Chapitre 13

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Kerian

Putain, je n'ai même pas eu le courage de l'embrasser, trop apeuré à la simple idée qu'elle ne puisse me repousser. Je voyais pourtant ses yeux me supplier, ses joues devenir d'un rouge écarlates, ses pupilles se dilater. Son corps parlait bien plus qu'elle n'osera jamais le faire. Son corps a toujours été si expressif, je pouvais lire en elle comme dans un livre ouvert, savoir à tout moment ce qu'elle ressentait. Mais avant de récupérer ma petite blondinette une fois pour toute, j'ai d'autres chats à fouetter.
Merde, de quel droit cet abruti, ce connard de Leo se permet-il d'entrer chez elle ? Comment peut-il avoir eu l'audace de la voir si dévêtue. Je n'aurais pas hésité à lui sauter dessus si nous n'étions pas en plein milieu de la rue. L'entendre crier mon nom me manque tant. Putain, je ne dois pas penser à ça maintenant, il faut que je casse la gueule de ce connard de première. Bon, d'accord, je ne lui casserai pas la gueule pour une seule raison, ce petit con est mon cousin, mais je peux vous assurer que ce sombre crétin va m'entendre.
Je tourne les talons, quittant du regard ma belle blonde puis me rue du plus vite que ma jambe handicapée me le permet jusqu'à ma foutue maison.

- C'est quoi ton problème ? Je beugle à travers la pièce tout en attrapant Lucas au vol.

- Mon problème ?

- Oui, putain. De quel droit est-ce que tu te permets d'entrer chez elle ?

- Du calme !

Son accent de merde commence à me taper sur le système. Une parole de travers et j'emplâtre sa tête dans le mur du salon.

- Ne me dit pas de me calmer. Je ne le répèterai pas deux fois Lucas, tu t'approches d'elle encore une fois et tu pourras dire adieu à ta petite gueule de playboy. Compris ?

Ce dernier mot prononcé dans sa langue maternelle le fait reculer d'un pas, le dire en français lui fera peut-être comprendre la gravité et le sérieux de mes propos.

- Kerian, chéri, ne t'énerve pas comme ça.

Je dois me faire violence pour ne pas inonder ma mère d'insultes, mais en dépit de ma colère, je sais pertinemment que cette dernière n'y est pour rien, qu'elle tente uniquement de me calmer et me protéger.
Bien que je ne lui ait presque rien confié, ma mère a toujours été l'une des personnes les plus importantes à mes yeux. Je passe alors ma main sur sa joue légèrement ridée avant de me décider à monter les escaliers pour gagner ma chambre. Je ne peux plus me le voir l'autre connard.
Une fois enfin dans mon antre, je retire mes boots ainsi que mon tee-shirt, sort mon paquet de clopes du tiroir de mon bureau et prend place sur le rebord de la fenêtre.
Je ne m'étais pas le moins du monde rendu compte que cela faisait si longtemps que je ne m'en étais pas grillée une. A vrai dire, je n'avais pas vraiment la tête à ça ces temps-ci ! Je tire une latte et cette dernière me procure un bien fou, comme une libération. Mon épaule droite me fait affreusement mal, putain, foutu accident de merde. C'est bien la première fois qu'une chute telle que celle-ci me tombe dessus, et pourtant je peux vous assurer qu'il m'est arrivé de rentrer dans des états bien pire que celui dans lequel j'étais !
Je tire une seconde latte, observant la forme des nuages. Sans trop réfléchir, j'attrape le journal intime d'Holly posé sur mon bureau ainsi qu'un stylo et me mets à écrire.

Cher journal, putain, quel début cliché ! Non mais sérieux. Quoi de plus pleurnichard et gamin qu'un foutu « cher journal ». Mais passons, je viens de me surprendre à observer la forme des nuages, les contempler durant leur lente migration et j'en ai eu le tournis. Il n'y a que les gamins et les cons pour observer les nuages ! A quelle catégorie est-ce que j'appartiens alors ? Peut-être les deux. Je ne sais pas ce que je veux me prouver en écrivant une nouvelle fois dans ce petit cahier et je ne sais pas non plus ce que je suis en train d'écrire. Les mots semblent découler sur le papier sans même passer par mon cerveau. C'est étrange, j'ai toujours pensé que comme une rose, la beauté de chacun s'effaçait un peu plus chaque jour, que l'ensorcelante jeunesse, la pure somptuosité de tout être humain fanait un peu plus au fil du temps. Alors, stupide journal, pourquoi sa beauté, son charme, son air si pur et innocent semble s'intensifier à chaque fois que je dépose mon regard sur elle ?

Le cours de mes pensées est subitement arrêté par quelques coups rapides sur la porte. Si c'est l'autre, con, je le fais passer par la fenêtre.
Je dépose le journal dans le tiroir de mon bureau avant de beugler un « entrez ».

- Salut, Kerian.

Je tombe dénue en tombant nez à nez avec une grande rouquine au teint palot.

- Jil ? Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je venais te parler.

J'écrase ma clope avant de lui laisser une place sur le rebord de la fenêtre. Je ne peux m'empêcher de me marrer en la voyant faire des pieds et des mains dans le seul but de me rejoindre. J'imagine que les talons hauts ne doivent pas être adaptés à ce genre de situation.

- Tu n'es qu'un salaud ! Arrête de te moquer de moi !

- Pas question ! De quoi est-ce que tu venais me parler ?

- De tout, je crois. A vrai dire, je venais m'excuser.

- Jil Weckers qui vient s'excuser ? Alors là, j'aurais tout entendu !

- Tu vas la fermer oui ! C'est bien la première et la dernière fois que tu entendras des excuses de ma part.

Le plus triste, c'est que Jil n'a jamais eu au fond d'elle cette âme de connasse égocentrique que tout le monde lui attribuait. Je crois bien que c'est cette raison qui m'a poussé à la détester. Le fait de savoir qui elle était vraiment, de voir son petit côté naturellement peste s'amplifier à mesure que les jours avançaient, la voir devenir une garce manipulatrice et menteuse, ou plutôt, se donner cette image. Voilà ce qui m'a le plus rebuté chez la rouquine.

- Ok, je t'écoute.

- Je tiens à m'excuser d'avoir été une telle garce avec Holly et toi. Les photos, les insultes, les menaces, les coups bas, tout ça... ce n'est pas moi. Je veux dire... j'ai toujours été une petite peste, mais j'ai l'impression de n'avoir fait que suivre le chemin de Luna ces dernières années. Sandy m'a fait ouvrir les yeux sur certaines choses et il est évident que même si nous ne pourrons peut-être jamais plus être amis, il faut faire quelque-chose pour que cette garce se tire de nos vies.

J'ai l'intime conviction qu'il se passe quelque-chose entre Sandy et elle ces derniers temps. Cette simple idée me fait rire intérieurement.

- Tout serait si simple si elle n'était pas revenue.

Elle se lève du rebord de la fenêtre pour regagner ma chambre et défroisse sa courte jupe en cuir rouge.

- Tu aurais dû la tuer, pour de vrai, ricane-t-elle. Elle ne serait plus dans nos pattes à l'heure qu'il est.

- Jil !

- Quoi ? C'est encore trop tôt pour faire des blagues sur l'ancienne morte ?

- Non putain, tu as raison !

Nous explosons de rire tandis que la porte de ma chambre s'ouvre dans un grincement sans nom. Une certaine pointe d'appréhension se lit sur le visage de mon con de cousin à la minute où il passe sa tête dans l'entrebâillement de la porte.

- Ta mère te demande à la cuisine, Kerian.

- Bon, je m'en vais, conclut Jil.

Elle embrasse le bout de ses doigts avant de faire signe de m'envoyer ce baiser puis ouvre en grand la porte de la chambre. La main sur la hanche, elle dévisage mon cousin de haut en bas.

- Salut, je suis Lucas.

Elle se tourne dans ma direction, lève les yeux au ciel avant de répliquer :

- Un mot sur mes excuses et tu es mort, Duchemin.

Elle se tourne à nouveau vers Lucas avant de reprendre ;

- Et toi, hors de mon chemin sombre inconnu.

Je ne peux m'empêcher d'exploser de rire. Je retrouve enfin mon ancienne Jil !

Soulmate - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant