Chapitre 23

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Je me prépare à retourner à l'entraînement. Cette fois, je ne reproduis pas l'erreur de ne manger qu'une pomme. Personne ne m'avait prévenue que le déjeuner sautait. Comme si on ne souffrait pas déjà assez. J'enfile mon legging et mon t-shirt à peine sec. Pourquoi sommes-nous obligés de le porter ? Ils ont peur qu'on trafique notre couleur ? Il n'y a eu que de rares cas dans le passé, qui se sont tous soldés par un exil. Personne n'a recommencé depuis.

— Au revoir, Maman.

Mon père est déjà parti pour construire la maison d'un nouveau couple. Il essaye d'innover mais les matériaux sont restreints. Les propriétaires auront, à notre instar, une réserve isolée du salon, à l'abri de la chaleur pour mettre nos trouvailles personnelles – celles que nous ne sommes pas obligés de partagés au reste de la communauté, ainsi qu'un petit salon de huit pieds de hauteur. Selon le nombre d'enfants, deux ou trois chambres sont comprises dans les plans. Nous étions deux, pour le bien de la forêt, il était préférable de se la partager, afin de ne pas amputer un autre arbre. Elle est petite, mais nous passions l'essentiel de notre temps dehors. Elle sert, entre autres, de dortoir. Ni plus ni moins. J'adore me coucher sur le plumard pour observer les nœuds et les veinures dans les planches de bois. J'imagine des animaux, des gens, des positions. La maison est posée sur des plateformes géantes qui peuvent porter quatre maisons, tout au plus, parfois reliées aux autres par des filets qui serpentent entre les arbres.

Si je continue à regarder le vide en rêvassant, je vais être en retard. Je doute que Théo apprécie.

— Au revoir ma chérie.

Après une courte pause marquée par une hésitation, elle s'enquit :

— Tout se passe bien ? Je te trouve... songeuse.

Un petit gloussement gêné m'échappe.

— Oui, l'entraînement est épuisant, c'est tout.

— Je ne te parle pas de ça, ma puce.

Je n'ai jamais compris pourquoi mes parents adore me comparer à cet immonde insecte qui les horrifie quand ils les trouvent sur le dos des animaux d'élevage. C'est affectif, mais c'est moche. En plus je suis plutôt grande par rapport aux autres, contrairement à Laura, et une puce c'est minuscule.

Ma capacité à dériver d'un sujet à un autre en un temps record est effarante.

— De quoi parles-tu, alors ? bredouillé-je.

Elle grimace puis esquisse un geste pour se rapprocher de moi.

— De Théo, bien-sûr.

Mon souffle se bloque. Je suis sûre qu'elle savait que j'avais le béguin pour lui, enfant. Pense-t-elle que c'est encore le cas ? Je l'ai toujours trouvé – très – intelligent, – si – compréhensif et gentil que ça me paraissait inconcevable que le monde puisse être autre chose que cette illusion de joie enveloppée de bonheur, – tellement – beau, et une multitude d'autres qualificatifs. Outre sa beauté naturelle, quelque chose chez lui fait que parmi tous les hommes que je pourrais croiser, c'est lui que j'observerai. Sa démarche, comme s'il redoutait d'être surpris, un brin nonchalant mais aussi sur le qui-vive. Ses défauts le rendent plus réels. Il est distant, froid la plupart du temps et, comme moi, incapable d'oublier le passer. Est-ce un défaut ? Mais c'est ce qui fait son charme. C'est comme vouloir enlever sa gaîté à Romain, ça ne serait plus... Romain.

— Maman... de quoi veux-tu parler ? risqué-je. Du fait qu'il aille mieux ?

La pâleur de ses joues m'attriste bien trop pour me risquer sur ce sujet de si bon matin. J'ai déjà trop remué le passé aujourd'hui.

The Alfe Wars [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant