19. Prendre les choses en main

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Cédric marchait d'un pas soutenu vers le centre-ville. Il n'avait pas voulu prendre le bus ce jour-là. Marcher lui faisait du bien, cela lui permettait de réfléchir. Sa joue avait bien récupéré des coups donnés par Sandra, son cœur un peu moins. Mais il savait qu'elle avait raison, qu'il fallait être fort. Pour lui et pour son frère. La fuite en avant n'était plus une solution.

Pourtant, prendre les choses en main semblait plus simple à dire qu'à faire. Sa mère n'était toujours pas revenue à la maison et son père n'avait rien fait pour la ramener. Cédric se faisait du souci en pensant au moment où son frère rentrerait de colo. Même si Kilian n'était pas proche de sa génitrice, elle restait sa mère. Il fallait absolument qu'elle soit là le jour où le gamin déferait ses valises, au moins pour sauver les apparences. Du côté de son père, cela semblait aller de mal en pis. Incapable de retenir sa femme, il passait ses nerfs sur son fils ainé. Ce dernier avait ainsi pris toutes les critiques du monde sans broncher. Il faisait le dos rond. Cela ne servait à rien de s'énerver, pas maintenant. Il fallait apaiser la situation, calmer le jeu. L'heure de l'inéluctable confrontation n'avait pas encore sonnée.

Mais ce qui semblait poser le plus de problèmes au jeune lycéen, c'était le coup de fil qu'il avait reçu la veille de la part de son jeune frère en larmes. L'adolescent avait supplié Cédric de venir le chercher, comme s'il était arrivé quelque chose de grave. Après que ce dernier ait passé de longues minutes à essayer de le calmer, Kilian se mit à table. Il lui raconta sa honte ainsi que cet horrible dimanche qui avait pourtant si bien commencé mais s'était si mal terminé. L'ainé avait beaucoup de difficultés à suivre les évènements relatés par son cadet, d'autant plus que le garçonnet ne détaillait de manière précise ni les situations, ni les protagonistes. Mais Cédric se rendait bien compte que la fragilité exacerbée de Kilian lui jouait encore un mauvais tour.

Après que l'ainé eut passé un long moment à réconforter son petit frère, la peine de ce dernier s'apaisa. Ils avaient pu convenir tous les deux que ce n'était pas si grave que ça, que c'était juste un gros chagrin et que Cédric ferait un énorme câlin à l'adolescent dès qu'il rentrerait, mais qu'en attendant, il fallait qu'il profite au maximum de son séjour et des activités. Kilian avait conclu la conversation avec des mots bien à lui :

« Ton câlin, il a intérêt à être un vrai gros câlin comme quand j'avais neuf ans et que tu m'en faisais des énormes devant le feu de cheminé au ski ! Et si les copains me demandent, je nierai avoir eu vent de cette conversation, d'ailleurs ton téléphone s'autodétruira dans trois secondes. Un. Deux. Trois…»

Puis le jeune garçon avait raccroché, laissant Cédric seul avec ses pensées.

Après avoir marché de longues minutes sous un soleil de plomb, le jeune homme arriva enfin aux abords du café « Le Laurentin », un endroit qu'il appréciait et connaissait bien. C'était toujours là qu'il allait quand il voulait discuter autour d'un bon cappuccino crémeux.

Des yeux, il chercha la femme du regard. Elle était là, assise à la terrasse, un chapeau léger beige entouré d'un ruban rose sur la tête et de larges lunettes de soleil sur le nez. Les rides du sourire marquaient son visage de quinquagénaire. Ses cheveux longs d'un châtain assez foncé jaillissaient de racines blanches qui ne laissaient aucun doute planer sur son âge véritable. Elle était habillée comme une jeune des années soixante-dix qui aurait oublié de vieillir. Une clope au bec et une chope à la main, elle semblait profiter de la vie à pleines dents.

« Salut Tatie, tu vas bien ? »

« Cédric, mon chou ! Comme tu as grandi depuis la dernière fois ! C'était quand déjà ? Au mariage du fils du cousin de l'oncle Jules non ? »

« Oui, c'était au mariage de George, l'été dernier je crois ! Et Kilian a bien grandi lui aussi, tu sais. »

Suzanne était la sœur de Marie et donc la tante de Cédric et de Kilian. Elle adorait ses neveux, les gâtant à chaque Noël et à chaque anniversaire. Ils le lui rendaient bien. Quand ils étaient plus jeunes, c'était elle qui les gardait à chaque fois que nécessaire. Jamais vous n'auriez entendu l'un ou l'autre des deux frères se plaindre de devoir aller chez Tatie Suzy. Elle les avait pour ainsi dire élevés à la place de leurs parents. Mais il y a deux ans, elle choisit de quitter la région du Rhône pour monter à Paris vivre avec son fiancé. Un jeune trentenaire aussi gamin qu'elle dans sa tête. Elle avait cependant gardé un pied à terre dans la ville de son enfance et y passait de temps en temps. Quand Cédric lui téléphona en lui demandant s'ils pouvaient se voir, elle avait aussitôt sauté dans le premier train. Il n'y avait rien qu'elle puisse refuser à ses neveux.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant