Dès le lendemain, le premier jeudi du mois d'avril, Kilian et Aaron retournèrent au collège après une fugue de trois jours et trois nuits. Si tous étaient soulagés de les voir en bonne santé, personne n'avait pensé à les punir ni même à les engueuler. Ils étaient bien portants et c'était là l'essentiel. Tout juste les deux adolescents eurent-ils le droit, quelques jours plus tard, au conseil de discipline bien mérité suite à l'incident de la cantine. Mais de procès il n'y eut point. Ou tout du moins, il ne dura pas longtemps.
Bien entendu, quelques professeurs se prenant pour des juges tentèrent de faire respecter le règlement, en pointant du doigt les graves manquements de la part des deux jeunes garçons ainsi que leur comportement inacceptable. Aaron se défendit avec vigueur :
« Où étiez-vous quand nous avions besoin de vous ? Avez-vous seulement vu un enseignant qui ait levé le petit doigt quand Kilian et moi nous faisions vilipender par toute la classe ? Étiez-vous à ce point aveugles pour ne pas lire les insultes au tableau ? Non, je ne le crois pas, ce n'était pas de la myopie mais juste de la lâcheté ! Vous n'avez pas le droit de nous juger, aucune loi ne nous interdit de nous aimer, je me trompe ? »
La plaidoirie tournait au pugilat. Certains membres du conseil souhaitaient marquer le coup en prononçant une sanction exemplaire, d'autres au contraire défendaient les jeunes amoureux au nom de quelques principes progressistes. Alors que le directeur lui-même ne savait plus où donner de la tête ni quelle position adopter, Joséphine Stricker se leva et prit la parole :
« Mes très chers enfants, calmez-vous je vous prie. Vous n'auriez jamais dû faire ce que vous avez fait et vous le savez. Je dirais même plus, Aaron, tu as fait exprès de provoquer cette situation au lieu de suivre une voie plus orthodoxe pour résoudre ce conflit qui vous opposait à vos camarades. Si certains d'entre eux vous posaient problème, vous auriez dû m'en référer directement. Mais ce manquement de votre part n'excuse en rien le nôtre. En tant qu'adultes, nous avons échoué à vous protéger. Sur le fronton de cette école est inscrit « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il serait bon, parfois, de faire nôtre cette devise et de ne pas voir le collège uniquement comme un lieu d'éducation et de répression de la fougue de la jeunesse. Et comme disait l'illustre philosophe qui a donné son nom à notre institution : « Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères ! ». Oui mes garçons, vous avez le droit de vous aimer, mais je vous demanderai juste de ne faire de mal à personne et, tant que vous êtes élèves entre ces murs, de respecter un minimum de discrétion et surtout notre cher règlement intérieur. Ainsi, tout le monde pourra suivre sa scolarité de manière apaisée. Exceptionnellement pour cette fois, et à la vue des circonstances et du tort que cela vous a déjà causé, je crois qu'on peut passer l'éponge. Mes collègues rejoindront certainement mon avis, n'est-ce pas ? »
C'est ainsi que fut officialisée aux yeux de tous l'histoire d'Aaron et de Kilian, sans que personne n'ait rien à y redire. Ils passèrent ainsi tout le mois d'avril à flâner main dans la main dans la cour de récréation et à vivre leur relation au grand jour. Si au début, ils paraissaient être un phénomène de foire, très vite, leur situation devint normale pour le commun des mortels et ne déclencha plus que de l'admiration ou de l'indifférence dans le pire des cas. Ils n'étaient qu'un couple comme les autres et, de l'avis général, il était bien plus branché d'accepter ce fait que de s'en offusquer. Même, ils allaient tellement bien ensemble qu'ils devinrent très vite les coqueluches du collège. Les filles, surtout, les trouvaient particulièrement mignons et les suppliaient de s'embrasser devant elles. Il n'y avait rien de plus craquant à leurs yeux que de voir deux garçons s'aimer sans le moindre tabou. À défaut de pouvoir sortir avec l'un ou l'autre, elles profitaient au moins du spectacle, tellement mieux en vrai que dans leurs mangas.
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Ce qu'il aimait
Teen FictionUne histoire d'identité, de construction, celle de deux frères. Kilian, 14 ans, et Cédric, 16 ans. Dans un contexte familial tendu, Cédric s'occupe de son petit frère, un bonhomme fragile et sincère, qui va découvrir qui il est au fur et à mesure de...