Remise en question

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Le printemps pointe enfin le bout de son nez et avec ça, les températures commencent enfin à remonter progressivement. Voilà maintenant une semaine que je suis de nouveau parmi les autres détenues et bien que je n’aie pas changer de comportement pour autant, je me suis nettement plus renfermée sur moi-même.

Si avant tout, je parlais un peu à tout le monde, désormais, les seules personnes avec qui j’interagie sont à l’extérieur, je parle évidemment de Jacob et de Casey.
Pour ce qui est de Lola, rien à changer, si ce n’est que le jour de sa sortie approche dangereusement et cela me mine le moral, chose qu’on ne peut pas contrôler.

Je suis actuellement dans ma chambre, bien que Lola soit sortie dehors, je n’ai pas tenue à l’accompagner, préférant garder ma morosité pour moi. Je suis installée, le dos contre le mur et les jambes allongées sur mon lit. Sur mes jambes, le plateau de bois et des feuilles dessus, en train de faire comme souvent : écrire une lettre aux garçons.

Salut les gars,

Honnêtement je ne sais pas quoi dire exactement, voilà une semaine que je suis sortie d’isolement et j’ai l’impression d’y être encore, j’ai bien-sûr la présence de toutes les autres filles du bâtiment mais ce n’est pas pareil, ça ne sera jamais pareil maintenant.

Le jour de mon isolement, je me suis battue contre trois filles, qui ne sont pas encore revenues de ce que j’ai pu constater. La raison est une lettre des affaires familiales qui stipule que je suis désormais orpheline de père et mère, étant donné que ce qui est devenue ma génitrice, à demander à son avocat de faire une demande d’abandon d’enfant.

Inutile de vous dire que le fait que je sois en taule y est pour beaucoup, pour ainsi dire, je n’ai reçu aucune convocation, juste un papier qui dit que ça été accepter.

J’ai pété les plombs, littéralement, et profitant d’une bagarre dont je ne suis pas l’origine, j’ai foncé dans le tas. Je ne regrette vraiment pas cet acte, ayant trouvé un moyen pour me libérer de toute la colère et la rancœur qui m’anime à ce moment-là, je ne m’attendais pas, par contre, à avoir une crise de larme une fois seule.

Moi qui voulais m’envoler vers des lointains paysages, je pense plutôt rester dans ma cage de fer. Je n’en peux plus. Je ne sors plus dans la cour, préférant rester enfermée et ainsi, éviter de croiser qui que ce soit, je sens, intérieurement, que tout cela ne durera qu’un laps de temps relativement court.

J’aimerais vous dire que je vais bien, mais je pense que vous aurez compris que ce ne serait que des mensonges, je ne suis pas au point de vouloir me pendre à l’aide de mes draps ou me mutiler avec la première chose coupante que je peux avoir sous la main, mais disons que je n’en suis pas loin.

C’est étrange de se dire que même la personne la plus forte d’un point de vue psychologique peut aussi, avoir des moments de faiblesses. Tout ceci est humain vous me direz mais et si tout cela ne serait que le début d’une fin dont tout le monde se fiche ?

J’ai entendu à travers la porte entrouverte que durant trois semaines les suicides se sont succéder de manière macabre, je ne parle pas des règlement de compte mais bien des personnes qui ne peuvent plus vivre ainsi, entre quatre murs et qui préfèrent être six pieds sous terre, peu importe ce que cela peu leurs couter.

J’ai peur de ne pas être suffisamment forte et d’être la suivante. Après tout, ne ditons pas qu’il n’y a qu’un pas entre la vie et la mort ? En y réfléchissant, vous êtes désormais ma seule et unique famille, celle pour qui je pourrais faire n’importe quoi et surtout, celle qui me maintien encore en vie.

Je vous aime de manière indéfectible et intemporelle.
Anastasia.

Après avoir essuyer lentement une larme qui s’est mise à couler sur ma joue, je plis les feuilles avant de les mettre dans une enveloppe avec leur adresse inscrite. D’un geste las, je me hisse hors de mon lit puis sort doucement de ma cellule.

En longeant le couloir et regardant les tables remplies en contrebas, je me rends compte qu’il y a quelques têtes que je ne connais pas, sûrement des nouvelles, mais depuis combien de temps elles sont là et ce qu’elles ont fait, je ne saurais en dire quoi que ce soit.

C’est rare que je sorte me mêler aux autres, en règle générale je ne sors que pour aller chercher puis déposer mon plateau, prendre une douche et appeler les garçons, le reste du temps, je le passe dans ma chambre, allongée sur mon lit, à regarder le temps qui passe.

Malgré tout cela, je sens qu’au fond de moi, une colère grandit de plus en plus. Il ne faut pas croire que nous sommes tous invincible, que rien ne nous fait peur, parce que nous en avons tous au moins une, pour ma part, c’est la situation actuelle : l’abandon.

Après avoir déposé la lettre dans le bureau des gardiens, je fais demi-tour pour atteindre ma cellule, sans que je ne contrôle quoi que ce soit, la chanson Homeless de Marina Kaye retentit dans ma tête, parce que finalement, c’est ce que je suis, sans foyer.

En montant les marches, je me mets à fredonner la mélodie qui reste dans ma tête, puis une fois dans ma chambre, je me mets à battre la mesure et murmurer les paroles, de toute façon, ce n’est pas comme si quelqu’un allait me faire un reproche ou me dire de la boucler.

Je suis stoppée dans mes sombres pensées par des cris de fille, ça ne semble pas être dû à une bagarre ou un règlement de compte mais plus pour une présence qui n’est pas souhaité. En moins de deux minutes, Lola pénètre dans la cellule rapidement suivit de Juan. Pour le coup, je comprends pourquoi elles se sont mises à hurler comme des hyènes.

- Je croyais que les garçons étaient interdits dans le bâtiment des filles ? Dis-je perdue
- Ils le sont, mais il voulait te voir et comme tu le voulais pas venir avec moi, le voilà ici ! Lance Lola en haussant les épaules.

Sans rien dire de plus, Juan s’installe sur mon lit après avoir déplacer mes jambes. Je le regarde, touché qu’il veuille de ma présence. Bien qu’il soit beau garçon, Juan est plus un protecteur pour moi qu’autre chose.

De toute façon, rien ne sera possible, pour la simple et bonne raison que d’ici quelques semaines, nos chemins se sépareront. Ils vont me manquer mais c’est la dure loi de la vie.

Depuis le temps, je connais suffisamment Lola pour savoir qu’elle n’est pas revenue ici pour rien, surtout avec Juan, elle doit probablement me dire quelque chose sans savoir comment aborder le sujet.

Apaisée par les câlins de Juan, nous nous mettons à parler de tout et de rien, que ce soit sur nos humeurs, nos rêves ou encore nos familles bien que ce soit un sujet délicat de mon côté.

Je ne sais pas combien de temps nous avons passé à changer de sujet à tout bout de champ mais finalement, j’apprends la raison de leurs venues : suite à leurs bonnes conduites, ils bénéficient tous d’une remise de peine de quelques mois.

Je suis heureuse pour eux, après tout, ils partent si on calcul bien, dans un an et demi. Mais je me rends aussi compte que je vais finir par être seule, que ce soit dans la cellule ou le domaine général et ça, c’est loin de faire plaisir.

En continuant de parler, nous nous rendons compte que nous partirons probablement en même temps, sachant que je prends dix-sept ans cette année je doute que le directeur le garde ici indéfiniment.

Prise d’une énergie nouvelle, je sors de ma cellule avec eux puis décide d’y passer la journée à leurs côtés, j’aurais tout le temps de déprimer lorsqu’ils seront partis.

Nous passons la journée à rire, jouer que ce soit au basketball ou encore à un combat à l’abris des regards. Lorsque nous sommes tous essoufflés, nous nous couchons tous à même le sol et regardons les nuages en discutant comme de simple ados pourrait le faire.

Durant une conversation banale, j’apprends que Juan ainsi que Pablo, son cousin, sont tous deux dans la mécanique au sein du centre pénitencier, je ne savais même pas qu’il y avait une section mécanique.

Profitant de croiser un gardien pas loin, je pars dans sa direction pour demander à suivre ce cours étant donné que la métallurgie est devenue prohibé pour moi.

Voulant dans un premier temps refuser, je lance l’arme absolue : mon agressivité. En lui expliquant que passer mes journées à m’occuper de moteur ou encore des carrosseries me permettrait de me canaliser et donc, éviter d’en venir aux mains avec d’autres détenues.

Ne pouvant pas prendre la décision seul, il me promet d’en parler à un supérieur hiérarchique et de me donner une réponse rapidement, après l’avoir remercié, je rejoins rapidement les autres qui n’ont pas bouger de place et qui ont entendue toute la conversation.

Ce n’est qu’en fin de journée que j’apprends avoir été accepter pour la mécanique et que je commence le lendemain à l’aube. Avec Lola nous nous frappons dans les mains, heureuses de cette nouvelle, c’est une manière de pouvoir passer encore plus de temps avec eux.

Alors que nous discutons pendant le dîner, le sujet de mon anniversaire est mis sur le tapis, en y pensant, c’est vrai qu’il arrive à grand pas. Dans moins de deux semaines j’atteindrais les dix-sept ans.

Un âge qui me rapproche de plus en plus de la majorité et donc, de mon transfert. Au regard de Lola, je sens qu’elle manigance quelque chose mais sachant qu’elle est une vrai tombe dans ce genre de situation, je préfère ne rien dire et attendre le jour J.

Un brouhaha, d’abord léger, prend de plus en plus d’ampleur aux fils des minutes, en tournant la tête, je remarque les filles que j’avais frappé pénétrant lentement dans le bâtiment, entourer d’autres détenues.

Je les regarde de hauts en bas, en voyant certains bras en écharpe, je vois que je n’y suis pas aller de main morte ce qui me tire une grimace, néanmoins, je continue de manger comme si de rien était et poursuit ma discussion avec Lola.

Je demande en même temps la signification des tatouages de Lola ainsi que l’endroit où elle les a faits, je n’ai jamais pensé à en avoir mais je les trouve vraiment magnifique.

La plupart représente sa ville natale ou encore sa famille mais celle qui attire le plus mon attention est la femme avec de la peinture sur le visage, la Santa Muerte de ce que j’apprends, l’équivalent de notre faucheuse.

Elle est en noir et blanc et de ce que je comprends, elle est récente, bien que ce soit elle qui l’ait dessiné, c’est Juan qui lui a tatouer ici, dans la prison.

Finalement, elle me raconte que ce n’est pas compliquer de se procurer ce que l’on souhaite dès l’instant qu’on sait à qui s’adresser. De fils en aiguilles, elle m’apprend qu’elle aimerait beaucoup me faire mon premier tatouage, bien que l’idée me tente, je préfère tout de même refuser, ne voulant pas encore avoir à faire avec des aiguilles qui auraient trainé je ne sais où.

Lui promettant tout de même d’y réfléchir, elle m’avoue avoir déjà un dessin en tête pour moi et qu’au moindre signe, elle n’hésiterait pas à passer un message à ses contacts.

Suite à cela, nous changeons de sujet pour des conversations plus légères comme par exemple, mes débuts prochains en tant que mécanicienne, l’idée de me retrouver en salopette, couverte de cambouis la fait rire, mais pour m’évader de ses quatre murs, je suis capable de tout.

Peu après, nous retournons dans notre cellule, poser sur nos lits respectifs, nous nous mettons de nouveau à parler jusqu’à ce que la voix de Lola devienne un murmure puis un léger ronflement.

A travers les barreaux de ma cellule, je regarde le ciel étoilé, ce soir, aucun nuage à l’horizon. C’est avec ce paysage apaisant que je finis par fermer les yeux, rejoignant mes songes où mon père m’attends, les bras grands ouverts avec un immense sourire aux lèvres, ravie de voir ses deux filles.

Trente ans fermeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant