Chapitre Trente-Huit

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C'était une maison spacieuse, digne d'une famille pleine de richesse et de ressources. Les différentes pièces de la maison étaient claires et vastes, richement décorés. Des tableaux onéreux et toutes sortes de trésors en argents et en or massif ornaient les meubles et les murs. Un grand escalier en marbre blanc se dessinait au fond du hall d'entrée, menant aux chambres de la maisonnée. Le salon se situait à côté de l'entrée, tout aussi décoré et spacieux que le reste de l'habitation. C'est ici que se trouvait Anne Marie, le soir de ses dix ans, en 1976. Comme à son habitude durant les longues nuits d'hiver, elle restait près de la grande cheminée à observer le feu qui crépitait dans l'antre. Quelques fois elle chantonnait, quand le vent soufflait trop fort et lui faisait peur. Quand l'orage commençait à tonner, elle s'enroulait dans sa couverture, et se bouchait les oreilles en attendant que la fureur de la nuit ne s'apaise. Parfois, son père ou sa mère descendait pour aller la rassurer, et ils restaient tout les trois, assis sur le canapé, à moitié assoupis.

Mais ce soir là, ses parents étaient bien réveillés. Installés dans la salle à manger, ils discutaient autour d'une tasse de thé. La journée avait été longue et difficile : l'entreprise familiale commençait à faire faillite, son père et son oncle n'avaient pas d'autres choix que de trouver une solution avant d'être complètement ruinés. Les deux frères avaient des parents français, et leurs origines ne jouaient malheureusement pas en leur faveur durant cette crise. Ce soir là, personne dans la maisonnée n'était arrivé à trouver le sommeil, et ils avaient fini par s'installer en bas. Du haut de ses dix ans, Anne Marie comprenait bien la situation ; elle était triste car elle savait qu'ils allaient devoir tôt ou tard quitter leur grande maison. Qu'allaient-ils devenir ?

Ce soir là, ils ne s'attendaient alors à aucune visite. Rongés par leur inquiétude commune, ils ont donc été surpris d'entendre des éclats de voix tout près de la porte d'entrée. Quand la sonnette avait retentit, la surprise avait parcourut l'ensemble des habitants de la maisonnée. Son père était allé ouvrir, tandis que sa mère s'était rapproché d'Anne Marie. La fillette avait remarqué la lueur d'inquiétude dans les yeux de sa mère. Mais que redoutait-elle ? Anne Marie lui avait alors pris la main, pour la rassurer. Sa mère avait baissé les yeux vers son enfant, et lui avait sourit.

- Ne t'en fais pas, lui avait-elle dit comme pour se rassurer elle même de l'étrange visite, ce ne sont peut-être que des voyageurs égarés.

Anne Marie l'avait cru, ce soir là. Sa mère avait toujours raison. Elle reporta alors son attention sur les flammes, serrant un peu plus sa couverture autour d'elle. Sans vraiment s'en rendre compte, la fillette lâcha un peu la main de sa mère et cette dernière décida de rejoindre son mari. Son inquiétude ne l'avait toujours pas quitté. Elle avait lâché sa petite montre à gousset, tombé près de la fillette, tant sa peur était grande. La fillette l'avait prise dans sa main, rassuré par son contact froid et apaisant. Anne Marie se souviendrait à jamais de ce moment ; juste avant que le cri de terreur de ses parents ne remplisse la maison, elle avait levé les yeux vers la petite montre qu'elle tenait au creux de sa main : il était trois heures du matin. Puis elle avait entendu sa mère lui hurler de s'enfuir. Anne Marie s'était redressé, en alerte. Quand elle se fut retourné pour faire face au hall d'entrée, elle tomba en arrêt. Devant elle, sa mère avait la bouche grande ouverte et les yeux fous, mais elle était déjà presque morte. Un homme la lacérait de toute part et buvait son sang avec avidité ; du sang coulait sur le carrelage immaculé, et les vêtements de l'homme étaient tâchés du liquide rouge. C'est quand la fillette laissa tomber sa couverture sur le sol que l'homme releva la tête. Ses yeux la fixaient avec une telle intensité qu'Anne Marie ne put faire un mouvement. Alors, l'homme retourna à son occupation première sous les yeux de la fillette de dix ans. Il y avait un deuxième intrus dans la maison, Anne Marie en était persuadé. Elle entendait encore les gémissements de douleur de son père, sans pour autant le voir. Elle ne voyait que sa mère, le regard vide. Quand l'homme eut finit, il partit avec son complice sans jeter un regard à la fillette. Elle resta un long moment sans bouger, observant le corps sans vie de sa mère, vidé de son sang, sur le sol. Ce ne fut qu'au petit matin, quand les voisins les retrouvèrent, qu'elle fut emmener à son oncle et sa tante qui habitaient quelques rues plus bas.

Elle ne put jamais parler de ce qu'elle avait vu. Elle ne dormait plus, obsédée par ses hommes qui avait enlever la vie à ses parents. Obsédée par leur regard affamés, assoiffés, avides d'un appétit qu'elle ne pouvait comprendre. Obsédée par leur comportement animal, et bestiaux, dénués de pitié envers ceux qu'ils avaient tué. Pendant longtemps, elle ne put regarder les autres en face, persuadés que tous les adultes étaient capable de cette folie meurtrière. Puis, quand elle même devint une adulte, elle comprit qu'elle ne pourrait jamais aimé. Plongés dans son travail et ses recherches, elle noya tout ses sentiments, les refoula jusqu'au plus profond de son cœur. L'amour, la souffrance, la joie, le bonheur, le chagrin, étaient maintenant des schémas complexes, consignés dans des dizaines de cahiers de scientifique.

♦♦♦

La Sainte Mère jeta un œil à sa montre à gousset. Ils n'avaient pas de temps à perdre ; heureusement, ils étaient bientôt arrivés à destination. Longeant un énième et dernier couloir, ils finirent par se retrouver devant une porte en métal. Pièce connue d'elle seule jusqu'à présent, la Sainte Mère avait fait en sorte que cette petite salle ne soit écrite sur aucun plan du site. Les policiers allaient avoir dû mal à les retrouver ; et même s'ils finissaient par trouver cette salle, ils allaient avoir du fil à retordre avant de pouvoir l'ouvrir. Avec un sourire victorieux, la femme se posta face à un petit écran, installé à côté de la porte. Elle y apposa sa main droite, et attendit que l'appareil détecte son empreinte, puis tapa un code complexe. La porte s'ouvrit dans un grincement.

- Faites les entrer, ordonna-t-elle aux soldats.

Elle referma la porte derrière elle, s'assurant au passage que personne ne les épiait. Satisfaite, elle verrouilla la porte de l'intérieur avec son autre empreinte de main, avant de se retourner vers ses patients le sourire aux lèvres.

Cullen - Origins [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant