Chapitre 59 :

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Je reste dans cette position pour une durée indéterminée, mais en tout cas assez de temps pour que les bruits en bas cessent progressivement.

Je ne ressens rien, je ne pense à rien, à l'intérieur, il n'y a qu'un immense vide.

J'ai l'impression d'être sale, en tout cas salie, souillée par ce qui vient de se passer et que je n'arrive d'ailleurs toujours pas à croire. Je suis incapable de le formuler, semblant quasiment paralysée par cette acte.

Quand j'entends dans le couloir des gens parler à propos du fait d'aller se coucher, je sors de mon état végétatif en sursaut et me rhabille, par peur que quelqu'un entre et me surprenne comme ça. Ça rendrait tout à plus réel et... si je suis sûre de pouvoir enterrer cette histoire assez profondément pour l'oublier, je sais que je ne pourrais pas si la moindre personne devient au courant de cette histoire.

Je ramasse les quelques affaires à moi qui avaient été jetées tout autours du lit et les enfile. Seulement dans cette tenue, j'ai froid, mais surtout honte. Je prends un gros pull à Arthur et sors de la chambre.

Je me dépêche de prendre les dernières affaires qu'il me reste ici pour courir dehors avant que quelqu'un ne me voit, d'autant plus si il s'agit d'Alexandre.

Dès que j'arrive dehors, je m'adosse au muret bordant la maison, incapable de réaliser ce qu'il vient de se passer.

Je viens de me faire violer.

Violer.

Ce mot est horrible, destructeur, et rien que de le penser démantèle chaque petite partie de mon être, sans exception.

Je n'arrive pas à comprendre ce qui a pu me mettre dans cette situation.

Est-ce de ma faute ?

J'ai toujours entendu parler d'histoire comme ça, et il est vrai que je n'ai jamais compris que des viols peuvent être « excusés », en tout cas du point de vue de la justice, ou encore considérés comme « mérités », mais avec le cas dans lequel je suis, j'en viens même à me trouver coupable, responsable de m'être faite abuser.

Est-ce que je l'ai mérité pour l'avoir chauffé plus d'une heure avant ?

C'est de ma faute ?

J'avais malgré moi l'impression que oui.

C'est une sensation horrible.

Quand quelqu'un passe en me sifflant dehors, je ne peux m'empêcher d'avoir un sursaut. Il faut que je parte avant que quelqu'un tente de se rapprocher de moi, où même me voit, encore une fois d'autant plus si il s'agit d'Alexandre. Je ne supporterais plus sa vision, jamais. J'ai de la chance qu'il habite dans le sud et que sa présence à cette soirée soit bien plus qu'exceptionnelle, je ne saurais pas comment j'aurais pu vivre si non.

Alexandre. Ce nom me hante et me hantera probablement toute ma vie.

Je prends mon téléphone, qui heureusement ne s'est pas encore vidé de sa batterie, et appelle mon père, avec l'air le plus normal possible, pour qu'il vienne me chercher. Lui aussi est au mariage d'un ami et y a embarqué mon frère, mais étant donné l'heure, je suppose qu'il ne va lui-même pas tarder à rentrer.

Je me rappelle alors que je lui ai désobéit en venant à cette soirée, alors je suis partagée entre deux pensées : bien fait pour toi, et l'espérance qu'il ne me laisse pas toute seule en conséquence de mes actes.

-Allo ? Commencé-je en tentant de ravaler mes larmes, et contenant les autres qui se battent pour passer.

-Maxence ?

Mon père prend une grande respiration et continue.

-T'as besoin que je te ramène ? Demande-t'il compréhensif.

Il sait que quelque chose ne va pas, que je ne rentre que rarement de soirée, mais il doit sûrement penser à un crêpage de chignon entre amis ou à une petite dispute avec Arthur... il ne peut pas se douter un seul instant de ce qu'il a réellement pu se passer.

