerais encore plus. Je ne vois plus aucune raison d'en faire puisqu'elle n'est plus. Une larme roule sur ma joue, en repensant à toutes ces heures que j'ai passé dans cette salle de danse, à m'entraîner sans relâche. Pour qu'au final, mon rêve de devenir danseuse se réduise à une poignée de cendres.

Je suis perchée à neuf mètres du sol, les bras tendus sur le rebord. Je pousse la fenêtre avec une main et m'accroche à son bureau pour m'introduire dans sa chambre en faisant un vacarme impossible. Heureusement que personne n'est ici.

« - Dylan ? Tu es dans ta chambre ? Je suis revenue pour te faire une surprise ! Je monte, lance une voix, sa mère je suppose. »

Merde, merde, merde. Sa mère est rentrée ? Cela fait des mois qu'ils n'étaient pas là. Nous sommes au mois d'Octobre et ses parents sont partis en Mai. Quels parents indignes laissent son enfant tout seul pendant des mois ? Même si je préfère avoir des parents qui partent sans cesse que des parents morts. Partis pour toujours.

Des bruits de pas me ramènent à la dure réalité. Je cherche des yeux une cachette mais la porte s'ouvre avec fracas sur une femme. Trop tard.

CameronOù les histoires vivent. Découvrez maintenant