5. La veille du camp

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Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis que les deux frères étaient allés faire du shopping ensemble. Cédric en avait profité pour passer du temps avec Sandra. Kilian, lui, avait alterné grasses matinées, entraînement d'escrime - la salle d'armes lui était toujours ouverte, même pendant l'été - et parties endiablées de jeux vidéo avec Martin. Des vacances parfaites en quelque sorte, enfin jusqu'à ce vendredi qu'il n'était malheureusement pas près de digérer.

Comme François, le père des deux garçons, rentrait de voyage d'affaires, leur mère, Marie, s'était sentie obligée de délaisser son amant pour retrouver le foyer. Mais plutôt qu'une aide bienvenue, c'était une charge supplémentaire pour Cédric. Marie était particulièrement irresponsable et s'était enfermée toute la journée dans sa chambre avec une bouteille. Kilian, lui, s'était réfugié chez Martin pour ne pas avoir à trop la voir. Autant il éprouvait de la peur et de l'admiration pour son père, autant il détestait sa mère. Pas pour l'alcool, les mots ou les gestes violents ni même pour tromper si ouvertement son époux, chose qui se savait jusque dans la cour du collège au grand désespoir de Kilian, mais pour ce qu'elle avait osé lui faire le jour de ses dix ans. C'était la seule chose qu'il avait gardée secrète au fond de lui et dont ni Martin, son confident, ni Cédric, son frère adoré, n'avaient connaissance. Certains diraient que ce n'était pas grand-chose mais cela l'avait pourtant traumatisé et il vouait à sa mère une rancune tenace. Certes, son optimisme et sa joie de vivre avaient vite repris le dessus, mais cet incident avait toujours une emprise forte sur son comportement et sur son rapport aux autres.

Il était dix-neuf heures quand Cédric, affairé à rendre la maison présentable, entendit claquer la porte d'entrée. François portait un costume bleu foncé valant au bas mot plusieurs centaines d'euros. D'un geste brusque, il arracha sa cravate de son cou noueux. Il avait les traits rudes et fatigués d'un homme de son âge. Trop vieux pour garder l'illusion de la jeunesse, mais trop jeune pour profiter de la vie sans le moindre souci. Ses cheveux courts et drus poivre et sel pointaient au-dessus d'un front agressif, ce qui faisait ressortir ses lèvres épaisses et son nez cassé.

« Cédric, où est Kilian ? »

Ce n'était pas dans les habitudes de François de dire bonjour. Les politesses, il les gardait exclusivement pour ses clients, qu'il détestait pourtant, et pour ses amis, partenaires de golf et de bridge. Il détestait le golf et le bridge, mais son métier lui avait imposé de s'y mettre pour espérer une progression sociale importante, la seule chose qui le faisait avancer dans la vie après un mariage qu'il considérait comme particulièrement raté, malgré deux beaux enfants qui faisaient parfois sa fierté. Chose qu'ils ignoraient tous deux.

« Il est allé s'entrainer à la salle d'armes, puis il est passé chez Martin. Ils font un jeu ensemble, ça les occupe, il devrait bientôt rentrer. »

Cédric savait très bien que son père ne supportait aucun manquement aux règles qu'il avait fixées dans sa maison. Incapable de tenir sa femme, il ne voulait pas non plus perdre la face devant ses fils. Et la règle était stricte pour Kilian. Il devait être à la maison au plus tard à dix-huit heures trente, même pendant les vacances. Cédric savait très bien que son père s'énerverait, mais il était bien décidé à défendre son frangin. Ce que le lycéen ne savait pas, c'est que son père avait passé une très mauvaise journée. Il le réalisa cependant rapidement, juste le temps de recevoir une gifle en pleine figure.

« Tu te fous de moi ? Je t'ai confié la responsabilité de ton frère. Dix-huit heures trente, c'est dix-huit heures trente. Ça a été comme ça pendant toute la semaine ? Tu l'as laissé faire comme il voulait ? Tu sais bien que Kilian ne sait pas se gérer tout seul et qu'il fait n'importe quoi quand on ne s'occupe pas de lui. Tu me déçois Cédric. »

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant