49 - Le dernier gage

455 57 34
                                    

Kilian regardait le vert de l'herbe et le bleu du ciel. Les nuages avaient fui le ciel de novembre. Emporté par une vieille chanson de Louis Amstrong qui se diffusait dans ses écouteurs, il en était persuadé. Le monde a quelque chose de merveilleux. Surtout quand on est deux.

Bien sûr, il avait ramassé. Cela lui avait même un peu fait le cuir. Ses parents, le célibat forcé de son frère, l'agression de Diego, la dépression de Yun-ah... Ce début de troisième était loin d'être de tout repos.

Mais il grandissait, il prenait de l'assurance, de la maturité. Il avait trouvé en lui le courage d'affronter Aaron et de lui faire arrêter son petit jeu débile, fût-ce au prix de sa fierté bafouée. Grâce à cela, l'honneur de sa copine coréenne était sauf et il avait pu profiter, avec son camarade, d'un moment d'intimité qui lui avait fait du bien. C'était d'ailleurs particulièrement ironique de se rendre compte que celui qui arrivait le mieux à le calmer quand il était désespéré était justement le garçon à l'origine de la majorité de ses chagrins. Encore heureux qu'il n'eût pas à expliquer ce paradoxe.

Et puis... En ce samedi frais mais ensoleillé, il se sentait pousser des ailes. Tel un oiseau, il roucoulait. Il n'était pas seul à observer la nature dans laquelle il se baladait. Il avait la chance d'habiter près d'un fleuve et de nombreux canaux et non loin d'un bois accueillant. C'était au milieu des arbres qu'il se promenait avec Alice, main dans la main.

Les choses s'étaient faites naturellement. Après qu'Aaron se soit excusé d'avoir jeté son dévolu sur la seule fille de la classe pour laquelle il vibrait, Kilian s'était rapproché d'elle. Encouragé par son petit brun, il avait fini par accepter ses vrais sentiments pour la jeune demoiselle aux cheveux châtain clair. Trop longtemps ils avaient joué ensemble au jeu du chat et de la souris. Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis.

Alice n'était pas aussi belle que la magnifique Léna, mais elle était tout aussi gentille. Un café-crème à la douceur inestimable. La collégienne possédait des origines aussi lointaines que diverses et cela se voyait dans ses cheveux, dans ses yeux et à la couleur de son visage hâlé. Sa peau était celle du Moyen-Orient des récits des mille-et-une nuits, son nez était celui de l'Italie, ses iris ceux du nord froid et lointain, et son amour pour Kilian sa principale motivation dans la vie. Depuis le primaire, elle n'avait eu d'yeux que pour cette merveilleuse crinière blonde. Elle savait au fond d'elle-même qu'un jour, il serait sien. Ce moment était sur le point d'arriver.

Elle ne regrettait pas du tout de s'être mise avec Aaron. Elle avait bien perçu les tensions entre les deux garçons. Sortir avec le meilleur ennemi de Kilian ne pouvait que le rendre fou. Il s'était tellement habitué à être courtisé par sa camarade qu'il ne pouvait logiquement pas supporter d'être délaissé pour un autre. Elle avait vu juste. Quand le jeune brun lui annonça que le fruit était mûr et qu'elle n'avait plus qu'à le cueillir, elle sut qu'elle touchait enfin du doigt son vieux rêve. Une seule chose la tracassait. Pourquoi donc Aaron avait-il accepté de lui prêter main forte en sortant avec elle ? Si son but à elle était de rendre jaloux le blondin, qu'avait donc bien à gagner son associé dans cette entreprise ?

Tout le week-end, au lieu de travailler, ils avaient flâné ensemble main dans la main, yeux dans les yeux. Il ne s'était rien passé, mais ce n'était qu'une question de temps. Kilian voulait faire ça bien. Une vraie déclaration, avec la forme et le style. Après tout, au collège, plus personne n'ignorait que les deux adolescents s'étaient rapprochés pendant les vacances. Il fallait officialiser cela comme le faisaient les grands. Le lundi midi, après déjeuner, il la traina à l'arrière du Bâtiment B, juste à côté des terrains de sport. C'était un endroit calme, à l'abri des regards indiscrets. Surtout, c'était l'endroit qu'elle avait choisi en sixième pour lui faire sa première déclaration. L'adolescent trouvait cela symbolique. Après avoir vérifié que personne ne les regardait, il mit un genou au sol et tel un chevalier galant, prit la main de sa princesse sur laquelle il feignit un baisemain en veillant bien de ne pas toucher la douce peau, comme l'imposaient toutes les règles de bienséance.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant