Chapitre 34

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Je me tourne vers Lucas, les mains bien en évidence. Ce n'est pas un crime de rejoindre son pote, si ?

— Je... commencé-je, avant d'abandonner par manque d'argument.

Dire la vérité ? Ou lui raconter un bobard, comme « je m'apprêtai à partir. SALUT ! »

Il se soulage de son sac, posé jusque là en équilibre sur son épaule, puis passe ses doigts dans les épaisseurs blondes qui lui cachent presque la vue. Tout cela sans me quitter des yeux. Incroyable.

— Inutile de chercher des excuses, je ne veux pas savoir ce que tu faisais là. Vu ton air coupable et le temps que tu as passé sur le paillasson, ça ne doit pas être pour une bonne raison. Maintenant soit tu entres, soit tu pars et je n'en parlerais pas à mon frère, mais tu fais un choix.

Je le dévisage, incapable de répondre.

Il n'esquisse pas un geste. Pas même un haussement de sourcil. Il se contente de me fixer.

— Je vais partir, finis-je par dire, le regard fuyant.

Je tente un geste pour quitter la maison mais il me barre le passage. Je me fais dominer par un torse couvert d'un t-shirt sombre, qui, je le sais, cache autant de muscle qu'une personne surentraînée. Un combattant.

Il sait que j'ai compris que je n'ai pas intérêt à le repousser. Il me trouve suspecte, ce que je peux comprendre. Après tout, je n'ai jamais réagi comme ça avec Romain.

— Attends.

Sa voix douce contraste avec celle froide qu'il a toujours arborée depuis que je le connais. J'en suis réduite à me figer de surprise.

— Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais tu as l'air sacrément secouée. Je ne pense pas que tu te sois disputée avec lui, jamais il ne l'aurait permis, ricane-t-il dans un souffle. Pourquoi tu n'entres pas ?

— Ça ne te regarde pas, craché-je, horripilée par la moquerie contenue dans sa voix. Je croyais que tu t'en moquais.

Cette fois-ci, je m'écarte de lui. J'en ai plus qu'assez de ses manipulations. Parfois, je me surprends à me dire qu'il n'est peut-être pas aussi étrange qu'on le pense quand je le vois sourire, qu'il n'est qu'un gamin paumé qui cache une grande sensibilité sous sa carapace. Encore une fois, je me suis trompée. Ce mec est pourri jusqu'à la moelle.

Il attrape mon bras pour m'arrêter. Son geste, bien que dépourvu de violence, m'agace au plus haut point. Je déteste qu'on me touche quand je suis en colère.

— Arrête ! Lâche-moi tout de suite !

Loin d'être ébranlé par mon cri, il dessert néanmoins sa prise.

— Je voulais juste te parler.

Il dit cela comme s'il m'informait du temps qu'il fera cet après-midi.

— Et moi je voulais juste retrouver mon meilleur ami ! Mais la vie est injuste, parce que je sais ce qui va se passer. Donc s'il-te-plaît, laisse-moi passer, le demandé-je encore, le regard rivé au sol.

Je sens ses yeux chercher les miens, chose que je n'ai pas envie de voir. Je ne sais pas si je supporterai de voir son regard glacé rivé au mien, brillant d'une lueur moqueuse.

Personne ne bouge ou ne prend la parole pendant une éternité. Pourquoi a-t-il fallut que je dise cette absurdité ?

— Je sais ce qui s'est passé hier.

Comment ? Par le biais de son frère ? J'avais espéré qu'il n'en parlerait à personne. J'ai eu tord de le croire. Lui comme moi avons besoin de nous confier, il avait le droit de le faire. Pourtant, par égoïsme, j'aurai aimé que sa famille ne se fasse pas d'idées, ou qu'elle soit déçu de nous, les Taylor.

— Oh super. Alors tu sais à quel point ma sœur était soi-disant abominable ? Que j'ai voulu tuer Romain en le poussant dans les flammes devant tout le monde à à peine dix ans ? Que j'ai saccagé le cimetière pour détruire chaque Réincarnée que j'ai eu le malheur de croiser sur mon chemin – y compris Ella ? Que je vais tous vous tuer dans votre sommeil ? Que j'ai fait un pacte « secret » avec l'ennemie qui consiste à décimer mon propre peuple ? Oups, plus si secret que ça, cinglé-je.

J'ai l'air d'une folle en lui criant dessus, nos visages presque collé l'un à l'autre. Je risque même d'avertir sa famille.

— Tu devrais t'asseoir, propose-t-il en désignant le banc qui trône à côté de l'entrée.

Comme c'est généreux.

— Tu peux toujours courir.

Je le plante pour quitter cette maison maudite. Pour de bon, cette fois. Plus jamais je n'y remettrai les pieds. Si je dois voir Romain à l'avenir, nous nous donnerons rendez-vous à l'extérieur. Loin de Lucas.

Je fixe le vide, où des dizaines de troncs pointent vers le sol terreux envahi de verdure. Une grosse migraine sortie de nul-part élit domicile dans mon crâne, suivi d'un vertige qui floute ma vision à me faire monter les larmes aux yeux.

Je sens, plus que je vois, une masse blonde s'approcher. Lucas me soutient par les épaules, pour éviter que je chute, probablement. Est-il conscient de mon mal-être ? Ce genre d'« attaques » soudaines sont devenues si rares que je pensais qu'elles avaient définitivement disparu depuis des années. Encore une illusion.

— Je sais sur quoi porte la réunion de demain, déclare-t-il à mi-voix.

Pour ne pas empirer ma migraine, si j'en crois sa posture. C'est... gentil.

— Ah oui ? je réponds, sarcastique.

— Oui.

Il veut que je lui demande pour quelle raison, mais je n'ai pas envie de m'abaisser à le faire. Seule la curiosité, cette garce, me supplie d'assouvir son désir.

— Sur la reprise de l'attribution, faute de preuve, finit-il par déclarer.

— Comment le sais-tu ?

— C'est simple. Je suis allé demander à monsieur Sunders.

Je souffle de soulagement. Il n'a peur de rien. Voir un professeur, dans sa maison ? Je ne le tenterai qu'en cas de crise majeure, et encore. . .

— C'est tout, tu vois, continue-t-il de sa voix basse et impassible.

— Merci de me l'avoir dit.

Il aurait pu dire « arrête de penser que tu es le centre du monde, et que tout a un rapport avec toi », mais il ne l'a pas fait... C'est positif, non ?

— Maintenant pars, avant que mon frère ne te remarque. J'ai l'impression que tu n'as pas vraiment envie de le voir.

Il tente un sourire forcé.

Où est passé le vrai Lucas ? Celui que se soucie si peu des autres qu'il les étrangle sans s'en rendre compte.

En voyant mon expression abasourdie, il se rembrunit. Il remet sa carapace de froideur et d'indifférence, et me lâche le regard le plus glacial qu'il m'ait jamais jeté. Je sais que je ne reverrai jamais le Lucas que je viens d'apercevoir. C'était un cadeau qu'il venait de me concéder. Je murmurerais presque "adieu", si je pouvais.

— Pars. Viens ce soir au rassemblement. N'oublie pas, rien qui te concerne personnellement, tranche-t-il. Salut.

Il tourne les talons après un hochement de tête et disparaît chez lui.

The Alfe Wars [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant