Aymeric soupira et consulta de nouveaux les cartes et les livres de géographie qui l'entouraient. Il colonisait deux tables entières de la bibliothèque depuis des jours, entouré par les divers ouvrages. Personne n'osait se plaindre même si on lui jetait des regards de reproches en coin. Tout le monde savait qu'il cherchait à retrouver Lysange et qu'il n'était pas d'humeur à ce qu'on le dérange.
Depuis la reprise des recherches, il alternait entre périodes d'abattement et regain d'énergie. Lysange n'était plus à ses côtés depuis un an, huit mois et une semaine. Il comptait précisément sans vraiment savoir pourquoi puisque tenir un compte le frustrait plus qu'autre chose. Ses amis lui prêtaient main forte dès que leur emploi du temps le leur permettait mais son plus grand soutien venait de Gordon. Son ancien mentor l'accompagnait volontiers lors de ses explorations d'un point à un autre du continent, sans se plaindre.
Aymeric avait fouillé la bibliothèque de fond en comble pour dénicher de vieux écrits poussiéreux sur la zytalite. Le tout premier parchemin qui évoquait la pierre translucide marbrée d'orange datait du temps où il en existait un filon le long des côtes d'Alembras. Épuisée à force d'exploitation, la pierre avait fini par disparaître des mémoires jusqu'à perdre son nom. Il fut un temps où on la prisait plus que l'or ou le diamant, elle était synonyme de pouvoir car elle permettait même d'échapper au courroux des dieux.
Résultat, tous les anciens lieux qui en contenaient par le passé avaient subi le même minage intensif d'après ce qu'Aymeric avait constaté durant ses voyages. En tant que fils d'Agradios, Sandor pestait toujours face à la disparition de la zytalite à cause de l'Homme.
- Ce n'est pas normal ! disait-il. Cette pierre n'est qu'un vulgaire caillou brillant, pourquoi l'avoir désiré au point de l'arracher des profondeurs de la terre pour toujours ? Surtout si c'était pour l'oublier ensuite et la remplacer par d'autres gemmes tout aussi inutiles !
Aymeric se rangeait petit à petit à son avis mais plutôt que de discuter écologie, il cherchait sa compagne. Plus le temps lui filait entre les doigts, plus il songeait qu'il faisait fausse route depuis le départ. Et si sa compagne n'était pas retenue à proximité d'un filon de zytalite ? Et si on la séquestrait en réalité dans une pièce construite avec de la zytalite ? Cela compliquerait sérieusement les choses et étendrait la zone de recherche à tout le continent...
Aymeric se massa les tempes, agacé. En dehors de la zytalite, il n'avait aucun indice ! Si seulement il pouvait savoir qui était ce dragon rouge ou ses intentions...Ainsi il pourrait remonter sa piste, découvrir un lien concret...Mais rien. Il n'avait rien...Il se désintéressa de ses ouvrages jaunis quand Alya et Hydronoé pénétrèrent dans la bibliothèque.
La sœur d'Alaman avait fait de ce lieu son sanctuaire. Elle venait aux aurores et partait tard le soir, quand elle ne s'endormait pas sur la table. Elle lisait tout ce qui lui tombait sous la main et prenait des notes en même temps. Quand elle n'étudiait pas, elle passait beaucoup de temps avec Hydronoé. De plus en plus de temps en fait. Au début Aymeric n'y avait pas prêté attention. Son frère se volatilisait une heure par ici, une heure par-là...Puis il revenait avec un grand sourire ou un air rêveur. Lorsque Aymeric s'en était aperçu, il avait remonté leur lien pour voir où allait son jumeau pour être aussi heureux.
Il avait débusqué ce dernier assis au bord de la rivière, en compagnie d'Alya. Les pieds dans l'eau, elle lui racontait sa vie chez les Valseryes. Son frère la contemplait sans masquer son intérêt. Il buvait littéralement ses mots, un sourire aux lèvres. Aymeric avait réintégré sa conscience rapidement, à la fois heureux pour Hydronoé et un peu jaloux. Depuis, chaque fois qu'il apercevait Hydronoé et Alya, il se demandait si leur relation avançait. Ça ne le concernait pas vraiment mais il souhaitait voir son jumeau heureux.
Il se força à replonger le nez dans son ouvrage mais Alya s'approcha de sa table. Il la salua d'un geste de la main et la détailla une énième fois. Elle était un peu plus jeune qu'Hydronoé et son visage aux joues rondes n'arrangeait pas cette impression. Elle avait cependant une forte personnalité et un avis sur tout qui lui conférait une maturité bien supérieure à la plupart des jeunes femmes de son âge. D'ailleurs, malgré sa vie parmi les Valseryes, elle s'était intégrée incroyablement vite à la vie au château des gardes. Elle n'hésitait pas à proposer son aide et tout le monde l'appréciait pour sa spontanéité et sa bonne humeur.
- Excuse-moi de te déranger Aymeric mais j'ai une information qui pourrait t'intéresser à propos de Lysange.
Il n'en fallait pas plus pour que le chevalier dragon lui accorde toute son attention. Il braqua ses yeux glacés sur elle et l'invita à poursuivre d'un signe de la main.
- Pour résumer, Hydronoé m'a expliqué que les recherches n'avançaient pas d'un iota et que tu étais désespéré. Alors j'ai posé quelques questions à un bon ami. Il ignore malheureusement où est retenue Lysange mais il m'a glissé une information très intéressante : le dragon rouge est à la tête de la ligue des assassins.
Aymeric demeura interdit.
- Qui est ton bon ami ? demanda-t-il avec suspicion.
- Quelqu'un d'assez puissant pour avoir accès à beaucoup d'informations, pour ne pas dire à toutes les connaissances du monde. Je suis vraiment désolée de ne pas avoir demandé avant...Mais comme une idiote je travaillais sur la prophétie et sur mille autres sujets à la fois. Je n'ai pas vraiment prêté attention à ce qui m'entourait alors que j'aurais pu t'être utile bien plus tôt et du coup je...
- C'est bon Alya. Ça va, calme-toi.
Aymeric n'en revenait pas de ne pas monter sur ses grands chevaux. Cependant il se voyait mal rabrouer la jeune femme quand celle-ci se tordait déjà les mains en baissant la tête à la manière d'une enfant prise en faute. Le chevalier dragon réfléchissait à toute vitesse. Le dragon rouge, à la tête de la ligue des assassins ? Pourquoi pas ? Dans ce cas le kidnapping de Lysange s'avérait peut-être une vengeance personnelle.
Aymeric avait tué un certain nombre d'assassins, en plus de ne pas avoir eu la gentillesse de périr après de multiples tentatives d'assassinats, leur chef n'avait sans doute pas apprécié sa ténacité insolente. Comme il ne pouvait pas le détruire physiquement, il s'était attaqué à ce qu'Aymeric avait de plus précieux pour le briser psychologiquement. Cette explication tenait la route ! Il possédait une piste, mais comment l'exploiter ?
- Est-ce que ton ami t'a donné le nom du dragon rouge ? demanda-t-il à Alya.
La jeune savante secoua la tête.
- Il a été très avare de renseignements, ça lui arrive souvent. Il nous montre l'entrée mais ensuite c'est à nous de trouver notre chemin dans le labyrinthe, ainsi que la porte de sortie.
- Tu ne peux vraiment pas nous dire qui est ce fameux ami ? insista Aymeric, de plus en plus intrigué.
- Désolée. J'ai promis de ne jamais divulguer son identité. Mais je pense que tu peux la deviner. Il n'a jamais interdit d'émettre des hypothèses !
Elle lui adressa un clin d'œil et s'éloigna vers la section des livres juridiques, satisfaite d'avoir délivré cette information. Aymeric se creusa le cerveau. Il ignorait le nom du dragon rouge ainsi que ses habitudes mais quelqu'un le savait forcément...Un visage s'imposa à lui. Il bondit de sa chaise et se précipita vers la sortie. Il agrippa Hydronoé au passage et lui lança :
- Va faire ton sac, nous partons pour Ondre dès ce soir !
- Pour Ondre ? Mais pourquoi ? Hé, Aymeric ! Attend !
Le demi-dieu ne l'entendait déjà plus, en ébullition. Il se précipita dans sa chambre et fourra hâtivement quelques vêtements dans son sac. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait sellé un cheval avant de galoper sans répit jusqu'à la capitale. Cependant un voyage sur le dos d'Hydronoé serait bien plus court, même s'il fallait différer le départ.
Son maigre bagage déposé sur son lit, il toqua à la porte de la chambre d'Ourania. La dragonne ne répondit pas, comme à son habitude. Comme Aymeric l'avait présagé, elle avait fait une tentative de suicide six mois plus tôt. C'est Zacharie qui l'avait empêché de se trancher la gorge avec un poignard.
Depuis, son âme paraissait avoir quitté son corps. Elle ne bougeait pas, ne prononçait plus un mot, mangeait et buvait le strict minimum pour se maintenir en vie et ses compagnons devaient parfois la forcer. Aymeric pénétra dans la chambre plongée dans la pénombre et qui sentait le renfermé. La forme squelettique d'Ourania se devinait sous les draps.
- Ouri, j'ai de bonnes nouvelles.
Elle ne répondit pas. Il s'installa à son chevet et prit les mains de la dragonne d'air dans les siennes. Elles étaient glacées et flasques, comme celle d'un mort.
- Je sais comment retrouver Lysange.
Ourania remua enfin. Elle ne s'animait que lorsqu'on parlait de sa jumelle. Aymeric poursuivit :
- Je connais quelqu'un à Ondre qui peut nous fournir des renseignements cruciaux. Je pars ce soir pour la capitale. Est-ce que tu veux m'accompagner ?
- Oui, répondit-elle faiblement après un léger silence.
- Parfait. Je n'ai qu'une condition : mange. Et laisse-moi aérer ta chambre : tu as besoin d'air frais et de lumière.
Il prit son silence pour un oui et ouvrit les rideaux en grands. La maigreur d'Ourania lui serra le cœur. Elle n'avait que la peau sur les os ! Comment avait-il pu être aussi négligent et la laisser seule dans cette chambre sombre, sans soutien ? Elle tendit la main vers son repas, posé sur sa table de chevet. Aymeric l'attrapa pour elle et l'aida à manger. Elle dévora son assiette avec un appétit qui rassura Aymeric. Il espéra que sa petite visite à Ondre donnerait des résultats sinon Ourania sombrerait à nouveau dans une profonde dépression.
- Je vais dormir pour être en forme ce soir, déclara-t-elle après son dîner.
- Tu n'auras pas à te transformer. Hydronoé te prendra sur son dos, avec moi.
- Je vais dormir quand même. Manger me donne toujours sommeil.
Il ne la contredit pas, tira un peu les rideaux sans fermer les fenêtres et quitta la chambre sur la pointe des pieds. Quand il referma la porte derrière lui, elle respirait déjà profondément. Ses amis l'attendaient dans le couloir, à la fois soucieux et curieux.
- Alors comme ça tu prévois de voyager à Ondre ? le questionna Alaman d'un ton badin. On peut savoir pourquoi ou tu vas partir sans nous en toucher un mot comme les dix dernières fois ?
- Je me suis déjà excusé mille fois Alaman, rouspéta Aymeric en regagnant sa chambre avec ses amis sur les talons. Et cette fois ma visite à Ondre ne durera pas des semaines mais une journée ou deux, tout au plus. Après je reviendrais ici et je vous ferais part de mes avancées.
- Pour une fois, soupira Gébald. Tu veux qu'on t'accompagne ?
- Ce n'est pas nécessaire. Il faut que j'interroge quelqu'un et il est préférable que nous soyons le moins possible sinon il risque de ne rien dire. Je pars seulement avec Hydronoé et Ourania.
- Ourania va avec toi ? C'est un excellent progrès, déclara Zacharie. Je craignais qu'elle ne se lève plus jamais...Je vais te donner quelques fortifiants pour elle, afin qu'elle reprenne des forces. Elle peut en prendre à chaque repas, en buvant directement la fiole ou en distillant son contenu dans sa nourriture ou sa boisson. D'accord ?
Écouter son ami se comporter en mère poule rappela à Aymeric qu'il était celui qui avait le plus veillé sur Ourania et sa santé déclinante. Sans les soins attentifs de Zacharie, la dragonne serait sans doute aux portes de la mort. Le demi-dieu s'apprêtait à remercier son frère d'arme quand une violente douleur au niveau des omoplates lui arracha un juron. Il tituba et se rattrapa de peu à son bureau.
- Aymeric ? Qu'est-ce qui ne va pas ? s'inquiéta Firenza.
- Regardez son dos ! Quelque chose bouge sous ses vêtements ! s'écria Brazidas avec une pointe de panique.
Aymeric se courba vers l'avant en étouffant un cri de douleur. Il avait la sensation que des serpents géants se mouvaient sous sa chair en la dévorant sur leur passage. Il esquissa un geste pour retirer sa tunique mais un simple mouvement d'épaule fit courir des ondes de souffrances dans tout son corps.
Hydronoé intervint : il fit apparaître ses griffes et lacéra le dos de la tunique d'un coup. Les chevaliers dragons poussèrent des cris de surprise horrifiés en découvrant l'état du dos d'Aymeric.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda celui-ci d'une voix sifflante. Qu'est-ce que j'ai ?
- Tu as...comme deux grosses poches de chair de chaque côté de la colonne vertébrale, résuma Alaman. C'est atroce, on dirait que tu es enceinte du dos ! En plus tu as la peau qui est en train de se violacer, c'est vraiment répugnant...
- Merci Al', c'est très rassurant ! grogna Aymeric en tombant à genoux à cause de la souffrance.
Couvert de sueur, il faisait tout son possible pour ne pas hurler et planta ses ongles pointus dans le bois du bureau.
- Je crois que ses ailes sont en train de pousser, devina Hydronoé.
- Et c'est normal qu'il endure un véritable calvaire ? s'enquit Lisbeth.
- Je ne sais pas, il n'est pas totalement dragon. Dans notre cas, nous naissons avec des ailes. Dans son cas, il semblerait qu'elles se développent avec quelques difficultés...
- Les cornes, puis les ailes, énuméra le rouquin. Tu penses qu'il aura une queue écailleuse comme vous d'ici quelque mois ?
- C'est bon, je ne vous gêne pas trop ? grommela Aymeric en faisant son possible pour ne pas crier. Quelqu'un pourrait m'aider ?
Zacharie, bouchée bée face à ce phénomène, reprit ses esprits. Il tira un de ses poignards de sa gaine et allongea le demi-dieu sur le ventre. La suite se déroula en quelques battements de cœur. Deux lignes de feu tracèrent un sillon brûlant de chaque côté de la colonne vertébrale d'Aymeric. Il laissa échapper une larme de douleur tout en se mordant la lèvre inférieure jusqu'au sang.
Puis il y eut un son mou et peu ragoûtant : ses ailes jaillirent, maculées de filets rouges et d'un mucus translucide. Elles tirèrent sur des muscles qu'il ignorait posséder avant de retomber sur le sol, molles et inertes. Face contre terre, il admira l'ossature rouge sang qui soutenait la fine membrane couleur charbon.
- Ouah, souffla Alaman. C'était tellement spécial que je m'en rappellerais jusqu'à ma mort !
- Au lieu de dire des stupidités, tu ne voudrais pas aller me chercher de l'eau chaude et un chiffon pour que je nettoie mes ailes ? lui demanda Aymeric en essayant de se redresser.
Le rouquin fila après une petite révérence moqueuse. Le demi-dieu se retourna un peu trop vivement et manqua de renverser son encrier avec ses ailes. Ce nouveau poids dans son dos le fit chanceler. Hydronoé lui proposa son bras comme appui en cachant mal son hilarité, tout comme les autres dragons.
Après un brin de toilette et une tunique adaptée à ses ailes, prêtée par son jumeau, Aymeric se concentra pour essayer de faire disparaître ses deux nouveaux appendices encombrants. Hydronoé lui donna mille et un conseils mais rien ne fonctionna. Il pouvait juste les replier dans son dos pour qu'elles prennent moins de place. Génial.
- Je pourrais t'apprendre à voler au moins, lui proposa gentiment son jumeau.
- Ça pourrait s'avérer utile. Nous verrons ça après notre visite à Ondre.
- En parlant de ça, je ne sais toujours pas qui nous allons voir là-bas.
- Zolan, répondit Aymeric d'un ton tranchant.
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Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...