L'allée broussailleuse m'empêche de voir correctement le sol. Des sortes de limaces vertes fluo se meuvent tranquillement pendant que je tente d'éviter la substance brillante qu'elles sèment dans leur sillage. C'est dur de se concentrer avec ce genre de bestioles. Pour la chasse, il faut être calme et en paix, ce que je ne suis pas vraiment actuellement. Tant pis, il va falloir que je fasse avec.
— Tout va bien ? demande doucement Louna.
— Super et toi ? Elle sourit tristement.
— Je n'aime pas trop chasser..., élude-t-elle.
— Moi non plus, mais on est obligés, c'est pour le village. Et puis on fait ça ensemble, donc je passe un bon moment.
Elle sort sa dague de son étui, le visage lumineux. Je sais qu'elle pense la même chose même si je n'ai jamais vraiment de réponses avec elle. La plupart du temps, elle ne répond que si c'est une question, sinon il faut savoir lire entre les lignes.
La spécialité de Louna, c'est le maniement des armes. Dagues, couteaux, épées : elle maîtrise tout. S'il y a bien une personne qui a une chance de réussir, c'est elle. Elle sera sûrement en espionne, vue sa discrétion.
La marche est rapide pour arriver au gibier. Une petite heure nous suffit pour arriver au lac, le lieu de réapprovisionnement de tous les animaux. Y compris nous, humbles Alfes de la forêt. Nous nous y rendons pour nous désaltérer et remplir les gourdes – aussi pour se laver accessoirement.
— Tu as les gourdes ?
Samuel est en train d'aviser les environs à la recherche de la moindre biche loin devant nous. Il hurle la question en direction de ce que je devine être Romain.
— Oui, elles sont là !
Il sort les sacs étanches en peau de bête.
— Qui se charge de les remplir ? nargue-t-il en les ouvrant brusquement.
— Laura en meurt d'envie, feins-je.
Elle lève les yeux aux ciel et saisit ce qui ressemble à des pelures de singe.
Ce que j'aime par-dessus tout avec Laura, c'est qu'elle a beau être têtue, elle sait choisir ses combats. Et celui-ci n'en vaut clairement pas la peine. Elle plisse les yeux vers moi, le sourire aux lèvres.
— La prochaine fois, c'est pour ta pomme la gueuse.
Je glousse et sors mon arc. Tout en s'éloignant d'un pas traînant, Laura arrive à faire peur aux oiseaux qu'elle croise sur son chemin. Elle adore effrayer tout ce qui respire, je crois.
— Qui est prêt ? Nous sautons tous de joie et un « MOI ! » collectif envahit le lieu.
— Vous voulez faire fuir les gnous ou quoi, s'esclaffe le Samuel.
— C'est ta tête qui leur fait peur ! hurle la folle près de la rivière.
Il sourit d'un air narquois en réponse.
— Allez mauvaise troupe ! C'est notre jour, on doit ramener de la nourriture. s'exclame Romain.
Nous nous mettons à courir. Le sol se floute sous notre passage. Les oiseaux continuent à chanter, répandant une poignée d'indices plus qu'utiles. Nous chassons en général du gros gibier, ça fait plus de viande et c'est moins dur à porter que les volatils, lesquelles nous faisons tomber quinze fois sur le chemin. Enfin plus facile, surtout pour les garçons. Ils ne veulent jamais qu'on les porte... peut-être est-ce dû au fait qu'une fois j'ai traîné dans la poussière une de nos plus grosses proies jamais attrapées ? Sûrement... Depuis ce jour, ils ne me font plus confiance, c'est drôle.
Nous nous dépêchons de grimper dans l'arbre où la vue est la plus dégagée. Les merles dans cette partie de la forêt servent à indiquer la proximité d'une sorte de vache appelée rumph. C'est tellement dur à dire que le terme « gnou » a tout de suite été adopté. Plus les merles chantent fort, moins il y a de gibiers dans le périmètre. C'est lorsque le silence est total et qu'il y a de l'eau dans les parages que nous sommes certains de ramener quelque chose.
Nous tendons l'oreille pour entendre le moindre piaillement de merle. Même Samuel a dénié se taire, lui qui n'est pas avare de moqueries en temps normal. Lorsque nous sommes à l'écoute, seul le vent, le chant des oiseaux et les bramements semblent nous entourer.
— On fait une bataille d'eau après ?
Et ben non, c'était trop beau pour être vrai... Il ne peut pas s'empêcher de dire une bêtise.
Louna désigne un côté du lac.
— C'est très calme, dit-elle, l'air en pleine réflexion.
— On devrait peut-être songer à y aller, alors, ironise Samuel.
— Concentre-toi, blondinet, le nargue Romain.
Louna lève les yeux au ciel, un léger sourire flotte sur son visage pâle.
— Bon j'y vais, je vous attends là-bas. Quand le troupeau se sera déjà dispersé.
Elle saute, bientôt suivie de Romain qui n'attend pas que son camarade soit prêt pour le pousser de la branche. Les hurlements de Samuel résonnent encore quand je me décide à les suivre. Direction l'Ouest !
Les feuilles volettent sur notre chemin. Alors que des tâches sombres commencent à se préciser à l'horizon. Les gnous poussent des grognements qui s'apparentent étrangement à un élan à l'agonie...
J'arrive à côté de Louna. Elle commence déjà à tanner la peau de sa victime. Ses cheveux flamboyants ondulent doucement au vent.
Elle me fait signe d'aller voir le troupeau qui broute dans silence paisible. Je sors lentement une flèche de mon carquois tout en m'approchant à pas de loup. La corde bandée, je ferme un œil. L'idéal serait que je touche un gros mâle. Je tends la corde un peu plus, la bloque puis la relâche une fois que je suis sûre d'en toucher un. La flèche se fiche dans le cou de la bête. Elle brame de douleur en trébuchant dans l'herbe. Elle s'immobilise quelque secondes après avoir heurté le sol. Ses congénères s'éloignent avant de replonger leur tête dans l'herbe fraîche.
Je m'assois sur le sol pour imiter Louna. Je racle la chair pour retirer le pelage mais la fourrure me glisse entre les doigts. Ma mère en fera certainement un tapis. Romain s'approche de moi.
Je relève la tête à temps pour le voir arriver à ma hauteur.
— Ça va ? Tu es prête pour ce soir ?
— Qu'est-ce qu'il y a ce soir, je m'étouffe presque. Il hausse un sourcil moqueur.
— Tu ne manges pas, toi ? C'est le repas collectif.
Je me détends immédiatement. Je souris devant son air amusé. Avec ses cheveux bruns en pagaille, il me fait un peu penser à son frère. Lui qui les a toujours coiffés, tout le contraire de Lucas. Je les ébouriffe un peu plus. Il m'aide pour terminer le travail tandis que Samuel s'occupe de soulever l'énorme morceau de viande sur son épaule. Après avoir fini juste après eux, Romain dépose sans délicatesse notre travail sur le sien. Je me serai effondrée à sa place.
— On rentre ?
— Non, on doit se laver.
Samuel tente d'avoir l'air indifférent avec son visage d'ange. Louna se met alors à courir en direction de l'étendue d'eau qui reflète le ciel qui décline, pour la plus grande bataille d'eau de tous les temps.
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The Alfe Wars [terminée]
FantasiaAprès la mort de Ella Taylor, tuée par les ennemis de son espèce, les Alfes de l'Ombre, un système a été mis en place : le Choix des Élites. Les adolescents âgés de seize à dix-neuf ans sont conscrits à ce service obligatoire. Le but ? Trouver les...