Chapitre 19 :

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Je mets de longues minutes, à genoux devant les toilettes, avant de réussir à éjecter tout ce que je viens de manger.

Plusieurs minutes, les mains dans la bouche, à attendre d'arriver à tout rejeter. Pourtant j'en ai besoin.

T'es minable, faible nul. Voilà pourquoi il ne t'arrives que de la merde, parce que tu es trop bête.

T'es conne, faible et tout ce qu'il t'arrive n'est que la répercussion de toute la merde que tu fais.

Tu le mérites.

Quand j'ai fini, je m'essuie honteusement les contours de la bouche avec du papier toilettes et tire la chasse, avant de fermer la cuvette. Je m'assieds en tailleurs et croise mes bras sur cette dernière, mettant mon front par dessus mes membres tremblants, les yeux rivés vers le sol carrelé, avant de commencer à pleurer.

Ça n'a pas pu reprendre, je pensais même que j'avais réussi à me débarrasser de cette merde, mais il faut croire que non. Parce que je ne peux pas me débarrasser de qui a causé cette merde, dont les images viennent de me revenir, tel un boomerang, dans la face. Et j'ai eu faim. Le besoin insatiable que j'avais au fond de moi est remonté en même temps que les souvenirs, me mettant à sa merci totale.

J'ai perdu le contrôle, comme il m'était tant arrivé déjà, et je ne peux maintenant plus me regarder en face, dû à la honte qui me ronge, honte d'être si vulnérable face à soit même et aux autres, honte de la personne que j'étais avant et honte de la personne que je suis aujourd'hui.

Je reste à pleurer plusieurs minutes avant de me rendre compte que Cameron et Alison pourraient arriver d'une seconde à l'autre et qu'il faut que je range tout ce que j'aie laissé en bas, dans la cuisine, le plus rapidement possible.

Je commence par aller dans la salle de bain pour me laver les mains, et je m'observe dans le miroir. Je nettoie le vomis et la crème que j'ai partout sur mon visage, et même sur mes cheveux, mes habits et mes mains. Il n'y a rien de plus honteux et de plus horrible que de se voir aussi vulnérable et à la merci de son corps et de ses besoins animaux dans une glace.

J'observe mon visage. Mes joues rondes, mes grands yeux, la graisse en dessous de mon menton...

Je descends mon regard sur mon corps. En enlevant le t-shirt de Cameron, j'observe sa grosseur.

Ma grosseur.

Je cambre mon corps, fais quelques mouvements pour observer ce que je trouve trop gros, trop petit. Je le scrute à la loupe, comme je l'ai tant fait auparavant, cherchant dans le moindre recoin les imperfections qui s'y cachent. Je regarde le gras de mes bras qui pend et le scrute de longues minutes avant de me promettre de changer tout ça, afin peut-être d'un jour ne plus avoir honte de lui, de moi. Après ça, j'enfile un legging et un gros pull, avec l'impression de n'être qu'une baleine échouée.

En revenant dans la salle de bain chercher le téléphone que j'avais oublié, je perçois la balance. Je prends une grande respiration et monte dessus.

55,5 kg.

J'ai au moins sept kilos à perdre et je le sais. Je n'ai pas arrêté les excès depuis février, voilà le résultat. C'est tout, je les avais laissé me faire croire que je n'étais pas bien tel que j'étais, et le pire, c'est que j'avais fini par gober leurs mensonges.

Cette époque est révolue, je vais reperdre tous ces kilos que j'ai gagné et redevenir comme il y a quelques mois. Je me répète en boucle les mêmes mots en espérant que je finisse par gober ce mensonge, essayant de me faire croire à moi même que c'est « bon pour moi ».

J'avance jusqu'au rez-de-chaussée et peux voir la macabre scène du crime. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais mangé tout ça.

Je vois les deux paquets de gâteaux à la crème, la bouteille de chantilly ainsi que le pot de pâte à tartiner, étalés juste au niveau de la place où je m'étais assise, éparpillés, vides, exactement comme ma tête à ce moment, et exactement comme mon estomac, je l'espère, ne va plus tarder à être.

Je m'enfouis dans le pull que je m'étais mis sur le dos, comme par honte. J'ai honte de qui j'étais, de qui je suis devenue et de ce que j'ai fait, pour la nième fois de la soirée, qui m'a semblé durer une éternité, où chaque secondes paraissait durer de longues heures interminables.

Je commence à ranger les différents emballages, me creusant la tête pour trouver une excuse à cette disparition fulgurante de nourriture. Il faut sûrement que je raconte que je les ai amené à la soirée parce que j'avais promis de ramener quelque chose et que j'avais oublié d'acheter un truc, mais je me rappelle à ce moment que Cameron et Alison sont là-bas, et cela me terrorise, car ce mensonge est surement le seul valable et ne colle pas avec les deux personnes qui me détestent le plus ici. Je ne peux rien dire, et Alison sait déjà beaucoup trop de choses sur moi pour que je lui donne à nouveau un bâton pour me faire battre.

Quand j'ai fini mon petit rangement, je m'assieds sur le canapé et regarde dans le vide, repensant à ce que j'ai pu faire pour mériter ça. Tout ça. Les larmes me submergent et je prends mon téléphone. 4h du matin, j'avais quitté la soirée à 1h.

Je compose le numéro de Léa et ne peux retenir mes sanglots quand elle répond, malgré le fait qu'il ne soit que 7h à Miami, chez elle.

-Hey comment tu vas ?

-Vraiment... je suis au fond, dis-je avec la voix qui déraillait.

-Non, ne me dis pas que... commence-t'elle.

Quand je renifle, elle comprend et me laisse sortir un « Oh ! », aussi étonné que compréhensif.

Elle reste à me parler pour savoir ce qui a bien pu se passer, et je lui raconte à quel point j'ai honte et elle renchérit en me disant que ça n'est pas de ma faute, et que je suis juste humaine. Mais cet appel ne me fais pas autant de bien que je l'espérais, et malgré tous les efforts de Léa, je suis au bout.

Je suis fatiguée, toujours en pleurs et ma honte me consume. Je ne lui parle pas de ma découverte, seulement parce que j'ai mis plus d'un an et demis à l'admettre et que j'ai maintenant besoin de diriger. Personne ne sait ça, et je ne veux que ça change, parce que ma vie est déjà trop problématique pour en ajouter une couche et qu'à ce moment, j'ai l'impression que de le dire à haute voix, encore plus à quelqu'un, rendrais tout ça réel, plus réel que dans ce vague souvenir.

American DreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant