63. Le dilemme de Kilian

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« Putain Kilian, c'est quoi ce bordel ? T'arrêtes pas de perdre, t'as jamais été aussi mauvais ! »

Martin le pensait sincèrement. Jamais son compagnon de jeu n'avait enchainé les défaites de cette manière. C'était à peine si l'adolescent arrivait à tenir sa manette. En réalité, cela faisait déjà trois jours qu'il agissait bizarrement. Comme si son esprit était ailleurs, occupé par quelque chose qui le dépassait.

« Mais je sais pas, il est nul ce jeu, et je suis sûr que tu triches ! »

La mauvaise foi est toujours révélatrice d'un profond malaise. Celui de Kilian était abyssal.

« Bon, là, faut pas pousser Kil. Je déteste quand tu me prends pour un con. C'est ton jeu préféré et d'habitude, tu m'exploses. Je suis ton pote, tu pourrais au moins me dire la vérité. C'est quoi le problème ? Tes vieux ? Aaron ? »

La subtilité n'était pas le fort du rouquin. Il préférait bien plus mettre les deux pieds dans le plat que prendre son meilleur ami avec des pincettes. Après tout, il n'y avait que comme cela qu'il arrivait à faire parler Kilian et, du coup, à lui être vraiment utile. L'avantage des meilleurs amis, c'est qu'ils sont souvent bien plus sincères et moins chers qu'un psychologue. L'inconvénient, c'est qu'ils manquent souvent de conscience professionnelle.

Une fois de plus, Kilian rougit en détournant le regard. Être à ce point transparent était vraiment gênant. Il avait l'impression d'être un livre ouvert, écrit avec de gros caractères et rempli d'images, dans lequel on pouvait lire allègrement sans rencontrer la moindre résistance.

« Ça se voit tant que ça ? Bordel... »

« Alors, il t'a fait quoi ce satané brun ? »

Non seulement, Martin avait visé juste, mais la réaction de son camarade lui permettait instantanément d'affiner son analyse. Dès qu'il avait saisi la corde, il n'était plus question de lâcher le morceau. Kilian balança la manette à travers la pièce, se recroquevilla sur lui-même et se mit à pleurnicher chaudement.

« Tu te souviens de ce que tu m'as dit avant Noël ? Comme quoi j'étais amoureux de lui, et qu'après avoir nié, je t'ai avoué que tu avais sans doute raison ? Bah en fait, c'est pas sans doute, t'as juste complètement raison, je suis raide dingue de lui... Et depuis qu'on s'est rapprochés, intimement aussi, c'est pire. Avant il était juste tout le temps dans ma tête. Maintenant, c'est horrible, dès qu'il n'est pas là, il me manque. Si je n'ai pas un SMS en me réveillant, je suis triste. Si je n'en ai pas un en me couchant, je dors mal. Si je le vois regarder quelqu'un d'autre, je suis jaloux... J'ai l'impression d'être une adolescente en chaleur devant une star de la pop américaine. C'est limite cliché, mais ça ne m'avait jamais fait ça avant, ni avec Léna, ni avec Alice... »

Martin écoutait religieusement la confidence de son camarade. À la différence du curé du village, lui, au moins, n'imposerait aucun Pater Noster ni Ave Maria. Plus Kilian s'ouvrait à lui, plus il le trouvait adorable. Cet amour candide d'adolescent était plus intéressant à suivre que les meilleures séries d'action du câble et était plus sincère, touchant et surprenant que les téléréalités se passant dans un champ avec des fermiers.

« Écoute Kil, je te juge pas, moi. Je comprends que tu l'aimes et c'est pas un problème. C'est un secret entre vous deux et, à part moi, personne ne le sait, je crois. Non ? Moi j'ai promis de n'en parler à personne, mais je suis sûr qu'il t'aime sincèrement en retour. Ça me saoule de devoir l'admettre, mais j'ai vraiment l'impression que tu comptes pour lui et qu'il est lui aussi fou de toi... Donc arrête de te prendre la tête, je ne comprends pas du tout ce qui ne va pas... »

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant