Chapitre 63

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Kerian

Son regard suppliant me brise le cœur. Putain, pourquoi est-ce qu'il a fallu qu'elle brise ce moment parfait ? J'aurais aimé pouvoir observer sa mine rayonnante, son large sourire encore quelques minutes, voir même quelques secondes avant que ce dernier ne vienne à s'éteindre, avant qu'elle n'apprenne ce que je suis en réalité. J'aurais aimé l'embrasser une dernière fois, la prendre dans mes bras avant qu'elle ne me haïsse. Je reste muet, comme figé tandis que ses petites mains parcourent mon crâne chevelu. Elle s'impatiente, je peux le sentir à sa respiration qui s'accélère et son souffle qui devient de plus en plus bruyant.

- Kerian, tu m'avais promis.

Je peux déjà sentir toute la déception dans sa voix, et je n'ai même pas encore ouvert la bouche ! Mais je ne peux pas y échapper. Si je ne lui dis pas, Luna s'en chargera, et je ne peux pas lui laisser cette chance de ruiner mon couple encore une fois.

- Bien. Je vais tout te dire mais... promets-moi de ne pas te mettre en rogne.

Je sais au fond de moi qu'elle ne peut pas me le promettre, putain de merde, qu'est-ce que je peux être con parfois !

- Kerian !

- Ok, ok.

Elle se lève de mes genoux et prend place sur le bureau. Faire l'amour dessus était une bonne idée ! Je chasse rapidement cette idée de ma cervelle, putain, arrête de penser au sexe rien que cinq minutes Kerian !

- Ça s'est passé en première année. Les dernières semaines de notre première année au bahut. Tu... te rappelles du pari ?

- Si je me rappelle du pari ? Grogne-t-elle. Bon sang crache le morceau.

- Tu... t'étais pas la première.

Son visage blêmit.

- Pardon ?

- Ouais... Peter, Owen et moi on avait fait ce pari. On était assis en cours et Peter m'a dit que je devrais sauter la première fille qui mettra les pieds dans cette salle. Preuve à l'appuie, bien-sûr.

- Bien-sûr ! Rétorque-t-elle ironiquement.

- Cette fille, c'était Anna. Anna Wilson. Elle était dans notre cours d'histoire. C'est comme ça que le pari a commencé.

- Commencé ?

- Ouais... tout ça s'est envenimé. Au début je devais juste coucher avec elle et montrer à Peter et Owen la vidéo. Je ne devais pas la faire tomber amoureuse de moi, c'était pas dans les plans, mais... Peter misait de plus en plus gros et j'avais besoin d'argent pour m'acheter de quoi fumer.

- De quoi fumer ?

Son teint est cadavérique et son souffle court. Je ne supporte pas de voir ses yeux luisant, je sens qu'elle se retient de ne pas fondre en larmes. Si bien je ne parviens même pas à la regarder dans les yeux en continuant de conter mon histoire.

- Ne fais pas l'étonnée, Holly, tu sais très bien que je me défonçais avec Peter, Owen, Luna, Jil et Sandy avant. Mais... ça n'a rien à voir avec ça. Quand j'ai réussi à la faire tomber amoureuse, Luna a pété un câble, je veux dire, sérieux, c'était flippant ! Et puis elle est devenue paranoïaque, et impulsive. On a tous cru que c'était la drogue, mais en réalité, Luna a toujours été comme ça.

- Qu'est-ce que tu as fais, Kerian ?

- Un soir, Luna était à la maison et elle s'est mise à fouiller dans mon téléphone, elle est tombée sur la vidéo d'Anna et moi. Il faut que tu saches que Luna et moi n'étions plus ensemble quand j'ai couché avec Anna. Et là, elle est partie avec mon portable. Et le lendemain, Anna n'était pas au bahut et la vidéo avait tourné dans tout le lycée. Comme... pour toi.

Cette fois, je perçois une larme rouler le long de sa joue. Ma gorge se noue mais je ne parviens pas à chialer à mon tour. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je n'y arrive pas ? Elle doit me prendre pour un monstre insensible.

- Continue, souffle-t-elle entre deux sanglots.

- Elle n'est pas venue le surlendemain, alors j'ai commencé à m'inquiéter. On a couché ensemble chez elle alors je savais où elle habitait. J'ai sonné et... putain sa mère m'a dit qu'elle était à l'hôpital. Qu'elle avait tenté de se suicider la veille.

Et là, je m'effondre enfin. Je peux revoir à la perfection le regard dévasté de sa mère lorsqu'elle m'a ouvert la porte, la bouille rougeâtre et noyée de larmes du gosse de moins de cinq ans accroché à sa jambe. Et puis tout semble me revenir, ma soirée avec elle, la manière dont je lui ai fait miroiter le grand amour, la caméra posée négligemment sur son bureau, comme pour Holly, ses petits cris de douleur quand je l'ai déviergée. Je parviens même à me souvenir de son sourire, ses éclats de rire. Ce n'était pas une méchante fille, bien au contraire, elle était sublime et douce, elle était réservée à quelqu'un de bien, quelqu'un qui ne l'aurait pas souillée pas comme je l'ai fais.

- Est-ce qu'elle est...

- Non. Elle est encore en vie, Holly. Elle a simplement déménagé. Elle est parti vivre à New-York avec sa famille. Et... je n'ai jamais pu la revoir ou même lui faire mes excuses.

- Tu t'en voulais, grogne-t-elle.

- Bien-sûr, putain, qu'est-ce que tu crois ?

- Et pourtant tu as recommencé, avec moi, tu as recommencé malgré tout le mal que tu as causé.

Son beuglement me déchire le cœur. Je le savais. Je savais que j'aurais dû fermer ma gueule, que j'aurais du ne rien lui dire, cacher cet honteux secret. Et pourtant, je me sens à la fois soulagé de ce poids incommensurable. Je me sens pour la première fois libéré de tous ces secrets et ces cachoteries.

- Je sais, Holly.

- Tu n'es qu'un monstre.

Je sens mon cœur se briser à l'entente de l'amertume présente dans sa voix. Et puis soudain, une insoutenable colère émerge en moi, une colère portée uniquement contre moi-même, une putain de rage contre ma foutue personne. Fait chier, comment est-ce que j'ai pu être stupide et crédule ? Comment est-ce que j'ai pu croire qu'un jeu pareil n'aurait aucune incidence ? Comment est-ce que j'ai pu recommencer un pari après ce qu'il s'est passé avec Anna ?

- Je sais.

Ma voix se brise et son regard s'adoucit. Je ne comprends pas, j'ai la vague impression qu'elle compte m'en mettre une tout en ayant me demandant si elle ne s'apprête pas plutôt à me prendre dans ses bras. Je ne saurais décrire quel sentiment se cache derrière les somptueux yeux verdâtres de la blondinette face à moi. Pourquoi est-ce que je n'y arrive pas ?

- Je... dois sortir, murmure-t-elle.

- Alors c'est fini ?

Ma voix est si basse que je doute l'espace d'une seconde qu'elle ait entendue ma question tandis qu'elle se dirige vers la porte.

- Non, Kerian. J'ai jute besoin d'air.

Je n'en reviens pas. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'elle ne me jette pas comme une merde en me balançant un flot d'insultes ? Pourquoi est-ce qu'elle ne s'effondre pas, là, sur le sol, face à moi ? Pourquoi est-ce qu'elle ne me hurle pas dessus ? Je ne prétend pas vouloir que tout ça arrive, mais c'est ce à quoi je suis habitué. Pourquoi ce changement ?

- Pourquoi est-ce que tu ne me gueules pas dessus ?

- Parce que Charlie a raison. Je n'ai pas décidé de te laisser une autre chance pour me séparer à nouveau de toi pour une histoire datant de deux ans. C'est à cette pauvre fille que tu dois des excuses, pas à moi, Kerian.

Et là-dessus, je n'ai pas le temps de répondre que cette dernière enfonce sa main sur la poignée de la porte et quitte la chambre. Me laissant seul, assis sur cette foutue chaise de bureau, observant le mur face à moi comme s'il pouvait m'apporter les réponses à toutes les questions et interrogations émergeant brusquement dans mon cerveau.

Soulmate - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant