2. Le Jogging

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Il était onze heures bien passées, Cédric et Kilian descendaient du bus qui les avait menés jusqu’au centre commercial. Kilian boudait. Il n’avait pas apprécié que son frère prenne mal sa petite sortie à propos de la température du chocolat chaud à peine tiède. Il faut dire que, si Cédric aimait son cadet, il était assez impulsif et il n’aimait pas qu’on lui manque de reconnaissance et de respect, ce qui ne l’empêchait pas de s’occuper de son petit frère comme s’il en était la mère. Après tout, il n’avait pas vraiment le choix, vu que la leur les délaissait, préférant selon son humeur du moment picoler en cachette, trainer avec ses copines ou tout simplement tromper son mari. C’était d’ailleurs ce qu’elle semblait avoir choisi de faire ce matin là. Les deux frères ne l’avaient pas vue depuis trois jours, et comme leur père était en voyage d’affaires, ils se retrouvaient abandonnés à leur propre destinée. Dans pareilles conditions, c’était à Cédric de tout gérer. Il s’occupait de la bouffe, des courses et bien sûr, de préparer les vacances de son petit frère.

« Viens, on va chez Décathlon. »

Le lycéen était plutôt un économe et pas vraiment  féru de mode. Il allait au moins cher et au plus pratique. Cela jurait avec les goûts du blondinet qui l’accompagnait. Pas que Kilian se la jouait top model, juste qu’il aimait les belles fringues qui le mettaient en valeur. Ce comportement n’était pas causé par le regard des autres qui lui était assez indifférent. Il avait juste envie de se sentir bien dans sa peau. En soufflant légèrement, il rouspéta :

« Pffffffff, tu sais bien que je préfère la p’tite boutique de sportware là, avec des marques sympas… »

Cédric soupira puis répondit :

« Ouais, mais c’est cher  et papa ne nous a pas laissé grand-chose pour t’habiller. Dans ton camp, t’auras besoin d’un jogging, je n’ai pas envie de mettre trop de fric dans un truc que tu vas bousiller en deux semaines. »

Comme à chaque fois que l’ainé ne voulait rien entendre, le collégien sortit son arme secrète. Des yeux de chat, un air d’enfant battu et un regard suppliant, tout ce qu’il fallait pour faire craquer le plus intransigeant des grands frères.

« Mais heu… Tu peux bien faire plaisir à ton p’tit frère non ? J’ai vu un ensemble sport trop stylé la dernière fois. Tu m’avais promis que je pourrais l’essayer ! »

« Rhô, tu soûles… bon, ok, mais je te préviens, t’as pas intérêt à me prendre la tête pendant trois heures. J’te rappelle que j’ai ma copine à voir cette après midi ! »

Depuis 5 mois, Cédric était « en couple » avec une jeune fille du nom de Sandra, d’un an son ainée, qu’il avait rencontrée dans son club de boxe. Comme elle était plutôt mignonne, belle et intelligente, il n’avait pas résisté à l’idée de la taquiner un peu. « Eh, la boxe, c’est pour les mecs, la couture c’est à côté ! » lui avait-il dit. Elle ne résista pas à l’idée de lui coller une droite. Cédric eut le coup de foudre au moment-même où il tomba à la renverse à cause d’un uppercut bien senti. Sandra n’était pas juste mignonne, belle et intelligente. Elle avait aussi un sacré punch. Après plusieurs mois de flirt et d’entrainements communs, ils avaient fini par se mettre ensemble. Malgré des hauts et des bas, comme souvent à cet âge-là, c’était un couple sincère, assez solide pour durer plus que la moyenne.

« Ah ouais, tu vois Sandra… elle est cool ta copine ! »

Kilian aimait beaucoup la jeune lycéenne. En règle générale, il aimait beaucoup un peu tout le monde, tant qu’on était gentil avec lui. Et Sandra était plutôt du genre adorable.

« C’est la meilleure ! Et toi p’tit frère, c’est quand que tu nous présentes quelqu’un ? »

À cette question très directe, Kilian répondit avec humour et nonchalance :

« Pffff t’es bête là… Ch’sais pas moi, j’ai pas que ça à faire hein… Tu sais, avec l’escrime, les potes, les devoirs et la sieste, j’ai pas trop le temps de penser aux filles… »

« Eh, tu sais Kili, t’es pas obligé de me présenter une fille hein, ch’uis pas sectaire ! Tu peux me présenter ce que tu veux ! Fille, mec, chien, koala… Tant que t’es heureux ! »

Alors que dans l’esprit de Cédric, cette déclaration était purement humoristique, Kilian ne put s’empêcher de se sentir gêné et de rougir, ce qui n’échappa pas à l’œil aiguisé de son grand frère et ce qui le fit rougir encore plus. En réalité, Kilian ne s’était jamais vraiment posé la question de ses sentiments. Certes, il voyait son corps changer et réagir à certaines sollicitations externes, mais il prenait toujours cela avait flegme. « C’est la nature » qu’il pensait. Avec ses copains, il parlait de filles, c’était bien naturel, mais il n’avait jamais eu ni le besoin, ni l’envie de se trouver une partenaire. Il préférait largement son escrime, son grand frère, ses douches fraiches ainsi que son lit à toutes ces histoires de sentiment. Il trouvait ridicule les pseudo-grandes histoires d’amour de ses camarades qui duraient au maximum trois semaines. Il n’avait jamais songé non plus à l’éventualité de se tourner vers les garçons. Il trouvait ça « bizarre », mais il n’y avait pas vraiment réfléchi. Pourtant, la phrase de son frère avait réussi à le gêner. Sans doute parce qu’il n’avait pas totalement rejeté ce genre d’éventualité. C’était le contrecoup de son impassibilité. Il ne rejetait rien. C’est cette pensée qui avait traversé son esprit et qui le fit rougir à cet instant.

« Heu, ouais, mais nan hein, pas un koala quand même ! Nan parce que si on est deux à dormir tout le temps, on va pas s’en sortir hein ! »

Une pirouette bien pensée et la gêne était évacuée. Déjà Kilian avait foncé  tête baissée devant  ce jogging vert pomme qui lui faisait de l’œil.

« Putain, c’est celui-là qu’il me faut, viens on l’achète »

Cédric regarda sa montre. Il était presque midi. Il fallait manger, ramener l’adolescent à la maison et retrouver sa chère et tendre dans le parc municipal à quinze heures…  Il n’avait décidément pas le temps de discuter, même si le prix affiché sur le vêtement manqua de le faire s’étrangler.

« Bon, ok, si c’est celui que tu veux, on le prend… »

Kilian était ravi. C’était au final une matinée plutôt agréable. Plus que quelques jours avant son camp de jeunes. Un camp qui, il ne le savait pas encore, allait lui réserver bien des surprises.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant