Chapitre 5

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— Dépêche-toi Louna ! braille la blonde. Tu es à la traîne !

Mes amis manquent de peu de me télescoper chaque fois que nous nous balançons. Il faut toujours qu'on se croise, on ne peut pas s'en empêcher. Je souris à ma copine, qui nous suit légèrement en retrait.

— Ne l'écoute pas, la rassuré-je.

Elle effectue son habituel sourire timide avec un hochement de tête reconnaissant.

— Ne t'inquiète pas, je vous rattraperai. Tu n'es pas obligée de m'attendre.

Sa voix douce ne me dupe pas : elle n'aime pas être seule dans la forêt, elle a autant peur du noir que moi, même d'avantage ; néanmoins, elle préfère que je m'amuse. C'est vraiment gentil de sa part, je sais qu'elle n'aime pourtant pas cette partie sombre de la forêt.

Je lui fais un clin d'œil, et sans un mot, je lâche la liane que je tenais. Elle pousse un cri et m'imite. Nous tombons en chute libre. Le vent nous fouette le visage, jusqu'au moment où l'impression de geler sur place est insoutenable. Je rigole comme une folle quand je vois les cheveux roux de Louna battre l'air et lui bloquer la vue tandis qu'elle s'égosille. J'entends ses hurlements tout le long de la descente. Je me concentre puis agrippe du lierre collé sur un tronc. Mes mains perdent leur peau à cause de la vitesse et la force de l'impact, mais j'attrape Louna en plein vol, lui arrachant un glapissement.

— Tout va bien ? je la taquine.

— M-merveilleusement b-bien, bégaie-t-elle. Pourquoi est-ce qu'on ne les suit pas ?

— Je n'avais pas envie d'aller à la cabane... Désolée de ne pas t'avoir prévenue, je m'excuse piteusement.

Mon aveu résonne dans l'immensité de la jungle. Seul le silence et les grondements des bêtes environnantes lui répondent. La cabane est le dernier lieu que je veux voir après cet affreux discours, après l'annonce de ma couleur et celle de mes amis. Je suis évidemment la seule Rouge. Laura affiche fièrement son haut Bleu, désormais sous la responsabilité d'Olivier. La veinarde, elle a bien de la chance. Je suis tellement contente qu'elle ait un superviseur sympa. Louna a elle aussi un prof assez bien. Elle est Verte avec Daniel Crawn, un ours mal léché opportuniste. Cependant, il fait un travail correct alors je suis contente qu'elle l'ait.

Louna pose sa main délicate sur mon épaule en signe de soutien. Elle me comprend et respecte mes choix. Elle ne s'est jamais moquée de moi. Elle m'a toujours défendue quand Léanna le faisait. Enfin... soutenue plutôt. Sa timidité maladive ne jouait pas en sa faveur, mais j'ai toujours énormément apprécié le geste.

— Tu ne veux vraiment pas y aller ? elle s'enquit.

Cette toute petit phrase m'insuffle une bouffée de culpabilité. Je la pénalise en refusant de m'y rendre, ce qui est absurde vue que je vais à la cabane plusieurs fois par semaine depuis des années. C'est méchant de lui infliger ça, mais j'ai peur de rester seule ici aujourd'hui. Si je lui dis, elle va tout de suite s'inquiéter. Je lui souris et acquiesce de bonne grâce. Je dois aller à la cabane avec eux, ça serait bête de ne pas profiter de la présence de la bande alors que nous serons tous séparés par nos groupes respectifs dans peu de temps.

Son sourire pourrait illuminer toute la forêt. Je crois que la perte de ma sœur la beaucoup atteinte aussi, malgré c'est dix dernières années écoulées.

Quand ma flamme s'est éteinte, j'ai accidentellement soufflée sur celle de mes amis et depuis, elles ne cessent de vaciller.

Je m'en voudrai toute ma vie.

Nous grimpons le long des troncs sans plus tarder. On pourrait faire facilement dix fois le tour de l'arbre avec mon corps. Les lierres sont pratiques pour l'ascension, très vite nous nous retrouvons en haut. Plus on s'approche du côté sombre de la jungle, plus les chênes deviennent immenses, ayant à leur pied des champignons bioluminescents d'un bleu, d'un rouge et d'un rose transcendant. Petite, je m'amusais à sauter dessus. Je rebondissais sur leur chapeau pour atteindre un autre plus gros et ainsi de suite. Seuls les rouges à pois blancs ne sont pas toxiques ici, ce sont également les seuls qui ne sont pas bioluminescents. Comme je regrette ce jeu à présent. J'ai bien envie de recommencer un de ces jours.

Dès que nous franchissons la « frontière », nous oscillons plus rapidement entre les lianes.

Tandis que la luminosité diminue, les plantes gigantesques d'où émane une aura bleutée, nous ouvrent le chemin en cette fin d'après-midi. A peine mes pieds foulent le parquet boisé de la maisonnette que Laura me saute dessus en exigeant des explications pour ce retard, sous l'hilarité de Samuel. Elle se ressaisit néanmoins et s'époussette.

— Vous êtes lentes les filles, nous nargue-t-elle.

— En fait, on voulait vous donner de l'avance pour pouvoir accélérer ensuite... chose impossible avec toi sans risquer de finir en course poursuite, et on sait tous comment ça finit, ricané-je.

Vexée comme un poux, elle grommelle qu'elle nous aurait battue si « cet oiseau de malheur » n'avait pas été sur son chemin.

Lorsqu'on était plus jeune, âgés de dix ans à peu près, Laura avait fondu sur un hibou pendant qu'on faisait une course pour rejoindre la cabane – ce lieu était déjà sacré à l'époque. Elle avait tellement voulu gagner qu'elle s'était propulsée – par un moyen toujours inconnu d'ailleurs – en lâchant tous ses cordages. Morale de l'histoire : ne jamais foncer sur un oiseau de nuit au risque de manger des plumes... et de le tuer aussi, accessoirement.

— C'était mémorable ! renchérie Samuel en secouant ses longs cheveux blonds avec un rire rauque.

On rigole tous un coup avant de remarquer que nous ne sommes plus que quatre. Mon froncement de sourcil est éloquent, Louna ne manque d'ailleurs pas de dire ce que je pense.

— Où est Romain ? s'enquit-elle.

Laura hausse les épaules avant de faire un geste vague de la main.

— Il voulait explorer les environs en attendant votre arrivée.

— Nous connaissons la région par cœur, que veut-il voir de nouveau ?

Elle lève les yeux au ciel d'un noir d'encre. Sa pupille englobe le reste de son iris gris. C'est... perturbant.

— Que veux-tu que je te dise ? C'est Romain, soupire-t-elle.

Je ne trouve pas cela prudent de se balader dans la forêt alors qu'il fait aussi sombre. Ce lieu est pratiquement maudit, nous sommes les seuls à nous y rendre depuis le drame.

Des bruits inquiétants semblent émaner des fougères et autres plantes inconnues. Un rugissement résonne dans a forêt, me clouant sur place.

— Les gars, je ne suis pas du tout rassurée.

— Moi non plus, souffle Louna.

Ma voix tremble. Je m'inquiète vraiment pour cet idiot. Les ténèbres se renforcent, parsemées de points bleus et or. Des lucioles brillent vaillamment dans ce lieu inquiétant, parcourant un chemin semé d'embûche – mortel.

Comme Romain.

Je cris son nom, encore et encore. Mes cordes vocales se brisent à chaque fois que je l'appelle. Des secondes interminables s'égrènent avant qu'une voix ne me réponde.

Un hurlement plutôt.

The Alfe Wars [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant