Chapitre 9

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Amélia. Rotguerg. Est. Morte.

Notre superviseure est morte.

Les rouges sont seuls.

Mes compagnons paraissent aussi perdus que moi. Mon regard hagard se promène sur des centaines de visages bouche bée, démunis. Comment a-t-elle pu mourir ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Mes lèvres bougent mais pas un son n'en sort. Je cligne des yeux pour tenter en vain d'éclaircir la situation, balayant les précédents propos du maire à coup de battement de cils. Mais ça ne marche pas comme ça.

— Elle est effectivement décédée cette nuit, confirme Olivier.

L'air semble s'être volatilisé. Une multitude de yeux écarquillés fixe le maire exténué sur l'estrade. Même le vent semble s'être tu.

— Mais... Mais... Comment va-t-on faire ? bafouille un garçon.

Olivier fusille le jeune homme impétueux ayant osé parler sans son accord. Il passe sa main sur son cou en soupirant, mal à l'aise.

— De nombreuses questions doivent se bousculer dans votre esprit, je sais que c'est la première fois que cela arrive, mais il faut se dire que cela allait arriver tôt ou tard. Dix ans qu'elle forme les Rouges. Avec son âge avancé, ce n'était qu'une question de temps avant que ça ne se produise. Je vais vous expliquer les raisons de sa mort, nous n'y étions pas préparés, c'est tout. Sa disparition me chagrine beaucoup aussi.

Il fait signe à quelqu'un face à lui d'une rotation de l'index. Je n'arrive pas à savoir de qui il s'agit, nous lui tournons le dos. Je ne sais pas ce que ça signifie mais en bon mouton que je suis, je me tourne en même temps que tout le reste de l'assemblée.

— Jeunes gens ! Je n'ai pas fini ! Comme je le disais, Amélia Rotguerg a rendu son dernier souffle cette nuit. Son cœur s'est arrêté. Nous l'avons retrouvée froide ce matin même.

— Elle a toujours été froide, ricane quelqu'un près de moi.

Éloïse, une brune à la peau mate, lève la main. Olivier l'interroge aussitôt.

— Comment allons-nous faire ?

– Patience ! N'êtes-vous pas atteints par la nouvelle ? Ça ne vous touche pas que votre mentor ait perdu la vie ?

— Si, mais...

— Tout sera dit en temps et en heure. J'essaye de vous expliquer la situation, alors levez la main pour me demander des choses qui se prêtent aux circonstances je vous prie.

Connaître notre sort me semble important, mais je comprends : Olivier veut rendre un dernier hommage à son amie. Nous ne pouvons pas lui enlever ça.

— Des funérailles seront organisées demain. Nous sommes une communauté, par conséquent, c'est fréquent de perdre des proches, cependant, je pense que cela serait bien de venir. Vous n'êtes contraints de rien, évidemment. C'est juste... important, il me semble. « J'ai une dernière chose à vous demander, ajoute-t-il après un silence. Je tiens à vous demander de faire attention à vous. Trois personnes ont perdu la vie au cours de la dernière conscription. Un hommage leur sera rendu en même temps demain. Je vous demande de les applaudir tous bien fort.

Une clameur assourdissante éclate. Les paumes s'abattent les unes contre les autres avec force pour saluer le courage de nos défunts compagnons.

— Merci les enfants.

En effet, il n'est pas rare de voir un mort chaque jour. Seule la famille et les amis y sont conviés généralement. A titre exceptionnel, en raison de son statut, tous ceux qui voudront se rendre demain le pourront. Cela a été la même chose avec ma sœur. L'intimité a été décrétée exclue, pour le bien de tout le monde, afin qu'ils soient tous au courant de ce qui se tramait dehors. Pour que tout le monde sache que nous sommes en danger. La frustration d'être bousculée par la foule alors que j'étais encore une petite fille me hante chaque nuit. Ce jour-là, j'ai su que je ne la reverrai plus jamais. Je me doute que pour sa famille, ce sentiment sera présent. Je ne veux pas leur infliger ça. Ils voudront certainement se recueillir. Mais... ça me semble tout de même juste de lui rendre visite une dernière fois.

Je ne sais pas ce que je dois faire.

Cela fait trois jours que je vis avec la peur de la rencontrer. Je ne sais pas comment ça va se passer. Va-t-il nous annoncer que notre équipe est disqualifiée ? J'aimerai beaucoup. Sa mort nous aura au moins donné un an de sursis. J'espère. Je suis sincèrement triste, elle est morte tout de même... mais ce jeu est horrible. Je me soustrairai pour n'importe quel prétexte valable. Je ne me réjouis pas, loin de là, mais un soulagement indescriptible allège mes épaules d'un poids incommensurable.

— Vous êtes libres de vous y rendre donc... Passons désormais au sujet qui vous torture depuis tout à l'heure. Allez-vous continuer l'aventure ? Pour répondre à vos questions, lâche-t-il d'un regard lourd de sous-entendu en direction des deux adolescents pressés. Oui, vous êtes obligés.

Voûtée par la déception, je fixe le sol sans pouvoir m'en empêcher. Il n'allait pas nous disqualifier tout de même, ça aurait été trop beau pour être vrai. Après un court instant, je relève la tête. Je croise le regard de Romain, animé une nouvelle fois d'une détermination implacable. Elle me donne le courage de continuer à m'intéresser à la suite. C'est au tour de Louna de me montrer quelque chose sur la droite mais je ne vois rien. Elle semble ahurie, aussi figée qu'une statue. Qu'a-t-elle vu ?

— Comment est-ce possible ? murmure ma voisine.

Anna, je crois.

— Je ne sais pas, chuchoté-je à mon tour.

— Bien sûr, vous ne serez pas seuls, continue Olivier.

Des dizaines de balbutiements semblables à « quoi ? », « comment ? » ou encore « qui ? » , envahissent la place.

— Qui est-ce qui remplacera madame Rotguerg ? Cette question a été longuement étudiée ce matin. Nous avons choisi la personne la plus amène de vous aider dans cette épreuve, la plus qualifiée parmi tous les membres de notre peuple. Quelqu'un qui connaît la menace qui nous nargue depuis des années mieux que personne. Cet homme c'est Théo Sunders.

Mon cœur cesse de battre.

Théo.

Le meilleur ami de ma sœur.

The Alfe Wars [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant