Je le fixe, sans bouger. Ma tunique s'emporte plusieurs fois dans le vent mais je refuse de la remettre en place.
— Pourquoi tu me dis ça ?
Ses cheveux ébouriffés luisent dans la fin de journée. Ses yeux contemplent l'horizon. Pour une raison que j'ignore, il refuse de me regarder en face.
Lucas, montre-moi tes yeux. Montre-moi que tu es lucide, je t'en prie.
— Parce que tu mérites de savoir.
— Savoir quoi ?
— La vérité ! s'emporte-t-il.
Sa voix résonne dans l'oasis. Pour la première fois, il manifeste un sentiment autre que l'indifférence.
J'ai envie de me réfugier dans les bras de quelqu'un, de me recroqueviller pour pouvoir enfin fondre en larmes. De partir. Loin, loin, très d'ici. Sa présence, sa façon de rester vague, son regard fuyant... tout est inquiétant. Mon ventre se serre quand ma gorge s'obstrue, mes bras tremblent quand il prend la parole.
— Laquelle ? me forcé-je à demander en reniflant.
C'est la seule chose qui m'assure qu'il ne me fera pas de mal. Je dois le faire parler, l'occuper, le distraire. Je n'ai plus qu'à prier pour que cette méthode ne se retourne pas contre moi. À ce stade, je ne lui fais pas confiance.
Il se redresse, avant de passer la main dans ses mèches platines d'un geste saccadé. Il tourne enfin sa tête vers moi. Ce visage que j'ai contemplé des dizaines de fois durant mon enfance me paraît inconnu aujourd'hui. Ses traits ciselés si semblables à ceux de son frère et pourtant si différents quand ils expriment leurs sentiments, cette voix qui sonne comme un prophète omniscient par sa justesse et sa gravité, ce regard pur hanté sans que je n'en comprenne la raison, me font face.
— Tout ici n'est qu'un vaste mensonge. Ce... « jeu », cette société, cette paix. Ils ne font que mentir, à tous, tout le temps.
Son regard m'hypnotise. On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Je suis plongée dans celle de Lucas. Un lac profond où tout individu qui y pénètre se noie dans la noirceur de ses songes.
— Ta sœur n'est pas la seule victime, elle n'est même qu'un dégât collatéral.
— Non, dis-je d'une voix sourde.
Ses yeux se posent sur moi, puis il déglutit en les fermant forts. Les bras croisés sur sa nuque, il rejette la tête en arrière. Pourquoi me parle-t-il d'elle ?
— Ta sœur était ce qu'on appelle une espionne. Une vraie, pas comme toi, précise-t-il.
Non, c'est faux. Pourquoi ferait-elle une telle chose ?
— Elle espionnait pour leur compte ?
Si je pensais que ma voix était plate tout à l'heure, celle que j'ai désormais est vide à faire peur.
Il acquiesce.
— Pourquoi ? le supplié-je.
C'est tout ce qui importe. La raison. Pourquoi aurait-elle fait une telle chose ?
Avant même qu'il réponde, je siffle :
— Et comment tu sais ça, toi ?!
Il glousse en passant une main sur son visage pâle. On dirait un spectre.
— Parce que c'est elle qui m'a recrutée.
Le sang déserte mon visage, mes yeux s'écarquillent sous mes sourcils déformés par l'incompréhension.
Je gémis. Un sanglot prend le pas sur mon calme, mais je le retiens à temps.
— Qu'est-ce que tu racontes, tu es malades, soufflé-je.
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The Alfe Wars [terminée]
FantasyAprès la mort de Ella Taylor, tuée par les ennemis de son espèce, les Alfes de l'Ombre, un système a été mis en place : le Choix des Élites. Les adolescents âgés de seize à dix-neuf ans sont conscrits à ce service obligatoire. Le but ? Trouver les...