J'acquiesce et il me prévient qu'il arrive dans une dizaines de minutes, à mon grand soulagement.

Quand je raccroche je me rends compte à quel point je suis mal, j'ai une migraine horrible, ainsi que des vertiges. J'en profite pour tenter d'oublier mon coeur qui semble s'effriter, au point d'en avoir physiquement mal.

Alors, en attenant mon père je me focalise sur les autres douleurs pour m'éviter de penser à tout ce que j'ai vécu lors de cette soirée.

Au bout d'une bonne dizaine de minutes, je suis dans la voiture de mon père. La maison est vingt minutes de route. Dans vingt minutes je vais être chez moi, à tenter de faire comme si cette soirée n'avais jamais existé, et avec un peu de chance, l'alcool fera son travail. C'est tout ce que je peux espérer, parce que je sais que je ne pourrais pas vivre après un traumatisme pareil.

Mon père ne parle pas du trajet, et c'est plutôt agréable, je ne suis pas réellement pas en forme pour faire la discussion, surtout si il prévoit de me passer un savon pour ma connerie, celle d'être allée à cette soirée sans son accord, comme quoi le karma a de l'humour.

Je vaque à différentes pensées, en essayant d'oublier ce qu'il s'est passé juste avant, malgré les images qui resurgissent tout le temps. Si j'ai eu l'impression de ne rien ressentir pendant toute la durée de l'acte, mon corps a enregistré chacune des douleurs et me les rappelle : la façon dont il est entré en moi, les images nombreuses de sa semence chaude coulant sur ma peau, de son visage ou encore de ses yeux perçants.

Je n'arrête pas de me dire que c'est de ma faute, que je l'ai mérité, et qu'à force de jouer avec le feu, il fallait bien que ça arrive.

C'est un fait. Je l'ai chauffé dès l'instant où j'ai appris la tromperie de son meilleur ami, et sûrement bien avant sans m'en rendre compte.

J'essaye de me persuader que ça n'est pas de ma faute, et que personne ne mérite ça, mais je n'y arrive pas.

« Tu fais genre mais t'es contente, hein petite salope ? »

« Continues de faire ta p'tite prude, ça m'excite encore plus ! »

« J'veux te faire ça depuis que t'as joué à la cochonne toute a l'heure... »

Je constate seulement à ce moment que mon corps est ensanglanté. J'ai des marques sur les poignées et une coupure sur le ventre. Et je suis rouge en bas. Je pisse le sang.

Bordel.

J'ai une grosse prise de conscience en me rendant compte que si il avait pu se déverser en moi, il n'avait pas mis de préservatif. Je panique instantanément à cette idée et allume mon téléphone, ignorant toutes les notifications, avant de voir, le coeur serré, que je suis en période de pic de fertilité, et ainsi que les chances sont maximales pour moi de tomber enceinte. Je me rends à ce moment également compte que je vais sûrement attraper une IST ou autre connerie du genre.

Je passe la plupart du temps à essayer d'orienter mon esprit sur d'autres pensées, mais je ne veux, ou ne peux pas : à chaque fois, mon cerveau revient sur la possibilité d'un enfant, d'une maladie, le fait que je me sente terriblement souillée et salie, les images, et la pensée qui prône est la pire.

C'est de ta faute Max. Tout est de ta faute.

Jusqu'à l'impact. D'une seconde à l'autre, notre voiture est brutalement poussée et part en tête à queue sur le bord de la route, violemment et sans même de transition. Elle emmène avec elle le peu de considération qu'il me reste à l'égard de mon père - dont je n'apprends que plus tard l'état alcoolisé qui l'a fait griller ce putain de feu rouge - un autre morceau de mon cœur, et deux immenses bouts physiques à mon frère, comme si cet incident emmenait avec lui les seuls choses qui me restaient, mis à part la vie que j'aurais volontiers abandonné si j'avais eu le choix.

American DreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant