Chapitre 74

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Holly

Ce matin à mon réveil, j'ai la vague impression de me sentir prête. J'ai l'étrange impression d'être enfin prête à le laisser s'en aller, le laisser réaliser son rêve. D'ici quelques heures je l'accompagnerai à l'aéroport, l'embrasserai et lui promettrai fidélité durant tout le temps que nous passerons loin l'un de l'autre. C'est étrange, une boule au ventre est bien présente en moi, mais je parviens à passer au dessus. Ma dernière journée avec lui a été fantastique, tout ce que nous avons vécu a été fantastique; les bons moments, tout comme les mauvais. Je serre mon collier du plus fort qu'il m'est possible de le faire tout en repensant à la veille de la rentrée. L'ancienne gamine rondouillarde et timide s'en est allé à la seconde où il a posé les yeux sur moi ce jour-là. J'ai l'impression de n'avoir fait qu'évoluer depuis, de n'avoir fait que de grandir, mûrir. Tout ça, grâce à lui. Toutes ces choses que nous avons vécus m'ont forgé, ont forgé qui je suis désormais. Et j'en suis fière. Je ne parviens pas à mesurer la distance que nous avons parcouru depuis ce début d'année, je n'arrive pas à me dire qu'au commencement, je n'étais qu'un pari, et puis tout a fini par déraper.

- Holly ?

Je suis sortie de mon lit par la voix inquiète d'Owen. Sa mine est grave et sa mâchoire crispée.

- Oui ?

- Tu... as vu Kerian ?

- Non. Il a dormi chez lui hier soir, il voulait passer un moment avec ses parents. Pourquoi ?

Il tient quelque-chose dans sa main, un objet que je reconnais presque instantanément comme étant mon journal intime. Enfin, mon ancien journal intime. Je ne l'ai pas revu depuis que Kerian s'en est emparé après l'une de nos ruptures. Qu'est-ce qu'Owen peut bien faire avec mon journal ? Comment est-ce qu'il a bien pu le récupérer ? Un mauvais pressentiment me heurte de plein fouet. Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Tu... il...

- Accouche, Owen, sérieux.

- Il m'a laissé ça il y a une heure. Il m'a dit d'attendre pour te le donner. Je pensais que tu l'accompagnerai à l'aéroport.

- C'est ce qui est prévu.

L'intégralité de mon corps se met à trembler alors qu'Owen me rend mon journal intime. Une petite feuille semble avoir été laissée à une page, j'ouvre le petit livret et crois halluciner en voyant la page griffonnée et raturée. Des pages y ont été arrachées avant et après et je n'ai pas besoin de lire la fin de la première ligne pour comprendre.

- Il faut qu'on y aille.

- Quoi ?

- A l'aéroport, Owen. Tout de suite.

La moindre parcelle de mon corps tremble alors que je tente tant bien que mal de retenir mes larmes. C'est pas vrai, ne me dites pas qu'il a osé, ne me dites pas qu'il aurait pu le faire. J'ai soudain d'impression qu'un anticyclone de sentiments se forme autour de moi. De la tristesse, de la peur, de la colère, de la mélancolie ou encore du dégoût, je ne parviens pas à en distinguer un dominant les autres, comme si un effroyable ras de marée se saisissait de moi. Et plus les secondes passent, plus je suffoque. Je suffoque d'ailleurs si bien au sens figuré qu'au sens propre, à cet instant précis, j'ai la réelle impression de ne plus avoir la moindre force, de ne plus être en capacité de tenir debout, de bouger, de parler et même de respirer. Le choc est si brutal que je ne parviens plus à voir ce qui m'entoure. Ma vue se brouille et tous les bruits autour de moi semble faire écho.

- Holly, Holly, merde. On y va.

Owen me traine jusqu'à sa voiture bien que je manque de m'étaler sur le sol une bonne dizaine de fois avant de finalement pouvoir l'atteindre.

- Parle-moi, Holly, dit quelque-chose.

J'ai beau entendre ce qu'Owen me dit tandis qu'il démarre en trombe, je ne parviens pas à décrocher un mot, tenant fermement entre mes mains mon journal. Comment est-ce qu'il a bien pu faire ça ? Comment est-ce qu'il a bien pu m'abandonner de la sorte ? Sans un au revoir, sans un adieu. Je n'ose toujours pas lire la lettre, je sais que si je me mets à la lire, alors je m'effondrerai. Et si j'arrivais à le retenir ? Si j'arrivais à finalement lui dire au revoir avant qu'il ne s'envole pour Paris ? Et si Owen et moi arrivions à temps ? Cette idée me paraît stupide. Il a pris ses précautions. C'est exactement pour cette raison qu'il a ordonné à Owen d'attendre pour me donner le journal.

- On va y arriver, on va arriver avant qu'il ne décolle. Et j'enfoncerai mon poing dans sa gueule.

Plus les secondes passent, et plus j'ai l'impression de le sentir s'éloigner de moi. Plus je vois le temps défiler et plus le vide de son absence si soudaine m'assaille. J'ai été stupide de croire que je pourrais m'en sortir ici sans lui. J'aurais du lui dire de rester, j'aurais du me montrer égoïste et le supplier de ne pas m'abandonner.
Il nous a fallu moins de quinze minutes pour arriver à l'aéroport, contre trente en temps normal ! Je ne laisse pas à Owen le temps de se garer et bondis de la voiture pour accourir à l'intérieur de l'aéroport. Cette scène me rappelle les passages les plus mélodramatiques de films romantiques bidons, sauf que normalement, c'est le garçon qui court après la fille pour la rattraper, et la fin, tout le monde la connaît. Un happy ending, un fichu happy ending. Pourquoi faut-il que la vraie vie soit si différente que la fiction ? Pourquoi faut-il que dans la vraie vie, la fille paumée manque de peu l'avion de son petit-ami, non, de l'amour de sa vie ?

- Le vol pour Paris. Il est déjà parti ? Je beugle à la femme au guichet juste en face de moi.

Elle semble tout bonnement effrayée en me voyant.

- Il... il vient de partir mademoiselle. Je suis désolée.

Et cette fois, je m'effondre, me laissant tomber sur le sol, dos au mur et les jambes repliées contre ma poitrine. Les larmes ruissellent sur mon visage si vite qu'il se trouve rapidement trempé. J'ai l'impression que mon cœur se transforme un peu plus en lambeaux à chaque fois qu'une larme a le malheur d'atterrir sur ce fichu journal. Je ne peux pas la lire, ça me briserai littéralement de l'intérieur, cette lettre ne ferait qu'embraser à nouveau le brasier préalablement présent en moi. Alors pourquoi est-ce que je ne peux m'empêcher d'ouvrir cette page, et de me mettre à lire dans ma tête les lignes griffonnées sur ce journal ?

« Mon amour, je suis un lâche. Je ne suis qu'un putain de lâche et c'est pour cette raison que je t'écris cette lettre. La vérité mon ange, c'est que je t'aime plus que je ne m'en serais cru capable. Je ne veux pas que tes larmes coulent, je ne veux pas que tu te sentes coupable car je suis le seul responsable de mes choix. J'aurais dû rester, j'aurais dû refuser de partir, j'aurais dû continuer à être là pour toi et pourtant je m'en vais. Ta mère avait raison, je te suis nuisible, ils avaient tous raison et je m'en rends compte maintenant. Je veux que tu rêves, que tu planes au dessus des nuages tel un ange, que tu te sentes si légère qu'une plume. Cette légèreté ne sera jamais envisageable avec moi. Tu as été mon ange durant toutes ces années, un ange en perpétuel flottement autour de ma personne, tu m'as rendu tellement meilleur. Mais la vérité mon ange, c'est qu'il m'est impossible d'être égoïste avec toi, impossible de te demander de m'attendre tant de temps, impossible de te supplier de continuer de croire en notre histoire. Tu le sais, l'amour est comme une rose, sublime mais malheureusement pas éternel. Fanant peu à peu, il ne restera un jour que les bourgeons de notre amour, que les doux souvenirs de nos nuits passées ensemble. Le cadran de la montre m'a rattrapé et je ne peux le repousser plus longtemps. Mon ange doit prendre son envole. Je sais qu'on se retrouvera, qu'importe le temps, qu'importe les épreuves de la vie, qu'importe notre avenir. Et si je dois t'attendre jusqu'à ton ascension au paradis je le ferai. Je dois désormais te dire au revoir tout en te souhaitant le meilleur, en te souhaitant de trouver quelqu'un qui te fera te sentir si vivante qu'il balayera d'un revers de main tout le mal que j'ai pu te faire. Je t'aime, Holly. Je t'ai toujours aimé et je t'aimerai toujours. Je t'en prie pardonne moi ».

Et c'est à cet instant précis que je me rends compte que j'ai bel et bien perdu mon âme-sœur. Il s'en est allé, arrachant jusqu'à la plus petite parcelle de bonheur qu'il restait en moi. Et me voilà désormais seule, affrontant la marée montante des sanglots habitant désormais mon corps et mon âme. Et priant pour que d'ici peu, cette tristesse se transforme en rage.

Fin

Soulmate - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant